À 14 ans, elle écrit un poème puissant pour dénoncer la culture du viol

Publié le Vendredi 13 Mai 2016
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Kayley Dixon, la jeune fille dont le poème sur les violences sexuelles est devenu viral
Kayley Dixon, la jeune fille dont le poème sur les violences sexuelles est devenu viral
À l'occasion du lancement de la deuxième phase de la stratégie pour lutter contre les violences sexuelles en Nouvelle-Écosse, une adolescente de 14 ans a récité un poème très puissant sur le sujet. Devenue virale, la vidéo de sa récitation démontre une fois de plus à quel point le double standard et la culture du viol se mettent en place dès l'enfance.
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Début mai, Joanne Bernard, ministre des services communautaires de la Nouvelle-Écosse, a lancé la nouvelle phase de sa stratégie de lutte contre les violences sexuelles de la province. Le but : mettre en place des mesures pour prévenir les agressions, soutenir au mieux les victimes, et sensibiliser et éduquer la population. Le gouvernement s'est associé à la collectivité, à divers organismes et associations pour mettre en place ce grand projet, et 1,2 millions de dollars devraient être déboursés au total pour aider les groupes engagés. Dans le communiqué de presse intitulé "Rompre le silence", le ministère des services communautaires rapporte que 647 agressions sexuelles ont été déclarées en 2013 en Nouvelle-Écosse, "un taux qui demeure supérieur au taux national". Qui plus est, si la population canadienne ne compte que 20% d'enfants et de jeunes, ces derniers comptent pour 55% des agressions sexuelles signalées à la police.

Sensibiliser la jeune population néo-écossaise et la pousser à faire entendre sa voix est donc très important pour comprendre la façon dont les violences sexuelles affectent les enfants et les ados. Et pour faire passer le message, Joanne Bernard peut compter sur Kayley Dixon, une jeune fille de 14 ans engagée au sein du Youth Art Connection project, l'un des groupes à avoir reçu le soutien financier du gouvernement. À l'occasion de la mise en place de la nouvelle phase de la stratégie, l'adolescente a récité un poème de sa propre création dans les locaux de la Take Action Society. Intitulé "A Touch of Sexual Assault", ce texte est un message puissant qui démontre à quel point se construire en tant que femme dans notre société actuelle peut être un parcours du combattant.

Dans la vidéo publiée sur la page Facebook de l'association, l'adolescente explique que l'agressivité sexuelle des garçons envers les filles prend ses racines dans la cour de récré. Mais surtout, elle démontre à quel point la société joue un rôle important dans la construction de ce double standard : une fille doit se couvrir pour ne pas distraire les garçons, elle doit apprendre à cacher son corps. Dans le cas contraire, elle ne pourra s'en vouloir qu'à elle-même si elle est agressée verbalement ou sexuellement. Kayley Dixon met des mots justes sur la culture du viol, ce qui lui a valu les honneurs de la part de la ministre des services communautaires mais aussi de la part de plusieurs milliers de femmes à travers le monde. Devenue virale, la vidéo a été vue près de 5 570 000 fois sur la page Facebook de CBS News et a été partagée plus de 118 200 fois.

Interrogée par la chaîne CTV Canada, l'adolescente a déclaré : "Pour écrire ce poème, j'ai simplement pensé à mes expériences personnelles et aux choses que j'ai traversé. (...) J'espère que les gens réaliseront que les choses dont je parle arrivent tous les jours aux femmes et aux jeunes filles".

Découvrez la vidéo et sa traduction ci-dessous

"À l'âge de 12 ans, on nous a appris que si les garçons tiraient nos cheveux ou piquaient notre peau avec des crayons, cela voulait dire qu'ils nous appréciaient. Mais nous, nous n'apprécions pas tout ça.

