Une femme qui allaitait dans une CAF d'Amiens priée de partir

Publié le Lundi 23 Juillet 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Il est toujours difficile d'allaiter en public
Il est toujours difficile d'allaiter en public
Une femme allaitant son bébé de quatre mois dans une agence de la Caisse d'allocations familiales (CAF) d'Amiens a été priée de partir par deux agents de sécurité. Un comportement qui révèle la gêne qui persiste autour de l'allaitement en public.
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Le 15 juillet dernier, le mannequin américain Mara Martin avait fait sensation sur le podium. Elle avait défilé en maillot de bain, en allaitant sa fille dans les bras. Certain·e·s avaient crié à l'affichage gadget, mais une nouvelle histoire arrivée il y a quelques jours à Amiens révèle une nouvelle fois le tabou qui subsiste autour de l'allaitement.

L'incident est rapporté par le Courrier Picard dans son édition du samedi 21 juillet. Un couple se présent pour un changement de situation à la Caisse d'allocations familiales (CAF) d'Amiens avec son bébé en milieu d'après-midi le jeudi 19 juillet. Il est l'heure du repas pour leur bébé de quatre mois, Louane, mais dehors, il fait extrêmement chaud. Plutôt que de donner le sein dans une voiture surchauffée, la maman, Mélanie Wavrant, 27 ans, décide de s'isoler légèrement dans la salle d'attente de l'agence et de donner le sein. Debout, elle se sert d'un bavoir comme "paravent" avant de mettre sa fille au sein.

Bien mal lui en a pris. Elle est immédiatement sermonnée par le vigile et l'agent d'accueil de ce service public. La jeune mère explique au Courrier Picard : "Ils m'ont dit : 'Vous devriez avoir honte de faire ça devant tout le monde. Il y a des enfants, ça ne se fait pas !'". Ils lui demandent alors de sortir.

Mélanie Wavrant dénonce le comportement de ces agents d'accueil : "Nous avons été presque humiliés. Je me suis sentie discriminée". Et Grégory, le père de Louane, d'ajouter : "C'est complètement anormal. Comment c'est possible de réagir comme ça, surtout à la CAF, un lieu symbolique de la famille !"

Mélanie Wavrant ne s'est pas démontée et elle n'est pas sortie de l'agence : "J'étais choquée, mais je ne suis pas sortie. Je suis restée. J'ai répondu que j'avais le droit d'allaiter ma fille, que je n'allais pas la laisser mourir de faim." Les deux parents affirment avoir été soutenus par les autres usagers.

Aucune disposition n'interdit l'allaitement en public

Contactée par le journal amiénois, la direction de la CAF parle de "réflexe malheureux" de la part des deux agents. La directrice adjointe de l'agence, Anne Upravan, explique également qu'il n'y a aucune consigne ou politique pour refuser aux mères d'allaiter leur bébé à la CAF. Et pour cause, en France, aucune loi ni disposition n'interdit ou n'encadre l'allaitement en public. Pourtant, la gêne persiste et les histoires de femmes tancées en public pour allaiter sont nombreuses.

Dans les pages de l'édition américaine de Slate, la professeuse Amy Bentley du Département de Nutrition, d'études de la nourriture et de la santé publique de l'université de New York, explique pourquoi la société occidentale est devenue si réticente à laisser les femmes allaiter en public. Après la Seconde Guerre mondiale, avec les pin-ups, la poitrine se sexualise : "Alors que les seins deviennent plus sexualisés, ils deviennent moins fonctionnels". Avec le développement de l'industrie des produits pour bébés, donner le sein devient obsolète. Elle ajoute : "Par conséquent, les seins étaient pour les hommes et le sexe."

L'une des autres raisons est l'image qui est alors donnée de l'allaitement, une pratique assimilée aux pays en voie de développement. C'est "un des nombreux facteurs qui ont amené certains Américains à les juger moins civilisés par rapport aux États-Unis et à d'autres pays développés." Depuis des années, les féministes elles-mêmes débattent de l'allaitement.

Le dégoût de l'allaitement est donc une construction sociale comme une autre que l'on pourrait rappeler à ces deux agents de la CAF d'Amiens. En attendant, les deux parents de Louane ont déclaré vouloir poser une main courante pour marquer le coup.