L'hypocrisie au travail rend sale

Publié le Mercredi 13 Janvier 2016
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
L'hypocrisie au travail rend sale
L'hypocrisie au travail rend sale
Au travail, dissimuler ses émotions sous un sourire factice ou rire aux blagues (pas drôles) de son boss peut s'avérer psychologiquement épuisant et donnerait aux salariés le sentiment d'être sales, révèle une étude.
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Qu'on le veuille ou non, lorsqu'on est au travail, il est difficile d'avoir un comportement parfaitement authentique. Que ce soit pour être dans les petits papiers de son patron, pour obtenir une promotion tant désirée ou simplement éviter d'être licencié, il arrive fatalement un moment où l'on est obligé de serrer les dents, de ravaler ce que l'on pense vraiment, voire de feindre l'entrain et la bonne-humeur.

Cette hypocrisie d'open space c'est pas sans conséquences. Selon une étude publiée dans la revue Psychological Science en mai 2015 et repérée par Quartz et Slate.fr , feindre ses émotions au travail entraînerait une impression d'impureté morale. Pire : faire semblant d'approuver une décision de sa direction ou rire à une boutade de son patron a un coût psychologique important et favorise l'épuisement professionnel.

"Nous ne devons pas oublier la détresse psychologique qui découle d'un comportement inauthentique, souligne Maryam Kouchaki, professeure de gestion et des organisations à la Kellogg School et co-auteure de l'étude. Tout comme un acte immoral viole les normes morales largement acceptées de la société et produit des sentiments négatifs, un acte inauthentique enfreint la fidélité envers nous-mêmes et peut prendre un tournant similaire."

Impureté morale et sensation de saleté

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont mené à bien cinq expériences. Parmi celles-ci, l'une demandait à un groupe de volontaires de se remémorer un moment où s'étaient montrés hypocrites, tandis qu'un autre devait penser à un quelconque souvenir. Tous les participants ont ensuite dû noter leur degré d' "impureté morale" sur une échelle de 1 à 7. Il s'avère que ceux s'étant rappelés avoir feint leurs sentiments ou comportement se sont accordés en moyenne une note d'impureté morale plus haute de 3,5 points contre 1,5 points en moyenne pour l'autre groupe.

D'après les scientifiques, se montrer hypocrite ne donne pas seulement l'impression d'être moralement impur, mais aussi (et littéralement) sale. Dans un second test, ils ont remarqué que les volontaires s'étant rappelé un comportement inauthentique exprimaient un plus grand intérêt pour les produits de nettoyage (savon Dove, dentifrice, détergent) que pour les produits neutres. Ils se sont aussi montrés plus intéressés par les comportements de nettoyage (comme prendre une douche ou se laver les mains) que par les comportements neutres. "Il suffit de se souvenir de ces comportements inauthentiques pour nous sentir impur", affirme Maryam Kouchaki.

Un coût émotionnel non négligeable

Pour les auteurs de l'étude, le fait que les comportements inauthentiques menacent notre sens moral explique certains aspects du monde du travail moderne, comme le désengagement des employés, l'épuisement professionnel ou la dépression. En renonçant à leurs opinions pour être bien vus de leurs patrons, les salariés font une croient sur leurs valeurs personnelles, perdent leurs illusions... et finissent pas démissionner.

"Les dirigeants pourraient vouloir en tenir compte, estime Maryam Kouchaki. Savoir que ce comportement inauthentique a un coût et que le comportement prosocial augmente l'estime de soi est quelque chose que les dirigeants pourraient envisager lors qu'ils pensent l'organisation du travail." Déjà l'an dernier, une précédente étude parue dans le Journal of Occupational and Organizational Psychology avait souligné à quel point feindre ses sentiments au travail pouvait être épuisant psychologiquement pour les salariés. "Même s'ils agissent de manière positive, les sentiments négatifs sous-jacents sont toujours là. Les salariés se sentent alors inauthentiques, ce qui peut entraîner une satisfaction professionnelle moindre ou, éventuellement, un épuisement professionnel", expliquait Jane Shumski Thomas, doctorante en psychologie à l'Université de Charlotte, en Caroline du Nord et principale auteure de l'étude.

Fait intéressant mis en lumière par l'étude parue dans Psychological Science, ce sentiment d'inauthenticité des salariés peut les conduire à adopter des comportements "prosociaux" en se montrant bienveillants et serviables avec leurs collègues. Une manière sûrement de se déculpabiliser.