Les soldes ou la ségrégation anti-grosses

Publié le Mercredi 09 Janvier 2019
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Les soldes 2019 où la ségrégation anti-grosses
Les soldes 2019 où la ségrégation anti-grosses
La mode laisse tomber les femmes au-dessus du 42. Et le jour des soldes, ce privilège d'être mince se voit encore plus que les autres.
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Y-a-t-il un privilège à être mince ? Clairement en cette ouverture de soldes, je peux vous dire que oui. Cela saute aux yeux encore plus ce jour que les autres jours de l'année.


Ce mercredi9 janvier, c'est le début des soldes d'hiver. Mais pour qui ? La moitié des femmes de France va avoir le droit de se ruer chez Mango, Zara, Camaïeu, Etam ou Undiz.

La moitié des femmes de France seulement pourront se permettre de passer la porte de ces magasins pendant les promos. Les autres regarderont des sujets à la télé qui ne les concernent pas, ou iront se fournir sur internet. Parce qu'elles n'ont pas le privilège d'être minces.


Moi, cela fait des années que j'ai compris que je ne mettrais plus jamais les pieds dans certains magasins. La première fois que je l'ai compris, c'est quand je suis allée faire du shopping avec ma mère pour me racheter un pantalon, je devais avoir 15 ans. Je suis ressortie en pleurs de la boutique parce qu'il n'y avait pas ma taille. J'avais grossi et je ne rentrais plus dans du 42. Fin de l'histoire.


Un peu plus tard au lycée, j'ai eu l'outrecuidance d'entrer dans un Kookaï. Je n'y est plus posé un pied depuis. Ça va donc faire presque 15 ans. Et à chaque fois que je me promène dans la rue et que je passe devant un Kookaï, je repense à cette histoire d'il y a quinze ans.


Que ce fut tellement rafraîchissant de voir des militantes anglaises crier en décembre dernier devant un magasin Victoria's Secret : "La mode nous laisse tomber".


La mode m'a laissé tomber, j'étais adolescente. Combien de filles la mode a-t-elle laissé de côté parce qu'elles dépassent le 42-44 ?


Mais je vais vous dire, j'ai de la chance, je fais du 46, je peux encore trouver quelques marques qui proposent ma taille. Je suis dans cette espèce d'entre-deux. Mes collègues se moquent de moi avec ma mono-manie d'aller chez Caroll, mais parce que je sais que je vais y trouver ce que je cherche. Mais cette marque s'arrête là, pas de taille au-dessus du 46.


Que dire aux femmes qui font plus que du 46 ? Il faut acheter en ligne. Le faire dans son coin sans encombrer les magasins grand public de nos bourrelets.


Pourtant, combien de fois faudra-t-il le rappeler : la taille moyenne des Françaises est le 42. Le 42 ! Cela veut dire que les marques grand public en France excluent de fait la moitié de la population féminine de ce pays. Et pour cela, Etam, Mango ou Zara, vous n'avez absolument aucune excuse (Etam, on t'a vu avec tes tailles XL de culottes qui sont en fait un 42). C'est tout simplement de la grossophobie.


Certaines marques ont créé des gammes "grande taille". Mango par exemple a créé Violeta, H&M a des rayons dédiés. Mais ce que vous ne comprenez pas, c'est que c'est que vos gammes sont une forme de ségrégation. Parce qu'il y a les minces, les acceptables, et les autres.


Que dire de cette marque britannique, River Island, qui a lancé en grandes pompes une ligne "plus size" histoire de se la jouer inclusive avant de la retirer en douce sans avertir personne ? C'est une journaliste qui a enquêté pour finalement s'apercevoir qu'elle avait complètement disparu des magasins physiques mais restait dispo sur le site internet. Traduction : "On veut bien te vendre des bouts de tissus, mais s'il te plaît, cache-toi".


Maintenant, je ne vais également plus dans ces magasins pour des raisons éthiques, parce que la fast fashion ne correspond pas à mes valeurs en matière d'environnement. Mais vers qui me tourner ? Les marques inclusives et irréprochables sur le plan écologique et mettables sont introuvables (j'ai cherché).

Et cela n'est pas qu'une question de moyens. La preuve avec l'histoire de la mannequin Tess Holliday à l'occasion des Golden Globes.


Elle a raconté comment se joue cette exclusion et la façon dont elle a galéré pour trouver une robe pour fouler le tapis rouge : "Il n'y a tout simplement pas d'options haut de gamme pour votre taille en dernière minute. [...] Merci à ma styliste @littlelimedress qui s'est cassée le cul pendant 2 jours pour avoir dans ma taille 22/24 quelque chose de joli à porter. La prochaine fois, je me montrerai nue si les designer·euses ne s'y mettent pas."

Le mot plus size, une ségrégation de plus


Je ne veux plus utiliser le mot "grande taille" ou "plus size". L'utilisation de ces mots est une discrimination supplémentaire. Jamais on ne dira d'une fille qui fait du 38 qu'elle doit aller dans le rayon "petite taille". Donc lâchez-nous avec les "plus size". Nous sommes qui nous sommes, juste des personnes qui cherchons un putain de jean à se mettre sur les fesses.


Par la même occasion, je ne veux plus utiliser le mot "body positive", je ne veut pas d'une étiquette pour le simple fait d'exister. J'ai des bourrelets, je suis grosse, je suis une femme à part entière. Entière ! Comme les autres ! Pas en plus des autres.


Tess Holliday est tellement magnifique, la chanteuse Lizzo est tellement sexy, je ne mettrais pas le label "body positive" sur leur démarche : elles sont juste des femmes qui vivent pleinement leur vie comme elles l'entendent. Elles ne s'excusent pas à la face des gens qui les trouvent trop grosses pour simplement exister et vivre dans l'espace public.


Bilan : si tu veux mon argent, propose plus de tailles, en 46, mais aussi en 48, en 56 ou en 70.