Halina Reijn : "'The Irishman' et 'Once Upon a Time in Hollywood' sont inappropriés"

Publié le Mardi 17 Décembre 2019
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
L'actrice Halina Reijn
L'actrice Halina Reijn
Quelle place pour les femmes réalisatrices dans l'ère post-#MeToo ? A l'occasion des Arcs Film Festival 2019, rendez-vous incontournable du cinéma européen qui se tient du 14 au 21 décembre, nous avons interrogé ces cinéastes inspirantes qui se battent pour faire bouger les lignes. Zoom sur l'actrice et réalisatrice néerlandaise Halina Reijn.
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Le cinéma, Halina Reijn l'a expérimenté devant et derrière la caméra. L'actrice néerlandaise s'est en effet jetée à l'eau cette année en signant un premier film solidement ancré dans l'ère post-#MeToo. Son Instinct suit l'histoire flippante d'une psychologue (incarnée par sa complice Carice van Houten, la Mélisandre de Game of Thrones) confrontée à un délinquant sexuel en période de probation. Un thriller psychologique qu'elle présente aux Arcs Film Festival 2019 en compétition officielle.

Nous avons interrogé Halina Reijn sur sa place de réalisatrice dans une industrie mouvante, ses coups de gueule et ses espoirs.

Terrafemina : Qu'est-ce qui freine les réalisatrices encore aujourd'hui ?

Halina Reijn : Le fait est que nous vivons dans un monde patriarcal et du coup, la plus des histoires qui ont toujours été racontées le sont à travers les yeux d'un homme blanc. J'ai pu le constater durant mes 24 années sur scène à jouer des rôles comme Ophélie dans Hamlet, Hedda Gabler, Lulu, Catarina dans La mégère apprivoisée de Shakespeare : même s'il s'agissait de premiers rôles, ils n'arrivaient jamais à capter l'identité féminine profonde. C'était toujours une version de la vierge, de la mère et de la putain.

99% de femmes travaillant dans le milieu du cinéma et de la télé auraient déjà été confrontées au sexisme. Est-ce votre cas ?


H.R. : Bien sûr, et même des pensées sexistes que j'ai pu avoir. Nous sommes toutes et tous conditionné·es pour penser à partir de la perspective des hommes blancs. Cela prendra beaucoup de temps pour vraiment changer cela. Mais comme c'est excitant de vivre dans une époque où le changement est en train d'arriver !

Est-ce compliqué de faire du cinéma quand on est une femme dans votre pays, les Pays-Bas ?


H.R. : Je pense qu'il y a encore beaucoup de travail à faire, mais nous avons l'immense chance d'avoir beaucoup de femmes à des postes à responsabilités. La directrice de la fondation pour le cinéma était une femme tout comme la directrice de notre principal festival de cinéma néerlandais. Et il y a quelques femmes à des positions importantes dans le milieu télévisuel.

L'affaire Weinstein a bouleversé l'industrie cinématographique ces deux dernières années. Avez-vous déjà perçu des changements ?

H.R. : Le mouvement #MeToo a changé beaucoup de choses. En tant que comédienne de théâtre, j'ai remarqué que les vieux schémas entre les acteurs et les actrices évoluaient, mais je le vois aussi avec la série que j'ai créée avec mon amie l'actrice Carice van Houten et notre boîte de production Man Up. La série s'appelle Red Light, ça parle de prostitution et de trafic de femmes, et j'ai noté que les hommes qui travaillent dessus commençaient à changer petit à petit leurs habitudes. Je pense que nous vivons une période très excitante et nous pouvons participer au mouvement en intégrant toutes les minorités.

Que faudrait-il faire pour booster les représentations féminines devant et derrière la caméra ?


H.R. : Il faudrait que tout le monde soit conscient. Des films comme The Irishman de Scorsese (ou Once Upon a Time in Hollywood de Tarantino) sont - même s'ils sont réalisés par les meilleurs artistes de notre temps - parfaitement inappropriés en 2019 ! Il y a moyen de faire ces films d'une manière à présenter les femmes de façon respectueuse. Le cliché narratif du mec blanc faisant le macho tandis que les femmes restent sexy et silencieuses est dépassé.

La leçon de piano
La leçon de piano

"La leçon de piano" de Jane Campion

Quel est votre film "féministe" préféré ?

H.R. : La leçon de piano de Jane Campion, ce qui peut paraître bizarre sachant que le personnage principal ne parle pas.

Quelle actrice rêveriez-vous de diriger ?


H.R. : Ma muse Carice van Houten.

Quelle femme vous a le plus inspirée cette année ?

H.R. : Ma mère.