Dans une tribune défendant "une autre parole" publiée mardi 9 janvier dans Le Monde, cent personnalités féminines, parmi lesquelles l'actrice Catherine Deneuve, les journalistes Elisabeth Levy et Peggy Sastre, l'écrivaine Catherine Millet et la comédienne Catherine Robbe-Grillet ont défendu la "liberté d'importuner" des hommes et dénoncé le "puritanisme" qui accompagnerait la libération de la parole des femmes, née avec les mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo.
Autant dire qu'à l'heure où la prise de conscience des violences sexistes et sexuelles que subissent quotidiennement les femmes n'en est encore qu'à ses balbutiements, la tribune est mal passée. Alors depuis, ses auteures et signataires écument les plateaux télé et les matinales pour défendre leur point de vue et s'expliquer. Quitte, parfois, à sortir des énormités qui vont au-delà du simple dérapage et peuvent s'avérer dangereuses pour celles qui cherchent à faire respecter leur dignité et l'intégrité de leur corps.
Invitée jeudi 11 janvier sur le plateau de "Quotidien", l'écrivaine Catherine Millet a expliqué toute la compassion qu'elle avait pour les frotteurs du métro, en proie selon elle à une "misère sexuelle", qui leur rendrait impossible de se contrôler.
Bon. Par où commencer ? Peut-être en rappelant que "misère sexuelle" ou non, on ne se frotte pas SANS CONSENTEMENT aux femmes dans le métro. Comme l'a dit la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, "le corps des femmes n'est pas un bien public ou un réceptacle à misère sexuelle."
Et aussi en expliquant que ce type d'argument, par ailleurs aussi avancé dans la fameuse tribune du Monde, n'aide en rien les hommes. Au contraire, elle sous-entend que ces derniers sont incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles, que c'est dans leur "nature" d'importuner les femmes, de les harceler, de les agresser, de les violer. Catherine Millet pense venir, comme les autres signataires, en aide aux hommes, que les récentes prises de position féministes émasculeraient. Elles parlent ainsi de "haine des hommes" par les militantes luttant contre les violences sexistes et sexuelles. En réalité, ce sont elles qui desservent les hommes en sous-entendant que ces derniers sont violents par nature car ils ne peuvent pas contrôler leurs pulsions. Or, a priori, la grande majorité des hommes ne sont ni des frotteurs dans le métro, ni des agresseurs ou des violeurs. Surprise : il existe même des hommes qui s'engagent contre les violences sexistes et sexuelles et contre la culture du viol. Mais ça, ça échappe visiblement à Catherine Millet.
Toujours dans "Quotidien", Catherine Millet – comme bon nombre des signataires, d'ailleurs – s'est mise en tête de classifier les violences subies par les femmes : ce qui relève ou non du harcèlement, ou non de l'agression. Sauf que l'écrivaine a une vision plutôt restreinte de ce qui est pourtant défini clairement dans le droit français. Elle explique ainsi que pour elle, se faire tripoter dans le métro par un inconnu ou sentir son pénis en érection dans son dos, eh ben ce n'est pas bien grave. "Si c'est quelqu'un qui vous réveille toutes les nuits, oui, vous pouvez déposer plainte, ça oui, c'est du harcèlement, on peut en avoir marre. Mais le type qui a un mot grossier quand on le croise dans la rue, qui essaie de vous peloter (...), les frotteurs du métro : ce n'est pas du harcèlement."
Alors, non, en effet, frotter quelqu'un dans le métro sans son consentement ne relève pas du harcèlement, puisqu'il s'agit d'une agression sexuelle. Ce qui est pénalement puni par la loi de 5 ans de prison et de 75 000 euros d'amende.
On n'arrête plus Catherine Millet. Cette fois-ci, c'est ce matin dans le 7/9 de France Inter qu'elle a déblatéré cette énormité, encore une fois pour prendre la défense des harceleurs et, au passage, mettre un petit tacle à toutes celles qui osent porter plainte parce que cette main (qu'elle soit celle d'un inconnu, d'un supérieur hiérarchique ou d'un ami) n'a rien à faire sur leur genou si elles n'y ont pas consenti.
On va le redire, une bonne fois pour toutes : le harcèlement sexuel est passible de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, une agression sexuelle de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Quant au gros relou avec son cigare, il tombe aussi sous le coup de la loi, mais ne devra s'acquitter que de 68 euros d'amende car - et il semble important de le rappeler à Catherine Millet - se faire enfumer et se faire agresser, ça n'a rien à voir.