Nous avions 13 ans quand nous marchions dans la rue et que des hommes ont commencé à nous dévisager de la tête aux pieds. Et nous les écoutions pendant qu'ils remplaçaient notre identité par celle d'un objet. Alors qu'ils nous disaient des choses embarrassantes, nous avons voulu nous enfuir, mais nous sommes restées figées sur place. Nous avons donc continué à marcher plus vite, cherchant n'importe quel autre trottoir juste pour nous enfuir, même si ce chemin ne nous menait pas à notre destination initiale. Parce que maman nous a toujours dit : 'Si tu vois un homme étrange te suivre, traverse la rue. Et souviens-toi, s'il essaie de t'attraper, hurle'.

Et c'est quelque chose que nous avons dû apprendre à l'âge de 13 ans parce que nous sommes de jeunes démons. Nous recevions des fessées de la part des garçons à l'école, mais c'était ok parce que cela voulait juste dire que nous avions un joli corps. Puis ils ont commencé à noter nos corps sur une échelle de 1 à 10. Et si tu étais un 10, tu devais apprendre à passer tes journées en entendant des sifflements, des miaulements et des remarques sur ton passage. Mais si tu étais ce genre de fille, tu ne devais pas t'estimer heureuse. Parce que cela voulait dire que tu recevais le label 'Tu peux faire ce que tu veux de moi' même si tu n'étais pas d'accord avec ça.

Et nous devions faire attention à ce que nous portions parce que si nous montrions la peau de nos épaules, nous devions nous changer parce que cela distrait les garçons de leurs études. Nous, la seule chose que nous apprenions, c'était donc des tours et des trucs pour bien fermer notre chemise pour ne pas trop en montrer. Parce que cela aurait montré aux garçons que c'est ce que nous cherchions. Parce que porter des shorts et des tops voulaient dire que l'on s'exhibait.

Alors, quand nous avons eu 16 ans, nous avons finalement hurlé parce que les hommes qui nous suivaient dans la rue ont réussi à nous attraper. Nous avons dit doucement : 'S'il vous plait, ne me touchez pas. Je sais que je l'ai bien cherché en portant des talons hauts, mais vous me mettez très mal à l'aise, alors arrêtez'. Mais ça voulait dire 'continuez', nous disions 'non', mais ça voulait dire 'oui'. Alors ils nous ont attrapé, enlevé notre robe. Ils nous ont jeté à terre où notre dignité s'est enfoncée encore plus profond que le sol. Ils ont plané au-dessus de nous et nous les avons suppliés d'arrêter. Ils se sont mis sur nous et vous n'avez pas besoin d'entendre la suite parce que nous faisons partie des 68% de victimes qui ne diront jamais ce qui s'est passé. Donc nous récupérerons simplement notre robe, nous rentrerons chez nous, nous prendrons plusieurs douches et nous essaierons de trouver le sommeil. Le lendemain, nous choisirons les vêtements les plus discrets parce que nous voudrons être sûres qu'aucun autre homme dans la rue ne pense que nous sommes assez douces pour qu'il ait envie de nous goûter. Nous voulons être sûres que nous sommes couvertes autant que possible pour que notre identité ne soit pas remplacée par celle d'un bonbon ambulant.

Et nous nous assoirons au fond de la classe où personne ne nous demandera comment s'est passé notre week-end. Parce que si quelqu'un nous pose la question, cela pourrait nous faire fondre en larmes. Et nous vivrons dans la peur. Nous rentrerons chez nous en courant par peur de retomber sur ces hommes qui attendent que l'on soit seule. Nous sommes passées des petits garçons qui nous embêtaient aux hommes qui nous provoquent. Nous sommes passées des petits garçons qui tiraient nos couettes à regarder les traînées de larmes sur notre oreiller chaque soir. Parce que nous savons qu'une fois endormies, nous reverrons ces hommes dans nos rêves. Ces hommes qui nous ont attrapées dans la rue ce soir-là et nous ont laissé nues. Nous sommes passées des jeux avec nos jouets à notre transformation en propre jouets. Les garçons seront toujours des garçons, et nous, les femmes, nous ne dirons jamais rien".