Quand la téléréalité squatte nos écrans

Publié le Vendredi 04 Novembre 2011
Quand la téléréalité squatte nos écrans
Quand la téléréalité squatte nos écrans
La saison 5 de « Secret Story » à peine achevée sur TF1, la chaîne NRJ 12 annonçait le retour de la « Star Academy » sur son antenne. Pourtant, après le flop de « Carré Viiip », la téléréalité semblait en sursis. Alors quel est le secret de séduction de ce genre pourtant largement controversé ? A-t-il encore un avenir ? Terrafemina a mené l’enquête…
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Une téléréalité ? Des téléréalités !

« Carré Viiip », « Nice People », « Je suis une célébrité, sortez-moi de là ». Si les émissions de téléréalité ont fait, depuis le lancement de Loft Story il y a dix ans, les beaux jours des chaînes de télévision françaises ces dernières années, les flops se sont multipliés. A tel point que la mort du genre, en France, avait déjà été annoncée. En septembre, l’animateur et spécialiste des médias, Jean-Marc Morandini écrivait d’ailleurs dans un billet d’humeur : « On était certain qu’elle allait se faire plus discrète. Les observateurs l’affirmaient, elle ne devrait pas vraiment pointer le bout de son nez cette saison, préférant la discrétion des deuxièmes parties de soirée. Et pourtant, depuis la mi-août, les annonces se succèdent et c’est une certitude, elle revient en force. Elle, c’est la téléréalité, dont TF1 et M6 semblent bien décidées à faire l’un de leur fonds de commerce ». Ainsi, trois semaines après la finale de « Secret Story saison 5 », la téléréalité est plus que jamais présente sur nos petits écrans, de « Masterchef » à « Koh-Lanta » en passant par « Les Anges de la Téléréalité ».
Car aussi différents soient-ils, ces programmes relèvent bel et bien d’un même concept. Et face au succès et à la multiplicité de ces derniers, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a souhaité en définir les contours… en vain. « Il s’agissait d’un dialogue pour cerner la téléréalité », explique Françoise Laborde, membre du CSA et coprésidente de la commission de réflexion sur le sujet. Mais à l’issue d’une année de travail, de discussions et d’échanges avec des sociétés de production, des syndicats de producteurs, des groupes audiovisuels ou des associations de familles, il ressort « que les émissions de téléréalité ne constituent pas un genre en soi mais qu’elles relèvent des genres de programmes existants (concours de talents, émissions d’enfermement, magazines de coaching, de rencontre, etc.). Le genre téléréalité n’existe pas, il existe seulement des émissions dites de téléréalité. » Impossible donc de définir un genre unique. Et pour cause, les sages ont recensé pas moins de 120 types de téléréalité.

Une relation amour-haine

Quoi qu’il en soit, la téléréalité reste à la fois la forme de télévision la plus regardée et la plus controversée. En février, un sondage de la société de conseil aux entreprises The Foundation lui décernait ainsi la palme de la pire invention de la décennie. Malgré leur addiction à « Big Brother », 32 % des Britanniques la jugeaient en effet vulgaire. Paradoxalement, selon le dernier rapport annuel du cabinet Eurodata TV, qui analyse les audiences des programmes télévisés de 80 pays dans le monde, les émissions de téléréalité seraient très plébiscitées par les téléspectateurs. Elles occuperaient d’ailleurs la première place d’un classement traditionnellement occupé par les fictions.
Une relation amour-haine qui n’étonne pas le directeur du Ceisme (Centre d’Etudes sur les Images et les Sons Médiatiques), François Jost. Il estime que les candidats de ces émissions sont bien plus proches du téléspectateur que celui-ci ne veut bien l’avouer. « Nous nous mesurons constamment à ce que nous voyons à l’écran, analyse-t-il. Ce que l’on aime dans Secret Story, ce sont à la fois tous ces ragots, ces manipulations et aussi la moquerie. C’est trop bon de rire de la bêtise des candidats. La téléréalité met en avant nos mauvais côtés et un certain nombre de pulsions plus ou moins avouables ». Un point de vue partagé par le philosophe Damien Le Guay, auteur de « L’Empire de la téléréalité ». Selon lui, ces programmes reflèteraient nos comportements et, pire, les conditionneraient.
Aussi, alors que les jeunes de 14 à 25 ans se révèlent particulièrement friands de ces formats, Michaël Stora, auteur de « Les Ecrans, ça rend accros », met en garde. « La téléréalité propose un modèle de réussite infantile. Elle met en scène la capacité de jeunes à advenir et à réussir en écrasant les autres, comme s’il n’existait aucun autre moyen d’imposer son point de vue. » Des valeurs à l’exact opposé de celles véhiculées par la famille, la société et l’école dans son ensemble. Dans ce cadre, le CSA veille donc au grain. Séquence à caractère humiliant, propos injurieux, traitement avilissant et dégradant, banalisation de conflits : l’autorité rappelle régulièrement à l’ordre des chaînes diffusant des émissions d’enfermement, notamment, et qui auraient dépassé une certaine limite morale.

La relève est assurée

Et les sages ne semblent pas décidés à relâcher leur surveillance. Pour preuve, de nouvelles recommandations ont récemment été édictées à l’intention des producteurs de téléréalité. L’objectif : davantage de vigilance à l’égard des enfants. Les premiers résultats ne se sont pas fait attendre. Certains spécialistes remarquent déjà que la téléréalité française s’oriente vers moins de voyeurisme et plus d’empathie. « Dans l’édition 2011 de Secret Story, on a pu constater des efforts en termes de vocabulaire ou de rapport entre les candidats par exemple », détaille Françoise Laborde. Et de nuancer, « C’est encourageant, mais il y a encore des précautions à prendre ». François Jost a également constaté une évolution, mais celle-ci tendrait vers plus de télé et moins de réalité. « Aujourd’hui, la transparence et l’authenticité ont disparu. Dans les émissions d’enfermement, c’est la production qui dicte leur comportement aux candidats en prétextant telle ou telle mission. »
Ces programmes seraient donc en passe de perdre ce qui constituait leur ADN : la réalité ? Peu importe car d’autres formats ont déjà pris la relève. En septembre dernier, « baby-boom » a ainsi fait un véritable carton sur TF1 en proposant aux téléspectateurs de découvrir l’envers d’une maternité, tandis que M6 confirmait, pour sa sixième saison, le succès de « L’Amour est dans le Pré». A ces programmes s’ajoutent également ceux en préparation, comme la « Star Academy » qui devrait, en 2012, faire un retour remarqué sur NRJ 12, une chaîne de la TNT. Adulée ou critiquée, la téléréalité semble donc encore avoir de beaux jours devant elle, pour le plus grand bonheur des téléspectateurs et des chaînes.

Crédit photo : © ALP / A.Issock/TF1

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