Sonita Alizadeh, la rappeuse afghane sauvée d'un mariage forcé grâce à Youtube

Publié le Lundi 19 Octobre 2015
Audrey Salles-Cook
Par Audrey Salles-Cook journaliste
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Aujourd'hui, Sonita Alizadeh est majeure et vit aux Etats-Unis, où elle poursuit ses études. Mais ce scénario miraculeux avait bien peu de chance de se réaliser, si cette jeune Afghane n'avait pas échappé de justesse à deux mariage forcés. C'est grâce à son talent qu'elle a réussi à changer son destin.
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A 18 ans, Sonita Alizadeh est devenue le nouveau symbole de la lutte contre le mariage forcé. Alors que ses parents ont tenté de la marier de force deux fois de suite, la jeune femme a réussi à échapper à son destin et cartonne sur Youtube, avec son tube "Brides for sale" ("Mariées à vendre").

Tout commence à l'âge de 10 ans, quand cette petite Afghane évite par chance une première union imposée par ses parents. Mais le répit sera de courte durée, puisque 6 ans plus tard, ils essayent finalement de la vendre à un autre homme pour la somme de 9000 dollars. Une décision qui terrorise la jeune fille, qui n'hésite pas à se dresser contre ses parents et sa mère en particulier. Interviewée par la chaîne télévisée américaine CNN, elle témoigne:

"Je lui ai demandé: comment peux-tu vendre ta fille? Elle m'a répondu que c'était une tradition".

Une tradition qui a la peau dure en Afghanistan, où les talibans ont appliqué la loi ultra rigoriste de la charia pendant plus de 4 ans, de 1996 à 2001.

Incapable de se marier avec un homme qu'elle ne connaît pas, Sonita décide alors d'exprimer sa colère dans une chanson. Derrière le dos de ses parents, elle publie ce texte poignant sur Youtube, où les internautes se mobilisent par milliers pour l'encourager. Dans "Brides for Sale", Sonita commence sa chanson d'une façon presque inaudible, pour rendre hommage aux femmes afghanes oppressées :

"Laissez-moi murmurer ces mots. Personne ne doit m'entendre parler des filles que l'on vend. Ma voix ne doit pas être entendue, car elle est contre la charia. Les femmes gardez le silence. C'est une tradition chez nous".

Un début timide, que la rappeuse casse rapidement en scandant : "Laisse-moi hurler. Je n'en peux plus de ce silence. Ôte tes mains de mon corps. Je hurle pour combler le silence des femmes. Je crie pour un corps épuisé et enfermé dans sa cage. Peut-être que la fuite et le suicide sont terriblement stupides. Mais que faire quand on n'a pas de soutien ? Je voudrais que vous étudiez le Coran. Je souhaite que vous sachiez que les femmes ne sont pas à vendre".

Un message fort, dont des centaines de milliers d'internautes se font rapidement l'écho sur la toile. Mais malgré tout le soutien qu'elle reçoit, Sonita est inquiète et se réfugie d'abord en Iran avant d'émigrer aux Etats-Unis pour y poursuivre ses études. Et si ses parents ont d'abord essayé de l'en dissuader, une fois la vidéo mise en ligne, la mère de Sonita a appelé sa fille pour la féliciter. Interrogée par le New York Times, elle raconte :

"Dans mon pays, une gentille fille doit rester silencieuse. Une gentille fille est comme un chien, avec qui on joue. Mais je suis une chanteuse et je veux un avenir radieux. Ma musique était le cauchemar de ma mère. Maintenant, elle est l'une de mes plus grands fans".

Une belle revanche pour Sonita, qui était l'une des invitées d'honneur du dernier sommet annuel de l'association Women in the World à Londres.

Lors de cette intervention exceptionnelle, la rappeuse a réaffirmé son souhait de retourner un jour dans son pays pour faire avancer la cause des femmes.

En novembre prochain, un documentaire qui lui est entièrement consacré ouvrira le célèbre Festival IDFA à Amsterdam. Une initiative de bon ton, à l'heure où les Nations Unis estiment que 60 à 80% de la totalité des mariages afghans, sont des unions forcées.