Allez hop, un dernier pour la route. Encore dans le 7/9, Catherine Millet, qui décidément, tient beaucoup à parler de ces fameux frotteurs du métro, a déploré de ne plus être leur cible. "Malheureusement, je suis trop vieille" pour les intéresser, a-t-elle ainsi déclaré.
Peut-être est-ce qu'elle ne prend pas suffisamment les transports en commun aux heures de pointe. Car les frotteurs, tout comme les violeurs, les harceleurs, les agresseurs, ne choisissent pas leur cible en fonction de leur physique. Sinon, seules les mannequins auraient participé au mouvement #MeToo. Eh oui, toutes les femmes, quel que soit leur âge, le milieu social ou leur physique sont susceptibles d'être harcelées ou agressées sexuellement. Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas là d'attirance sexuelle, mais tout simplement de domination, de possession.
Ce qui rend, au passage, ce genre de considération dangereuse. Mais ça, Caroline De Haas l'a dit beaucoup mieux que nous ce matin sur Twitter.
Passons maintenant aux différentes prises de parole de Sophie de Menthon. Pour celles et ceux qui ne s'en souviendraient pas, Sophie de Menthon est cette cheffe d'entreprise qui, au moment du débat sur le harcèlement de rue, avait déclaré que se faire siffler dans la rue était "plutôt sympa". Ça pose le débat. Contrairement à Catherine Millet, Sophie de Menthon n'a pas co-écrit la tribune, elle l'a juste approuvée en y apposant sa signature. Ce qui ne l'empêche pas (et elle en a tout à fait le droit) de la défendre à la télévision. Un peu mal il faut l'avouer. Comme par exemple, lorsqu'elle a défendu "le droit de harceler" des hommes en lâchant lors d'un duplex avec CNews : "Si mon mari ne m'avait pas harcelée, peut-être que je ne l'aurais pas épousé."
Encore tout faux, et c'est bien là le gros problème de cette tribune : elle élude totalement la notion de consentement. Si Sophie de Menthon a été réceptive au harcèlement de son mari, c'est parce que, justement, ça n'en était pas. Elle y était consentante, donc ça s'appelle de la séduction. Or, quand Sophie de Menthon et ses consoeurs parlent de liberté d'importuner, elles font fi de celle des femmes, à savoir de passer un trajet tranquille dans le métro sans recevoir de main aux fesses, ou de se promener dans la rue sans se faire siffler et traiter de "sale pute".
Alors là, disons-le clairement : on est en plein dans la culture du viol. Parce que non seulement Sophie de Menthon trouve des excuses aux harceleurs, mais qu'en plus, elle accable les filles qui se feraient agresser car, elles n'ont pas eu d'égard "pour ceux qui les regardent". Comprenez : vous l'avez bien cherché les filles, vous n'aviez qu'à pas les provoquer en vous habillant comme ça/en tripotant vos cheveux/en ne demandant rien à personne/en étant pourvues d'un vagin et d'une poitrine.
C'est ce genre de discours nauséabond qui perpétue donc ce qu'on appelle la "culture du viol" et qui consiste à minimiser les violences sexuelles et culpabiliser celles qui en sont les victimes. Et ça, c'est intolérable.
Venons-en à la sortie qui a le plus été commentée de ces trois derniers jours, celle de Brigitte Lahaie. Invitée à débattre sur BFMTV mercredi face à Caroline De Haas sur les violences sexuelles, l'animatrice radio avait opposé à la militante féministe qui lui expliquait que les violences empêchaient la jouissance que l'"on peut jouir lors d'un viol, je vous signale", la laissant sans voix.
Conspuée sur les réseaux sociaux, Brigitte Lahaie s'est expliquée, en pleurs, sur TV5 Monde, reprochant par la même occasion d'avoir été "incomprise". Si ce qu'elle dit n'est pas faux (voir pour plus d'infos cet article du Huffington Post qui donne, entre autres, la parole à la présidente de Mémoire Traumatique et Victimologie Muriel Salmona), cela ne rend pas le viol pas moins abject et traumatisant pour celle qui le subit. "Nos corps réagissent au sexe. Nos corps réagissent à la peur. Nos corps réagissent. Ils le font souvent sans notre permission ou notre volonté. L'orgasme pendant un viol n'est pas un exemple de l'expression d'un plaisir. C'est l'exemple d'une réponse physique, que l'esprit soit ou non conscient, comme la respiration, la transpiration ou une montée d'adrénaline", explique également un thérapeute cité dans ce même article, qui compare à juste titre l'orgasme à des chatouilles. Réaction physique ne vaut pas consentement. Point final.