Esther Calixte-Béa, l'activiste badass qui veut normaliser les poils féminins

Publié le Jeudi 08 Avril 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Esther Calixte-Béa, alias Queen Esie, est de ces jeunes militantes qui font l'activisme digital d'aujourd'hui.
Esther Calixte-Béa, alias Queen Esie, est de ces jeunes militantes qui font l'activisme digital d'aujourd'hui.
A seulement 24 ans, Esther Calixte-Béa inspire ses milliers de followers. L'édition british du magazine "Glamour" lui a même dédié une Une. Il faut dire que son engagement force l'admiration. Le combat de cette jeune Québécoise ? La cause du poil.
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C'est une activiste au poil. Enfant de la fin des années 90, la Québécoise Esther Calixte-Béa est de ces jeunes militantes qui font l'activisme digital d'aujourd'hui. De ses posts Instagram abondamment likés aux Unes de magazines comme Glamour, la jeune féministe est saluée pour ses convictions personnelles qui sonnent comme autant de luttes collectives. A savoir : briser une bonne fois pour toutes le tabou de la pilosité au féminin.

Un sujet qui, malgré sa médiatisation de plus en plus encourageante, fait encore grincer bien des dents. Symbole de la virilité, le poil serait l'antithèse de la féminité. C'est tout du moins ce que semblent suggérer diktats profondément ancrés et publicités sexistes, susceptibles de vous décocher un pudibond "Cachez ce poil que l'on ne saurait voir". Face à cette (auto)censure tenace, Esther Calixte-Béa répond par la mise à nu. La jeune Québécoise n'hésite effectivement pas à dévoiler les poils qui ornent sa poitrine. Comme une fierté.

De là à dire que le poil est politique, il n'y a qu'un pas.

"Changer la façon dont je voyais mon corps"

"Je n'avais jamais vu une femme en couverture d'un magazine avec des poils sur la poitrine. Et c'est moi ! Je n'aurais jamais pensé que je pourrais faire la différence et participer à faire bouger les mentalités ! Enfant, j'aurais aimé voir des femmes qui me ressemblent, poilues", s'est réjouie la principale concernée auprès du Huffington Post Québec à propos de cette Une de Glamour, qui a introduit d'une bien belle manière l'année 2021.

Une consécration pour celle qui milite principalement sur les réseaux sociaux, sous le nom plutôt classe de Reine Esie, afin d'envoyer bouler non-dits et injonctions autour de ce poil volontiers diabolisé. Ces injonctions, Esther Calixte-Béa s'y est très tôt confrontée. Et parmi elles, la sacrosainte épilation. Dès ses onze ans, la vingtenaire découvre ses poils, et les envisage comme un obstacle à sa féminité. Elle s'épile régulièrement et évite même certaines fêtes ou rendez-vous amicaux, qui l'obligeraient à venir en tenue légère ou en maillot de bain.

Une histoire intime comme bien des femmes ont du en vivre.

"Être timide était un fardeau en tant que petite fille, et haïr mon corps était donc préjudiciable à ma santé mentale. J'ai fini par être fatiguée de tout cela. Et j'ai progressivement réalisé l'importance de travailler sur la façon dont je voyais mon corps, et la façon de la changer", explique-t-elle simplement au média en ligne Girls Are Awesome. Recherches personnelles et conversations familiales vont finalement faire comprendre à l'activiste d'origine haïtienne et ivoirienne que les poils "peuvent être un symbole de beauté", assure-t-elle au Huffington Post.

Et de liberté, aussi.

Des projets libérateurs à souhait

C'est ce message qu'elle souhaite relayer désormais. Et pas n'importe comment. Sous la forme de projets persos avant tout, à l'image de l'initiative The Lavender, retentissante série de photographies sur la pilosité féminine initiée durant l'été 2019. Pour cette jeune diplômée en peinture et dessins, l'image est importante si ce n'est capitale. Elle lui permet d'illustrer avec éloquence les causes qu'elle défend. Ses publications sont autant d'autoportraits stimulants, accompagnés de messages susceptibles d'éveiller les consciences.

Et quand elle prend la pose sur la couverture du magazine Glamour en janvier 2021, ce sont ses propres créations vestimentaires qu'elle arbore, excusez du peu. La reine est donc artiste graphique et styliste, voire même "hair stylist" à l'occasion. Mais c'est encore elle qui évoque le mieux son travail. Au média en ligne Girls Are Awesome toujours, elle se définit comme une "peintre de la pilosité corporelle". Joli. Et aime aussi à se présenter comme "une femme avec des poils" cherchant à aider ses consoeurs à s'aimer et à s'accepter davantage.

Derrière l'optique singulière du poil, c'est donc un projet sororal global qui s'esquisse. "Je veux montrer aux femmes qu'elles peuvent s'émanciper des normes de beauté toxiques imposées par la société et redéfinir la beauté pour elles-mêmes", décoche-t-elle avec assurance. Comme un appel à la révolution. Révolution tranquille qu'elle soutient doucement mais sûrement, notamment en participant au Januhairy, cette campagne anglophone annuelle visant à normaliser les poils sous la forme de créations, de photos et de témoignages.

Sa campagne à elle, elle la mène sur la Toile, mais aussi sur ses toiles. Interrogée par le média canadien 24 Heures, elle explique faire passer ses discrètes transgressions à grands coups de pinceaux. "Quand je peins mes personnages féminins, je rajoute parfois un peu de poil juste pour voir. C'est comme s'il y avait quelque chose en moi qui voulait à tout prix parler des poils !", s'amuse-t-elle.

On l'aura compris, "Queen Esie" interroge autant les normes sociales que les conventions plus insidieuses de l'art - en décomplexant notamment l'imaginaire balisé au possible du nu. Des systèmes patriarcaux, compliqués à reconfigurer. On lui souhaite de poursuivre cette croisade. En attendant, c'est à l'adresse de ses lectrices qu'elle propage de bienveillantes ondes. "Soyez conscientes de ce que vous ressentez à propos de votre corps. Essayez d'identifier pourquoi vos pensées négatives surviennent. Suivez des influenceuses qui vous ressemblent ou qui vous font sentir en confiance. Le conseil le plus important que je puisse vous donner est d'être gentille avec vous-même. Car parfois, nous sommes notre propre plus grande ennemie".

Queen Esie, elle, est une amie sacrément précieuse.