Sexisme dans la pub : non, rien n'a vraiment changé

Publié le Mardi 27 Juin 2017
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Le sexisme dans la pub a encore de beaux jours devant lui
Le sexisme dans la pub a encore de beaux jours devant lui
L'institut américain Geena Davis de recherche sur le genre dans les médias a passé au peigne fin plus de 2 000 spots télévisés de ces dix dernières années pour examiner comment sont représentées les femmes dans la publicité. Le résultat n'est pas glorieux.
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Depuis les affiches publicitaires des années 50, sur lesquelles les femmes représentées étaient forcément des ménagères et des mères au foyer, ravies de cuisiner des tartes et d'utiliser une machine à laver dernier cri, on aurait pu penser que les représentations féminines dans la publicité tiendraient compte des évolutions sociétales. Parce que les femmes d'aujourd'hui travaillent, sortent, ont des vies multiples et ont gagné en indépendance, les agences de pub auraient eu tout à gagner à les représenter dans toute leur complexité et leur multiplicité.

Une nouvelle étude réalisée par l'institut américain Geena Davis de recherche sur le genre dans les médias prouve que ce n'est malheureusement pas le cas. Dévoilée le 22 juin dernier lors du Festival de la publicité Cannes Lions, cette vaste enquête a passé au crible plus de 2 000 vidéos publicitaires de langue anglaise et diffusées entre 2006 et 2017. Avec le concours de l'agence J. Walter Thompson et l'école d'ingénieurs USC Viterbi School of Engineering, le Geena Davis Institute a comparé informatiquement la représentation des femmes dans les pubs comparée à celle des hommes. Temps de parole et de présence, âges des femmes à l'écran, tenues, qualités associées : tout a été minutieusement analysé.

Une publicité sexiste signée Darty
Une publicité sexiste signée Darty

Une image stéréotypée des femmes

Les résultats montrent qu'en l'espace de dix ans, l'image de la femme n'a pas évolué d'un iota. "Nous pensions que dans la publicité, dans la mesure où les femmes sont les principales consommatrices, la représentation des femmes serait plus importante", explique Madeline Di Nonno, présidente du Geena Davis Institute. Ce n'est hélas pas le cas.
Aujourd'hui encore dans la pub, les personnages masculins sont deux fois plus présentés que les féminins. Les femmes sont aussi quatre fois moins présentes que les hommes à l'écran et ont un temps de parole divisé par sept.
Lorsqu'elles sont représentées, les femmes sont généralement jeunes – une vingtaine d'années – quand leurs homologues masculins ont entre 20 et 40 ans. Il ne faut non plus nous attendre à voir des femmes drôles : dans la pub, c'est une prérogative majoritairement masculine. Cela vaut aussi pour les capacités intellectuelles : lorsqu'elle doit montrer un personnage "qualifié en partie par son intelligence", une publicité privilégiera la mise en scène d'un homme à 62%.

Les femmes, elles, sont réduites à leur physique, qui se doit d'être avantageux pour "faire vendre". Ainsi, un personnage féminin sur dix est représenté dénudé ou dans une tenue "sexualisante". C'est six fois plus que les hommes.

Vous vous demandez où se trouvent les femmes dans les publicités ? Eh bien, toujours à la cuisine dans 48% des spots analysés. Les hommes, eux, sont à 50% plus susceptibles d'être en train d'assister à un événement sportif. Dans le monde de la pub, ce sont aussi ceux qui occupent les emplois : un homme sur trois est montré en train d'exercer un métier. C'est le cas de seulement une femme sur quatre.

Un autre exemple de publicité sexiste, cette fois-ci pour une auto-école
Un autre exemple de publicité sexiste, cette fois-ci pour une auto-école

Pour "une représentation plus progressiste"

Toujours minces, jeunes, sexualisés et cantonnés à leur foyer : les personnages féminins des publicités sont donc encore loin de représenter fidèlement les femmes, dans toute leur diversité et leur complexité. Le problème, c'est que la publicité n'est pas seulement une représentation biaisée de notre société : loin d'être "passive", elle modèle notre vision des femmes et des hommes. Or, quand elle véhicule des stéréotypes de genre, elles "créent des modèles, des habitudes de comportement", déplorait la secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans une interview accordée au Monde en mars dernier, et repérée par Usbek & Rica.

Un point de vue que partage Madeline Di Nonno. Pour la présidente du Geena Davis Institute, il est toutefois possible de faire évoluer l'image des femmes dans les publicités. "En changeant la narration, les images que nous utilisons, les histoires que nous racontons sur les femmes, nous pouvons radicalement changer la façon dont le monde estime les femmes, et dont les filles et les femmes se perçoivent. Cela ne suffit pas de représenter plus de femmes. Il nous faut une représentation plus progressiste et inclusive."

C'est justement pour faire évoluer l'image et la place des femmes dans les publicités qu'une dizaine de grands groupes publicitaires ont annoncé le 20 juin dernier le lancement d'Unstereotype Alliance. Initié par Unilever et ONU Femmes, il vise à "éliminer les stéréotypes dans la représentation des sexes dans la publicité". Présentée lors du festival de la publicité Cannes Lions, l'Unstereotype Alliance a été notamment signée par Alibaba, Publicis, Google, Facebook, Mars, Mattel, Microsoft, WPP et la fédération WFA. De quoi, on l'espère, faire bouger les lignes.