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Et si le sublime "Chien de la casse" ressortait triomphant des César ?

Publié le Mercredi 24 Janvier 2024
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Et si le sublime "Chien de la casse" ressortait triomphant des César ?
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Surprise : "Chien de la casse" est au coeur de la future cérémonie des César : ce petit chef d'oeuvre concourre à la fois dans la catégorie Meilleur film et Meilleur premier film. Une première ? En tout cas, un événement mérité pour ce bijou qui raconte si bien la masculinité.
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Chien de la casse, c'est l'histoire de deux potes qui s'ennuient comme c'est pas permis dans un petit village à la vie à peine rythmée par quelques klaxons de voitures et aboiements. Ils se connaissent depuis l'enfance, mais leur amitié est pour le moins singulière : elle est toxique. Caractéristique des couples les plus tempétueux.

L'un est une grande gueule de deux mètres qui ne jure que par Montaigne, l'autre un introverti économe en mots qui volontiers "s'écrase" lorsque son copain part en monologues virulents. L'arrivée d'une jeune femme va révéler au grand jour les tensions qui traversent leur binôme.

Succès critique, suivi d'un bouche à oreille hyper enthousiaste, rediffusé en ce moment via le festival Télérama, Chien de la casse est drôle, touchant, brillamment écrit, et c'est, notamment, un grand film sur la masculinité. Et les masculinités. Surprise : les nominations de la prochaine cérémonie des César viennent de nous parvenir, et ce premier film y figure en très bonne place.

Voyez plutôt : Révélation masculine pour l'inénarrable Raphael Quenard (qui concoure aussi pour le César du meilleur acteur), Actrice pour Galatea Bellugi, Meilleur scénario original pour Jean-Baptiste Durand, Acteur pour Anthony Bajon, mais aussi, c'est étonnant : à la fois Meilleur premier film et... Meilleur film ! Autrement dit, Chien de la casse pourrait tout à fait remporter le Saint Graal.

Oui, même face à un film aussi impressionnant qu'Anatomie d'une chute. Et ce serait largement mérité. On vous explique pourquoi.

Un brillant film sur l'amitié masculine

La première fois que l'on visionne cet étonnant premier film, on se prend une baffe, et elle porte un nom : Raphael Quenard. A l'instar du jeune et déjà électrisant Robert De Niro débarquant comme un Rolling Stone dans le Mean Streets de Martin Scorsese, Quenard nous apparaît comme une évidence, un comédien intense, excroissance de son alias à l'écran.

Sa verve, sa tonalité de voix si particulière, ses gestes, ses regards... D'aucuns sont venus comparer cette force spontanée à celle d'un Patrick Dewaere. Pour une fois, ce n'est guère exagéré. Mais à revoir Chien de la casse, on s'éternise davantage sur son écriture, la finesse de la relation dépeinte, son discours subtil et tragicomique sur l'amitié masculine. Ce qu'a scénarisé Jean-Baptise Durand est d'une confondante justesse.

Chien de la casse dépeint deux amis embourbés dans les non dits, la passive agressivité, la morosité d'un quotidien au sein duquel tous deux s'enferment, une amitié qui dans ses extrêmes ressemble trop à de l'amour... Toxique. Mirales (Quenard) ne quitte jamais son chien, Malabar, ni son meilleur ami, "son frère" comme il le dit (Anthony Bajon), qu'il appelle... Dog. "Chien", donc. Dog, qu'il traite régulièrement avec moins de respect que l'animal qu'il promène. Malabar n'a pas de laisse. Mais Dog semble lié à vie à Mirales. Malgré lui.

Tout au long du film, chiens et humains seront confondus, pour suggérer la réalité d'une violence masculine qui ne dit pas son nom. Par exemple, un petit caïd de village ordonnera à un ami de Dog de s'asseoir, comme le "Assis !" qu'on décoche à un chien. Dog - qui, refusant tout conflit physique notamment, ne correspond pas aux archétypes de la virilité - parle autant que Malabar : très peu. Et ces silences, ce qui ne s'énonce pas, témoignent d'une attitude typiquement masculine : refus de dire, comme de laisser parler ses émotions.

Et ce refus ne pourra susciter que de négatives incidences, tour à tour intériorisées ou à l'inverse : éclatantes. Tout cela, Chien de la casse le relate sans la moindre insistance. La vérité, elle émane de ses jeunes comédiens tous impressionnants d'authenticité, de ce regard jamais méprisant décoché sur la jeunesse rurale, de cette nuance également dans les portraits déployés.

Ainsi Quenard interprète-t-il un personnage tour à tour fascinant et antipathique, détestable et hypnotique, profondément touchant ("Je suis un connard qui parle tout seul", constatera-t-il), qui dans son attitude et ses échecs raconte quelque chose de vertigineux sur la condition masculine.

On espère que cette justesse sera récompensée comme il se doit !