Ces femmes prennent la pose pour raconter "une autre histoire du cancer"

Publié le Lundi 10 Octobre 2016
Jessica Dufour
Par Jessica Dufour Journaliste
Le cancer du sein ne doit plus être considéré comme une fatalité mais plutôt comme un envahisseur à éradiquer. "Une autre histoire du cancer" l'illustre d'ailleurs avec justesse, en nous racontant l'histoire de six jeunes femmes. Actuellement exposé au Point Ephémère à Paris, ce projet est l'occasion de jeter un regard rafraîchissant sur la manière dont ces femmes ont vécu leur maladie.
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Six femmes touchées par le cancer du sein. Mais avant tout six femmes qui font un pied de nez à la maladie, le temps d'une séance photos colorée et humoristique. Julie, Sabrina, Charlotte, Émilie, Marine et Lili ont eu un cancer du sein avant 30 ans. Elles auraient pu s'avouer vaincues, battues d'avance, touchées dans leur élan vital. Elles ont préféré affronter cette épreuve à leur manière.

L'exposition Une autre histoire de cancer (au Point Ephémère dans le 10e arrondissement à Paris jusqu'au 16 octobre) les révèle en photos et en dessins. Coiffées d'un foulard symbolisant la perte des cheveux causée par la chimiothérapie, ces six femmes se réapproprient leur féminité en enfilant des tenues colorées et pétillantes. Et, chacune des photographies est accompagnée d'une illustration humoristique signée Lili Sohn, dépeignant la personnalité de chacune.

Cette exposition est le fruit d'une collaboration créative entre trois femmes : Jenn Pocobene (styliste), Julia Marois (photographe) et Lili Sohn (auteure La guerre des tétons, illustratrice et survivante du cancer du sein). Toutes trois espèrent contribuer à changer le regard porté sur la maladie mais surtout sensibiliser le plus grand nombre, car le cancer c'est toute l'année et pas seulement durant Octobre Rose. Nous les avons rencontré à l'occasion.

Terrafemina : Pourquoi avoir choisi de monter ce projet ?

Lili Sohn : En fait, je faisais partie des plus jeunes à aller faire des chimios et on me regardait de manière assez curieuse. J'ai alors décidé de mettre des leggings assez colorés et rigolos, avec des sushis ou des licornes, pour que l'on me remarque pour autre chose que pour ma jeunesse. Je suis passée par 16 traitements et j'ai donc fait l'acquisition de 16 leggings complètement fous. Et durant cette épreuve, Jenn a énormément été à mes côtés. C'est notamment elle qui m'a présenté Julia. On a donc commencé par monter ce projet, en me shootant avec mes leggings. A ce moment là, j'avais fini mes traitements et j'avais besoin de me sentir belle et bien dans ma peau. Puis comme l'a dit Julia, on a voulu continuer, en lançant Une autre histoire de cancer.

Julia Marois : D'abord, il faut savoir que l'on a monté ce projet ensemble, toutes les trois (Jenn Pocobene, Julia Marois et Lili Sohn, ndlr). C'est parti d'un premier projet que l'on avait avec Lili et ses leggings. Et ensuite on a eu envie de continuer.

Comment les modèles ont-ils été choisis ?

Lili Sohn : Je suis illustratrice et je partage énormément mon travail sur Internet. Et ce sont des filles que j'ai rencontrées par ce biais. Mais ce que j'ai aimé chez elle, c'est que ce sont des personnes qui ont des projets, qui ont entrepris des choses avec la maladie. Et c'est pour ça que je les ai recrutées. Il était important, je trouve, de montrer des femmes qui ont été malades, qui avaient en plus moins de trente ans, mais qui malgré tout ont continué d'avancer.

Il y a Charlotte, par exemple, qui a créé des kit de beauté pour les femmes qui vont en chimio. Emilie, elle, est comédienne et photographe. Elle prend en photo des gens connus et des inconnus qui, en signe de soutien à la lutte contre le cancer, se bardent la joue de peinture de guerre. Marine aussi, devenue pop star en Chine et dont le lymphome de Hodgkin a été diagnostiquée à l'âge de 25 ans. Elle a décidé de garder la tête rasée, comme un acte militant. Ou encore Julie, qui a ouvert un blog beauté (feminityandjy.tumblr.com) traitant de la gestion de la beauté durant la maladie. Et tout ça, ce n'est qu'une partie infime de tout ce que ces femmes ont accompli. Et je trouvais ça bien de les mettre en avant.

Julie, une des modèles de l'exposition Une autre histoire de cancer
2 photos
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Les modèles ont toutes moins de 30 ans. Quand on sait que moins de 10% des cancers surviennent avant 40 ans, est-ce une manière d'alerter sur les risques de cancer touchant les plus jeunes ?

Lili Sohn : En montant ce projet, je cherchais avant tout des femmes qui vivaient la même chose que moi. Et je suis tombée sur ces femmes-là, pour le coup très actives sur le web, qui partagent, bloguent, sont sur les réseaux sociaux. Et je trouve intéressant de montrer que nous, en tant que jeunes, on peut avoir un discours différent des femmes de 40/50 ans. C'est une autre façon de montrer comment vivre la maladie.

Et quand tu n'es pas touchée, tu ne te rends pas forcément compte qu'il y a des jeunes ou nous-mêmes, qui peuvent avoir le cancer. Donc oui, c'était une manière de montrer et de sensibiliser. Mais surtout sensibiliser sans faire peur.

