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La dépression post-partum, un enjeu de santé mentale à ne surtout pas négliger

Publié le Mercredi 11 Octobre 2023
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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Mise en lumière depuis le hashtag #MonPostPartum, co-initié par Illana Weizman (autrice de "Ceci est notre post partum"), la dépression post partum est bien réelle. Et pourtant on en parle encore trop peu. Alors qu'elle concerne beaucoup de femmes.
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A l'occasion de la Semaine de la santé mentale, il est bon de rappeler que celle des femmes est synonyme d'enjeux aussi bien intimes que politiques. Et cela, c'est ce que démontre un syndrome qui concerne un grand nombre d'entre elles : la dépression du post-partum. A ne pas confondre avec le "baby blues".

Le post-partum, c'est la période qui succède à l'accouchement, et dont la durée est indéterminée. Et elle n'est pas toujours facile à vivre. De par ses incidences physiques, et psychologiques, elle peut engendrer une dépression. La dépression post partum n'est pas rare : elle toucherait une femme sur six, selon un rapport de Santé publique France publié en septembre 2023.

Cela, un hashtag l'a démontré sur Twitter en février 2020 : #MonPostPartum, co-initié par la journaliste, sociologue et autrice Illana Weizman. A travers ce mot-clés se sont accumulés les témoignages de mères anonymes, partageant leur fatigue, leur mal-être, leurs doutes, leurs pensées noires.

Dans son livre Ceci est notre post-partum, Illana Weizman rappelle que dans une société qui sacralise la maternité, suggérer qu'elle n'est pas toujours heureuse fait encore office de grand tabou. Et pourtant, il est plus que nécessaire d'aborder sans détour la santé des femmes, et des mères.

Il faut libérer la parole à propos de la dépression post partum et du "burn out maternel"

Afin de permettre une libération de la parole, les militantes féministes s'expriment sur les réseaux sociaux, mais également les stars. L'an dernier, Audrey Fleurot était venue témoigner de sa propre expérience : "On nous donne l'impression qu'une fois que vous accouchez, un lien immédiat se construit. Mais pas du tout. Vous êtes face à un élément étranger que vous allez devoir apprivoiser autant qu'il doit vous apprivoiser, vous".

"Soudain, la vie de cette personne est complètement entre vos mains. C'est terriblement angoissant. Si vous ne vous en occupez pas bien, il meurt. Je me suis déjà dit : J'ai fait la plus grosse erreur de ma vie, je ne vais pas y arriver toute seule. Si on m'avait plus tôt que ce n'était pas de ma faute, que je n'y pouvais rien et qu'il fallait que je prenne un traitement pour me recadrer, j'aurais perdu moins de temps", détaillait l'actrice de HPI.

Fanny Toussaint est sage femme et ancienne première vice-présidente de l'Association Nationale des Etudiant.e.s Sage-Femme (ANESF). Ses réflexions ont aussi bien trait à la vie sexuelle et affective qu'aux enjeux autour de la contraception. Elle a éclairci nos interrogations à propos de ce sujet complexe.

Terrafemina : Comment pourrait-on précisément définir la dépression post-partum ?

Fanny Toussaint : Le post partum, c'est la période "après l'accouchement". Il n'y a pas forcément de délais précis à ce titre. La dépression du post-partum est une dépression justement liée à l'accouchement. A noter qu'on peut aussi observer une dépression pré-partum, c'est à dire, qui précède l'accouchement.

Avec la libération de la parole massive qui a pris place sur les réseaux sociaux, et dans les médias, on a l'impression qu'un très grand nombre de mères ont pu en souffrir. Est-ce la réalité ?

Fanny Toussaint : Oui, c'est assez fréquent, la dépression post-partum.

A titre d'exemple, on estime à 10 % les mères qui en ont déjà été sujettes, ce qui est énorme en vérité. Cela a toujours existé. Je pense qu'avant, on posait moins les mots sur ce problème, ou tout simplement, les femmes qui en souffrent n'en parlaient pas.

Le taux de burn out maternel explose (et l'Ifop s'en alarme)

Grâce à des autrices et des militantes comme Illana Weizman, la parole s'est bien davantage ouverte ces dernières années. Et puisque c'est plus évoqué, c'est également mieux traité. On prend davantage la mesure de l'étendue du problème dans notre société, on s'intéresse de plus belle à la gestion du post-partum chez les mères, on observe davantage de prévention de la part des professionnels de la santé, qui sont plus sensibilisés.

Dès la sortie de la maternité, on va aborder auprès des mères le phénomène du "baby blues", les questions de santé mentale - elles peuvent également interroger les professionnels de la santé à ce sujet.

Mais qu'est-ce qui différencie au juste le "baby blues" de la dépression post-partum ?

Fanny Toussaint : Le baby blues, qui est assez fréquent, partage avec la dépression post-partum le même sentiment de tristesse ressentie. Si tout semble "bien aller" en apparence, on peut pleurer, ne pas se sentir au mieux... Mais ce sentiment éprouvant s'arrête au bout d'un moment.

