Affaire Matzneff : "La question du consentement sexuel d'un mineur doit être prioritaire"

Publié le Vendredi 10 Janvier 2020
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Gabriel Matzneff en 2013
Gabriel Matzneff en 2013
L'affaire Matzneff fait resurgir la notion du consentement de l'enfant. Les associations demandent un âge minimal de consentement sexuel, absent de la loi actuelle.
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C'est le livre-choc de ce début 2020. Bien loin d'une simple sortie littéraire, l'ouvrage de Vanessa Springora a créé une "affaire", un séisme. Dans son récit, la directrice des éditions Julliard décrit comment, à 14 ans, au milieu des années 80, elle a été prise au piège de l'écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans. Un auteur célébré par ses pairs, "bon client" des plateaux télé sur lesquels il devisait avec la voracité perverse d'un ogre de son goût pour les très jeunes filles et garçons, sans que cela ne fasse sourciller qui que ce soit (à part l'écrivaine Denise Bombardier sur le plateau de Bernard Pivot). Une pédophilie parfaitement explicite et théorisée de façon glaçante dans ses différents ouvrages, à commencer par Les Moins de seize ans en 1974.


Si la justice vient (enfin) d'ouvrir une enquête pour viols commis sur mineurs de moins de 15 ans, l'affaire Matzneff relance le début autour du consentement. Car en l'état, la loi Schiappa du 3 août 2018 n'a pas instauré de seuil d'âge du non-consentement pour les mineur·es. "Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes", souligne le très décrié article 2 de cette loi 2018-703 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Un point polémique contre lequel les associations de protection de l'enfance s'étaient élevées quasi unanimement.

Cette nouvelle secousse permettra-t-elle de rediscuter des mesures législatives autour de ce que le candidat Emmanuel Macron avait pourtant nommé un "vide juridique" avant son élection ? Eclairage de Laura Morin, directrice nationale de L'Enfant Bleu, association qui agit contre les violences faites aux enfants. Pour elle, "la question du consentement sexuel d'un·e mineur·e doit être prioritaire en 2020".

Terrafemina : Que nous apprend l'affaire Matzneff ?

Laura Morin : Ce qui nous choque, c'est que cet homme, sous couvert d'être un auteur et un intellectuel reconnu a pris la liberté de parler de son appétit nauséabond pour des enfants. Car oui, à 14 ans, on est encore une enfant : on n'a pas la capacité de comprendre ce qu'est la sexualité et ce que l'on fait. En plus, Gabriel Matzneff a utilisé des termes très crus, les choses étaient évidentes. Et ses interlocuteurs ont accepté ce comportement.

Il n'existe pas dans la loi d'âge minimal de consentement en France alors que tous les pays européens l'ont instauré. Comment expliquez-vous cette faille ?

L.M. : Malheureusement, on ne saurait l'expliquer. Par contre, ce pour quoi nous nous battons depuis un moment, c'est que l'on reconnaisse la présomption de non-consentement. En France aujourd'hui, ce qui est scandaleux, c'est qu'un enfant doit prouver qu'il n'a pas été consentant à un rapport sexuel avec un adulte. Cela paraît assez fou.

Nous pensons qu'en-dessous de 15 ans, un enfant n'est pas en capacité de décider de vouloir un rapport sexuel avec un adulte. Il ne s'agit pas d'être dans le cadre de l'irréfragabilité, c'est-à-dire que l'auteur soit condamné d'emblée. Par contre, cela devrait être plutôt à l'auteur de prouver qu'il y a eu consentement. On souhaite un renversement de la charge de la preuve.


Pourquoi un enfant peut-il pas être consentant ?

L.M. : Parce qu'un enfant est en construction. Un enfant à 14 ou 13 ans, voire plus jeune, n'a pas la connaissance de la vie. On sait que les adolescent ·es sont dans un va-et-vient constant entre "je suis un enfant" et "Je suis un adulte en devenir". Ils et elles n'ont pas la construction psychique et psychologique pour comprendre les tenants et aboutissants d'un rapport sexuel. D'autant plus que bien souvent, ils et elles connaissent l'agresseur : il y a soit un lien d'attachement, soit la personne a une certaine main mise sur cet enfant et va arriver à le convaincre de telle ou telle chose pour arriver à ses fins. Un enfant n'est pas assez mature pour pouvoir vraiment savoir ce qu'il fait.


Ce qui revient dans le livre Le consentement, c'est cette notion d'emprise.

L.M. : Bien sûr, et c'est ce qui est épouvantable et c'est ce qui nous touche quand on accompagne les victimes : elles sont dans un état de culpabilité terrible. On les a manipulées. Elles ne sont peut-être pas opposées clairement en disant "non" et en rejetant parce que ces prédateurs ont réussi à leur faire croire que c'était "normal" et que c'était presque une forme d'amour et une vraie "relation". C'est très dur pour une victime. Sauf que c'est normal qu'à cet âge-là, on ne comprenne pas et on fasse confiance à l'adulte.


Il y a-t-il une forme de "complaisance" en France à l'égard des pédophiles ?


L.M. : Pas vraiment de complaisance, car la justice condamne ces faits. Mais c'est plutôt que la loi est mal faite. Elle doit être retravaillée. La loi Schiappa de 2018 était censée aider sur ces problématiques, mais elle ne répond pas à ce problème du consentement. Elle introduit seulement la notion de "discernement". Mais qu'est-ce que le "discernement" ? La loi ne le définit pas. C'est donc à chaque juge d'interpréter cette loi.

On se retrouve donc avec des situations extrêmement bizarres. Je pense par exemple à l'affaire Sarah : comment peut-on penser qu'une enfant de 11 ans puisse être consentante à des rapports sexuels avec un adulte ? (en 2018, les parents de Sarah, 11 ans, élève de 6e dans le Val-d'Oise, ont porté plainte pour viol contre un homme de 28 ans. Le parquet n'a retenu que le délit d'"atteinte sexuelle"- Ndlr). On marche sur la tête.

Si le gouvernement devait remanier la loi, ce serait reconnaître l'échec du fameux article 2 de la loi Schiappa ?

L.M. : Mais c'est un échec, évidemment ! A l'époque, nous nous sommes battus contre cet article. On a rencontré la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa et ses équipes, on a d'ailleurs fait partie d'un collectif de 60 associations qui ont parlé d'une voix pour dénoncer cet article 2.

Aujourd'hui, l'idée est de pouvoir travailler ensemble, avec les pouvoirs publics, pour enfin introduire cette notion de consentement. Essayons de trouver une solution parce qu'il faut protéger les enfants.

Que demandez-vous exactement aujourd'hui ?

L.M. : On demande qu'il puisse y avoir un groupe de travail pluridisciplinaire avec des psychologues, des juristes, des magistrats, des avocats... Que l'on puisse toutes et tous se réunir autour d'une table et réfléchir à cette notion de non-consentement des mineur·es et que l'on puisse mettre quelque chose en place pour les protéger.

Ils et elles ne doivent pas avoir à faire face à cette violence extrême de devoir prouver qu'il ou elle n'était pas consentant·e. Il faut que la loi soit claire et nette : il faut qu'il soit dit de façon audible et compréhensible qu'il est strictement interdit à un adulte d'avoir des relations sexuels avec un enfant. D'autant plus si l'enfant a moins de 15 ans car il n'a pas le discernement nécessaire.


Avez-vous eu des contacts avec des membres du gouvernement depuis que l'affaire a émergé ?

L.M. : Non, mais on a bon espoir que les choses bougent et que l'on puisse aboutir à quelque chose.