Jenn Pocobene : Comme le dit le nom de l'exposition "Une autre histoire de cancer", on voulait sensibiliser d'une toute autre manière. On aurait très bien pu exposer seulement dans des centres hospitaliers, par exemple. Mais ce n'était pas le public qu'on voulait toucher. On voulait alerter les jeunes et moins jeunes, qui ont le cancer mais aussi celles et ceux qui ne l'ont pas.

C'est aussi une bonne leçon, je pense. Pour moi qui n'ai pas de maladie, je prends conscience qu'il ne faut pas attendre pour réaliser ses rêves. Et c'est vraiment le message qu'on souhaite délivrer.

Pourquoi avoir choisi de rajouter des illustrations ?

Lili Sohn : On voulait vraiment travailler toutes les trois et apporter quelque chose que chacune savait faire. Et en mettant tout ça en lien, l'idée de rajouter des illustrations était une évidence. Et puis, l'illustration amène quelque chose d'assez intime. C'est une pensée ou une anecdote du passé de chaque femme.

Julia Marois : A travers l'exposition, on voulait aussi raconter des moments de vie. Et c'était le meilleur moyen. Ça peut également permettre à d'autres femmes de se reconnaître, de s'identifier. Finalement, les illustrations donnent un autre niveau de lecture à l'exposition.

Une illustration réalisée par Lili Sohn et représentant Marine, une des modèles
Une illustration réalisée par Lili Sohn et représentant Marine, une des modèles

Lili, en plus d'avoir produit les illustrations, vous vous êtes mise en scène dans cette exposition. Quand on vous a diagnostiqué un cancer du sein, vous avez ouvert un blog, Tchao Günther. En parallèle, vous êtes l'auteure de La guerre des tétons, en trois tomes (éd. Michel Lafon). L'illustration vous a-t-elle aidée dans votre combat contre la maladie ?

Lili Sohn : Pour moi, l'illustration a été thérapeuthique. C'était un moyen de mieux comprendre ce qui m'arrivait, mais aussi de communiquer avec les gens. On en parle peu, mais c'est également très difficile d'en parler avec son entourage, d'exprimer ses sentiments. Avec mon cahier de dessins, je me sentais comme un reporter de guerre. C'était vraiment une manière de vulgariser ce qui m'arrivait mais également de me raconter à moi-même ce qui se passait. Sans doute pour mieux l'accepter.

Les clichés ressemblent énormément à des photos de mode. Est-ce un parti pris ?

Jenn Pocobene : Tout à fait. En fait, en rencontrant ces filles, on s'est rendu compte qu'elles avaient toutes des personnalités complètement extravagantes, qu'elles étaient pétillantes. Pour mieux les connaître, on leur a également fait passer une sorte de questionnaire de Proust.

Et pour mettre tout ça en scène, j'ai pensé que la mode et la beauté étaient les meilleurs canaux. On considère généralement ces deux domaines comme quelque chose de frivole. Sauf que là, ça a eu un tout autre rôle et ça a permis d'aider les filles dans leur combat.

Pourquoi était-ce si important de mettre en avant la féminité dans ce projet ?

Lili Sohn : Il faudrait déjà réussir à définir la féminité. Je pense que pour plein de monde, c'est quelque chose de très différent. Notre seul objectif était que toutes ces femmes se sentent belles. Après oui, bien évidemment, ça pose d'une certaine façon la question de qu'est ce que la féminité. Est-ce que la féminité, c'est avoir deux seins et un utérus ? Il y a énormément de femmes à qui il manque un sein ou un utérus et cela ne remet pas du tout en cause le fait qu'elles soient féminines.

Julia Marois : Voilà, on a vraiment voulu montrer à tous que, malgré le cancer, on reste femme. Et d'ailleurs, peu importe la maladie dont on est victime. Tu peux perdre une jambe et tu restes une femme, tu gardes ta part de féminité. La féminité ne se définit pas par notre corps.

Jenn Pocobene : Finalement, la féminité, c'est juste se sentir belle. Et, au-delà de ça, c'est surtout se sentir bien dans sa peau.

Et la suite d'Une autre histoire de cancer, c'est quoi ?

Lili Sohn : On souhaite que l'expo Une autre histoire de cancer fasse le tour de la France et bien plus encore. Après Paris, l'exposition doit partir à Dijon, puis revenir à Paris à l'institut Curie, ensuite à Strasbourg dans une salle de spectacle mais également en Alsace. On pense pouvoir exposer à Lyon, Bordeaux, Marseille ou encore Montpellier. Et on essaie encore de négocier d'autres dates. Le but est d'en parler, et pas seulement durant Octobre Rose. Et après, on souhaite mener un tout nouveau projet.

Julia Marois : Oui, avec des hommes cette fois. Le cancer du sein, on en parle énormément et c'est très bien. Mais on se pose rarement la question de ce que c'est de traverser la maladie quand on est un homme. Si il y a des enjeux qui sont les mêmes que pour les femmes, il y en a d'autres qui sont totalement différents.

Exposition Une autre histoire de cancer
Au Point éphémère : 200 quai de Valmy, 75010 Paris
Du 05 octobre 2016 au 16 octobre 2016
Entrée libre