"De la chair fraîche" : les hôtesses d'Air France dénoncent les violences sexuelles

Publié le Mercredi 20 Mai 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Tu ne veux pas faire une pipe au commandant de bord ?" : les hôtesses d'Air France dénoncent
"Tu ne veux pas faire une pipe au commandant de bord ?" : les hôtesses d'Air France dénoncent
Dans une grande enquête, Médiapart a révélé de nombreux témoignages d'hôtesses de l'air d'Air France qui rapportent les violences sexuelles qu'elles ont subies au cours de leurs vols. Edifiant.
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"Air France prend le sujet de la prévention des comportements sexistes et du harcèlement très au sérieux." A en croire l'entreprise, qui a répété cette phrase à de maintes reprises au site d'information Médiapart pendant son enquête, rien à signaler. Pourtant, du côté des salarié·e·s, les confessions sont tout autre. Les hôtesses de l'air livrent au média leurs récits glaçants, qui révèlent un univers où le harcèlement sexuel, les agressions et parfois même, le viol, ne seraient pas exceptionnels, et resteraient surtout impunis.

"Récemment, un steward m'a dit : 'Tu ne veux pas faire une pipe au commandant de bord pour que cela aille plus vite ?'", raconte Joanna (son prénom a été modifié). "Le commandant de bord me laisse passer devant lui, en me disant tout bas : 'Je fais ça pour pouvoir mater le cul des hôtesses et des stewards'", confie à son tour Sophie, qui elle aussi souhaite rester anonyme. "Au moment de reprendre nos valises, il me tend la mienne en me disant qu'elle était bien légère et que mes culottes devaient être 'toutes petites'."

Il y a également Justine, qui rapporte le jour où un passager a tenté de l'embrasser de force à une borne d'enregistrement en libre-service, sans que personne de son équipage ne réagisse. Ou Chloé, hôtesse en contrat étudiant, qui affirme avoir entendu certains agents dire que "les étudiantes, c'est de la chair fraîche". Et puis Nathalie, qui a été violée par un co-pilote lors d'une escale, sans avoir osé porter plainte. Par crainte de perdre son travail et puis aussi, que l'agresseur s'en tire sans être inquiété.

Malgré la cellule d'écoute mise en place par Air France, rares sont celles qui s'y confient, par crainte des représailles.
Malgré la cellule d'écoute mise en place par Air France, rares sont celles qui s'y confient, par crainte des représailles.

"J'ai été traitée comme l'agresseur"

Ce silence, il est presque encouragé au vu de l'accueil que l'on réserve aux victimes qui parlent, malgré la mise en place d'une cellule d'écoute il y a quelques mois pour dénoncer ce type de faits. L'une d'entre elles, alternantes à l'époque, s'est vu refuser un CDI à cause de "l'effet qu'elle faisait à la gent masculine", selon le cadre qui traitait son dossier.

Une autre hôtesse de l'air décrit la façon dont on l'a interrogée, après avoir signalé le harcèlement d'un chef de cabine, en lui demandant de se justifier. "J'ai été traitée comme l'agresseur", lance-t-elle. "Ma parole était régulièrement mise en doute. On me disait : 'Mais pourquoi il avait ton numéro ? C'est donc que vous vous connaissiez !' On me faisait comprendre que j'avais plus ou moins laissé la porte ouverte." Médiapart rapporte que, depuis, le chef de cabine en question a été promu au rang de chef de cabine principal.

Du côté des représentants du personnel, on avoue que "la question est assez taboue", affirme Silvia Sales, secrétaire générale adjointe de la CFDT pour les personnels au sol. Et que les sanctions varient selon le grade des accusés. "Quand il s'agit de pilotes, on nous dit : 'Circulez, il n'y a rien à voir'", assure un des représentants du personnel UNPNC-CFDT en charge du harcèlement sexuel et moral. Mais encore une fois : "Air France prend le sujet de la prévention des comportements sexistes et du harcèlement très au sérieux."

Au total, ce sont douze témoignages recueillis par des femmes qui préfèrent ne pas divulguer leur identité, "par peur des représailles", précise le média. Des révélations qui en disent long sur la culture du viol qui sévit en France, et le peu de conséquences pour ses auteurs.