Les tâches ménagères tranformées en "hobbie" : la tendance qui fait flipper

Publié le Mercredi 05 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le ménage, un simple hobby "girl power" ?
Le ménage, un simple hobby "girl power" ?
Dans la droite lignée du (bien flippant) mouvement des #TradWives (les femmes au foyer tradis), certaines voix vantent sur les réseaux sociaux les vertus "girl power" des tâches ménagères. Une réflexion en toc ?
À lire aussi

C'est un mouvement plutôt étonnant qui envahit les réseaux sociaux. Certaines influenceuses, comme la dénommée Mme Hinch (alias Sophie Hinchliffe), récoltent effectivement des torrents de likes et de partages en prodiguant... des "tutos" de nettoyage. Le petit parfait de la ménagère redoutable. Suivie par plus de trois millions de fans sur Instagram, la jeune influenceuse britannique ravit ses très nombreux followers en vantant la beauté de la cuisine super-clean et l'efficacité de ses produits ménagers. Ou encore, comme l'énonce l'un de ses livres, "tous les meilleurs conseils de nettoyage pour faire briller votre évier !". Autant de topos balancés à grands coups de bonhomie inspirante et de hashtags en rafale - #mrshinchhome, #instahome, cleaningtips, #homecleaning...

Et pourquoi pas ? Après tout, on dit qu'une maison bien ordonnée est source de sérénité. Mais le souci, c'est que cet état d'esprit aseptisé au possible élude bien des détails de la vie de tous les jours, et pas des moindres.

C'est d'ailleurs ce que relève Grazia UK : il est toujours curieux de louer les vertus cathartiques - si ce n'est "empouvoirantes" - du récurage de toilettes et autres intérieurs dans une société qui n'a pas grand-chose à savoir avec la magie d'un Mary Poppins (la nounou qui range les chambres en deux temps trois mouvements). Comme le décrypte le journal britannique, "le nettoyage serait à 2020 ce que le yoga était à 2005", à savoir une hype totale. Non pas une "corvée" mais un hobbie, suggéré à la gente féminine au gré de publications didactiques et enjouées. Il faut croire que le ménage, c'est branché. Mais faut-il en rire ou en pleurer ?

La charge mentale au placard ?

Depuis des mois déjà, le mouvement des "TradWives" (les femmes au foyer traditionnelles) fait parler de lui sur les réseaux sociaux : celles qui s'en revendiquent disent vouloir renouer avec les "valeurs sûres" du bon vieux temps. Elles s'exercent donc à restaurer le fantasme des épouses "parfaites". Mais si, vous savez, celles qui font reluire leur parquet et concoctent de bons petits plats à leurs époux avant son retour du travail. Au passage, les "tradwives" en profitent pour fustiger les "extrêmes" des dernières révolutions féministes. Dans un élan moins ouvertement réac mais tout aussi discutable, certaines influenceuses participent de leur côté au nouveau "boom" des tâches ménagères. Résultat, ce sont bien des inégalités qui sont passées sous silence.

Car au fil de ces célébrations volontiers féminines, de celles qui envahissent le fil Instagram de "Mrs Hinch", on oublie bien souvent d'évoquer l'inégale répartition des tâches ménagères. Et oui, le ménage n'est pas qu'un passe-temps ! Il est avant tout le reflet d'une inquiétante disparité. Car les Françaises en couple dédient pas moins de 61 % de leur temps libre à la cuisine, la vaisselle, le ménage, l'entretien du linge, les courses et 73% des femmes réalisent plus de tâches ménagères que les hommes.

Une nuance plutôt grandiose qui nous renvoie à la notion de "charge mentale". Ériger simplement les labeurs ménagers en occupations "empouvoirantes", c'est taire cette fatigue aussi physique que psychologique. C'est ignorer toute la dimension sociale inhérente aux tâches domestiques, et la volonté de parité qui, aujourd'hui, anime bien des débats sur le sujet. Une parité compliquée dans la société actuelle, à moins que les hommes eux aussi y voient une source "d'empowerment". Mais hélas, on attend encore un "Monsieur Hinch" !

Interrogé par Grazia UK, le professeur Roderick Orner voit toutefois en cette "glamourisation" du ménage un tout autre discours, suggéré entre les lignes : l'expression d'une profonde crise existentielle. A l'écouter, ériger ces tâches en hobbies permettrait de combler un vide, voire d'échapper à "un sentiment de tristesse" à la fois intime et universel : "La vraie question est de comprendre ce que le nettoyage remplace dans votre vie", philosophe à ce titre le chercheur. La manie du ménage est-elle avant tout l'expression d'une quête de sens ?

Las, en jetant un oeil aux comptes Instagram blindés de publications sponsorisées (pour des produits d'entretien, des canapés, des lampes de chevet), on peine cependant à croire en cet idéal d'épanouissement.

Le magazine Mirror, de son côté, considère simplement l'influenceuse Sophie Hinchliffe comme une "fanatique du nettoyage", et ne se prive pas de décocher quelques piques sur ces très, très nombreux adeptes. Notamment lorsque ceux-ci recommandent un outil bien insolite pour lutter contre les tâches les plus tenaces : de la mayonnaise ! Des "tips" saugrenus balancés sur un groupe Facebook dont les membres anonymes prétendent, très sérieusement, "qu'étaler de la mayonnaise pleine de graisse sur une marque sale, sur une surface dure, comme un cadre de fenêtre ou une porte d'armoire" serait la solution à tout. Une reco' un peu toc. A l'image de ce "nettoyage is the new cool" ?