La libido post-partum : pourquoi une telle absence de désir ?

Publié le Lundi 30 Mars 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La libido post-accouchement, une absence qui déstabilise
La libido post-accouchement, une absence qui déstabilise
Après l'accouchement, de nombreuses femmes remarquent que leur désir s'est fait la malle. L'envie a laissé place à la crainte ou à l'indifférence. Pour en savoir plus sur cette étape parfois difficile à gérer, on a discuté avec une sexothérapeuthe. Verdict : rassurez-vous, rien n'est irréversible.
À lire aussi

La naissance d'un enfant est un bouleversement indescriptible. Jusque-là, pas de débat. D'adultes plus ou moins responsables, on passe à famille en charge de l'épanouissement d'un mini-humain qui n'a pas encore totalement acquis les bases de la communication. L'adaptation prend du temps. La récupération physique aussi. Car mettons des mots clairs sur les choses : notre vagin a laissé passer une boule de chair d'environ 3 kilos. Aïe, c'est le cas de le dire. Pour les femmes qui ont accouché par césarienne, elles n'auront pas toutes eu à pousser, mais le traumatisme corporel n'en demeure pas douloureux, bien au contraire. Une fois de retour à la maison, on reprend doucement ses marques, on se laisse guérir. Et puis au bout de quelques semaines, le désir revient, les rapports aussi. La vie reprend son cours comme avant. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ou pas.

Car, surprise !, comme notre abdomen et nos seins, chez beaucoup, la libido aussi en a pris un coup. Notre appétit sexuel est au point mort. On a envie d'être touchée comme de jouer au Monopoly avec les Balkany (soit absolument aucune). Si on devait choisir, là tout de suite, entre la bouffe et le coït, on trancherait d'ailleurs sans hésitation pour la première, et à vie. La faute aux hormones et à leur manie peu supportable de jouer avec nos humeurs (la prolactine notamment, qui inhibe la fabrication d'hormones responsables du désir sexuel), à la fatigue aussi, mais pas seulement.

La peur de la douleur

"C'est quelque chose qui est fréquent", rassure Tiphaine Besnard-Santini, sexothérapeute. "On n'est plus la même après une grossesse. Le rapport à certains goûts peut changer et la sexualité aussi : celle-ci devient parfois meilleure, parfois moins bien". Le facteur hormonal prime, appuie-t-elle, mais une autre donnée est à prendre en compte : "Si l'accouchement s'est bien passé, cela peut avoir un effet positif sur la sexualité. Si au contraire, il a été pénible, long, avec des actes invasifs (comme l'épisiotomie), il peut y avoir un traumatisme, une peur de la douleur."

Alors qu'on se remet doucement de cette étape éprouvante qu'est la délivrance de l'enfant tant attendue, l'approche, même progressive, de notre vagin comme source de plaisir nous semble inenvisageable : on pense immédiatement aux conséquences physiques. Et si, pendant la pénétration, les points se déchirent ? La sensation sera-t-elle aussi agréable qu'avant ? La crainte d'avoir mal nous empêche de nous détendre, donc d'être assez lubrifiée, d'apprécier le moment, et on finit par avoir mal. Le serpent qui se mord la queue.

Tiphaine Besnard-Santini ajoute : "C'est assez angoissant d'avoir vu son vagin s'élargir de manière inédite, surtout pour une première grossesse. On peut aussi ne pas avoir retrouvé son corps (il y a le poids, les vergetures), l'image qu'on a de nous-mêmes en tant que femme sexualisée n'est pas la même avant qu'après la naissance. Cela aussi est à prendre en compte".

Se sentir désirable joue un rôle essentiel dans la reconquête de sa sexualité, c'est indéniable. Mais la cohabitation de ces deux identités, celle de femme mère et de femme sexuelle, peut aussi devenir problématique.

Parfois, il est difficile de gérer le rôle de mère et d'amante.
Parfois, il est difficile de gérer le rôle de mère et d'amante.

La difficile dissociation entre la maman et l'amoureuse

"On a parfois beaucoup de mal à conjuguer le rôle de mère et d'amoureuse", poursuit-elle. "Il n'est pas toujours facile de passer de l'un à l'autre. On peut avoir l'impression que d'amener la sexualité dans la maison, qui est devenue le cercle familial, viendrait nuire à l'enfant." L'impossible juxtaposition de la Madone et de la putain remonte loin. Aux traditions judéo-chrétiennes, précisément, ancrées dans l'inconscient collectif. Dans la Bible, les rares personnages féminins en témoignent : il y a Ève, la tentatrice, la Vierge Marie, immaculée conception, et Marie-Madeleine, la prostituée repentie. La maternité est pure, la jouissance un péché. Et les dommages de ce message se font encore sentir aujourd'hui.

"En scindant la femme en deux icônes antagonistes – Marie la douce et Ève la corruptrice –, la tradition judéo-chrétienne nous a toujours enseigné que bonheurs sexuel et maternel étaient antinomiques", explique Michel Bian, sociologue, à PsychoEnfants. "Qu'une femme ne pouvait être à la fois aimante – avec ses enfants – et amante – avec son conjoint".

C'est pourtant tout le contraire, affirme Tiphaine Besnard-Santini. Car plutôt que d'opposer la maman à la femme sexuelle, il faudrait opposer le bien-être à la frustration. "Des parents qui sont amoureux, qui s'aiment, seront heureux et bien dans leur peau, et donc de bons parents. Alors que les parents frustrés sexuellement ont plus de chances d'être malheureux, et donc de moins bons parents. 'Protéger' son enfant en tabouisant la sexualité devient en réalité très nuisible pour lui".

Loin de vouloir culpabiliser les nouvelles mères qui ne ressentent plus de désir, il s'agit plutôt de contredire celles qui croiraient incompatibles le plaisir charnel et leur nouveau rôle.

Que faire pour y remédier ?

Psychologique ou physique, le blocage n'est pas éternel. Avec le temps et un peu d'aide, le corps, comme l'esprit, se remettent. L'ingrédient-clé : user de patience et d'imagination. "Il faut être patiente avec soi-même et que son ou sa partenaire le soit aussi", intime la sexothérapeute. "C'est très difficile de ne pas sombrer dans la culpabilité ni dans l'auto-injonction, en faisant semblant par exemple. Mais il est essentiel d'accepter que les choses changent : la sexualité est chamboulée au même titre que notre quotidien".

Concrètement, Tiphaine Besnard-Santini propose d'explorer de nouvelles voies. "Votre vie sexuelle ne sera peut-être pas comme avant, mais pas forcément d'un point de vue négatif. C'est l'occasion de découvrir d'autres sources de plaisirs, plus sensuelles, moins centrées sur la pénétration et les organes génitaux". Elle incite ainsi à aller faire un tour du côté du sexe tantrique, à utiliser des huiles de massage pour se caresser, seule ou à deux, et à "faire redescendre les tensions accumulées autour du bassin", du vagin et de la vulve. S'embrasser, se câliner, jusqu'à ce que l'envie refasse surface. Tester le yoga hormonal, aussi, qui permet de refaire circuler l'énergie. Et puis, surtout, s'écouter. Suivre ses envies, sans pression. "Plus on sera bienveillante, plus cela reviendra, à son rythme". Vivement.