Si cela dure plus d'une semaine, deux semaines, trois semaines, alors cela devient vraiment difficile à gérer pour la mère. Et même dangereux. Si ce mal-être persiste, on est plus dans le "baby blues" à proprement parler...

Comment expliquer cette dépression ?

Fanny Toussaint : L'arrivée d'un enfant est toujours un gros chamboulement.

La fatigue est très importante, elle vient chambouler le quotidien de la mère. Le ressenti physique donc (la chute hormonale notamment), mais également la manière dont l'on se perçoit durant cette période, le fait de s'approprier un tout nouveau corps, tout cela joue forcément, concernant la santé mentale.

On pourra aussi parler de "burn out maternel".

Quels en sont les symptômes ?

Fanny Toussaint : Ils ne diffèrent pas tant d'une dépression "de base".

On va surtout observer une fatigue, une perte du goût en la vie, qui va s'éterniser, des idées noires, voire... Quelque chose qui peut dégénérer en psychose puerpérale, qui est une pathologie psychiatrique [il s'agit d'un trouble psychiatrique, caractérisé par le délire et la confusion, et pouvant survenir dans la semaine qui suit la naissance , ndlr].

C'est dans ce cas là que les finalités peuvent être graves : le suicide, des infanticides, des états de psychose et de dissociation... Il faut par exemple savoir que le suicide est la première cause de mortalité chez les mères ! [toujours selon l'enquête de Santé Publique France citée en début d'article, une femme sur 20 déclarerait avoir déjà eu des idées suicidaires deux mois après l'accouchement, et au cours de la première année de vie du bébé, l'on dénombrerait un suicide de jeune mère par mois, ndlr]

Les dessous du post partum ne sont pas toujours roses.

... Mais également, que chaque individu qui souffre de dépression ne présente pas forcément l'ensemble des symptômes qui lui sont associés. C'est donc pareil pour la dépression du post partum.

Bien des personnes dépressives n'osent guère en parler car elles ressentent de la honte, de la gêne, voire de la culpabilité. Qu'en est-il des femmes qui souffrent de dépression post-partum ?

Fanny Toussaint : Les pressions que subissent les femmes persistent dans notre société, même si cela change petit à petit. A savoir notamment, que dans l'inconscient collectif, la maternité doit forcément être une expérience formidable, tout doit aller pour le mieux... Alors qu'il y a des difficultés qui émergent : modifications hormonales, fatigue, charge de travail...

Et face à cela, il y a une pression chez les femmes à tout mener de front. Le travail, le fait de s'occuper de son travail, de son enfant. Autant de charges supplémentaires difficiles à supporter. En outre, on dit trop facilement qu'une mère doit "passer après ses enfants". C'est pour cela que la dépression n'est pas toujours avouable de la part des personnes concernées.

Mais tout cela dépend de beaucoup de choses. Du milieu social, de la situation conjugale, de l'égale répartition des tâches au sein du foyer, de si l'on arrive à atteindre quelque chose de plus égalitaire avec le co-parent, ce qui peut aider, tout comme le soutien de la famille, de l'entourage.

Cette dépression peut-elle émerger non pas après la naissance du premier enfant, mais du second, du troisième ?

Fanny Toussaint : Tout à fait. L'arrivée du premier enfant et des enfants suivants, ce n'est pas le même chamboulement pour la mère, mais ça reste un chamboulement à chaque fois.

Comment traiter cette dépression ?

Fanny Toussaint : Il faut préciser que comme toute problématique de santé mentale, si on ne le prend pas en charge, cela va rarement en s'améliorant. Concernant les traitements, ils rejoignent ceux de la dépression de base. Un suivi par un(e) psychiatre ou un(e) psychologue est conventionnel.

Cependant, il faut rappeler que les médicaments, prescrits par les psychiatres et les médecins traitants dans le cadre de la dépression, ne sont pas tous compatibles avec l'allaitement, s'il y a allaitement de la part de la mère. Il convient donc de vérifier cette comptabilité auprès d'un(e) spécialiste.

Les médecins peuvent également prescrire des arrêts de travail, même si dans certains cas, l'environnement professionnel peut faire office de soupape de décompression. Cela dépend une nouvelle fois des patientes.

Fanny Toussaint est sage femme et ancienne première vice-présidente de l'Association Nationale des Etudiant.e.s Sage-Femme (ANESF). Elle est diplômée en sciences humaines et sociales.

Plus d'informations sur le traitement de la dépression post-partum.

Le rapport de Santé publique France publié en septembre 2023 à propos de la dépression post partum, ou "DPP", est à consulter ici.

Illana Weizman est sociologue. Elle est l'autrice de "Ceci est notre post partum : Défaire les mythes et les tabous pour s'émanciper" (Editions Marabout).

Le témoignage d'Audrey Fleurot à propos de la dépression post-partum se retrouve ici.

Pour plus d'informations sur la Semaine de la santé mentale, rendez-vous sur la page de sensibilisation dédiée de Webedia.