"J'ai 30 ans et je suis vierge : voilà comment je vis la pression sociale"

Publié le Mercredi 27 Juillet 2022
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
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Thaïs et Maeva ont deux points communs : elles sont trentenaires et vierges. Dans une société où les conversations autour du plaisir féminin se libèrent petit à petit, elles nous racontent ne pas encore y trouver l'écoute et le respect qu'elles désirent. Témoignages.
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A 24 ans, 11 % des hommes et 16 % des femmes sont encore vierges. A 25 ans, 7 % des hommes et 13 % des femmes, rapportent plusieurs sondages. Certaines attendent - par choix ou non - jusqu'à 30 ans et plus. Thaïs, 31 ans et Maeva, 30 ans, sont de celles-ci. Pour des raisons divergentes, elles n'ont jamais eu de rapports sexuels. Elles nous racontent aujourd'hui pourquoi, et surtout décrivent ce qu'implique cette réalité dans une société où la sexualité est omniprésente.

Maeva, 30 ans : "Ce n'est pas un choix, plutôt un concours de circonstances"

"Avant que je ne penche sur le sujet, je préfère préciser : il n'y a rien de religieux dans ma démarche. C'est un truc qu'on me demande souvent. Tout le temps en fait. Je ne sais pas si les gens ont trop vu de documentaires sur les communautés chrétiennes américaines, mais plusieurs personnes ont déjà scruté ma main pour voir si je portais une bague de chasteté. Non. Si j'avais pu décider toute seule, j'aurais fait l'amour il y a longtemps. Il n'y a rien qui se rapproche de près ou de loin d'une volonté de préserver ma pureté pour le mariage. Ce n'est pas un choix, plutôt un concours de circonstances.

Il faut dire que je n'ai pas fait beaucoup de rencontres. J'ai suivi de longues études de lettres pendant lesquelles j'étais assez solitaire, pas vraiment le genre à sortir tous les jeudis soirs avec mon groupe de TD. Je me suis concentrée sur le travail parce que ça me passionnait, et j'aimais rentrer chez moi seule en fin de journée pour lire et me préparer des bons petits plats. Cinq ans sont passés comme ça, et puis pendant cinq autres, je n'ai pas ressenti l'envie de relations, encore moins physiques. Ça nous amène à mes 28 ans.

Depuis ces deux dernières années en revanche, j'ai les sens en ébullition. Je ne saurais pas vraiment définir le déclic, peut-être le fait de déménager à la campagne et de me reconnecter à la nature, mais c'est comme si j'avais le besoin de découvrir mon corps par la sexualité avec les autres. Sauf que je ne sais pas du tout comment faire pour faire des rencontres, ni comment m'y prendre de façon purement pratique. Je ressens une énorme pression qui ne dit pas son nom par rapport à l'expérience qu'une femme de 30 ans devrait absolument avoir en matière de sexualité. Expérience que je culpabilise de ne pas avoir, et parce que je culpabilise, je crains les premiers rapports. C'est un cercle vicieux.

Je ne remercie pas la société d'ailleurs. A force d'idéaliser la première fois, de la mettre sur un piédestal comme un rite de passage qui déterminera notre vie sexuelle - celle des femmes - pour le restant de nos jours ou presque, on nous condamne à redouter le moment. Il faut absolument que ça se passe avec un garçon (les relations non-hétéros sont quasi exclues de ce discours soit dit en passant) qui compte, après un certain temps à le fréquenter, d'une certaine façon... Comment fait-on quand ça ne se passe plus au lycée et qu'on ne veut pas forcément revoir la personne ensuite ?

C'est un vrai sujet qui devrait être davantage présent dans une ère post-#MeToo où le voile sur la sexualité féminine se dissipe peu à peu. En tout cas, moi, ça m'aiderait beaucoup d'être guidée dans ce sens."

Deux femmes nous racontent comment elles vivent la pression sociale qui accompagne la virginité passée 30 ans.
Deux femmes nous racontent comment elles vivent la pression sociale qui accompagne la virginité passée 30 ans.

Thaïs, 31 ans : "J'ai décidé d'attendre le bon moment, et (presque) personne ne le sait"

"J'ai eu 30 ans en août dernier. Pour célébrer ça et la fin de 18 mois de Covid, j'ai fait une grosse fête avec mes ami·es. On était une vingtaine dans un bar du 11e arrondissement. Vers minuit, un de mes copains m'a traînée vers lui pour me présenter son collègue. Il s'appelait Thibault, il était grand et plutôt pas mal. On a passé un moment ensemble, puis on a fini par s'embrasser. Il m'a proposé de rentrer chez lui, j'ai décliné, il est parti. Mon ami est tout de suite venu me retrouver pour me demander ce qui se passait, pourquoi je n'avais pas voulu 'profiter pour une fois' ? J'ai feint l'envie de rester avec tout le monde, il m'a crue en levant les yeux au ciel. 'Ton cas me désespère', a-t-il répondu en souriant.

La vérité, c'est que je n'ai jamais eu de rapports sexuels. Je n'ai jamais fait l'amour, jamais touché de pénis, jamais joui avec quelqu'un d'autre. Je me masturbe, mais personne ne m'a jamais caressée, moi. Simplement parce qu'à 16 ans, j'ai décidé que je ne passerais pas le cap avant d'avoir rencontré la bonne personne, j'ai décidé d'attendre le bon moment. A l'époque, je sortais avec un camarade de classe qui n'arrêtait pas d'insister pour qu'on couche ensemble à coup de grandes déclarations romantiques. Quand j'ai refusé, il s'est rabattu sur une autre. Ça m'a bloquée, je me suis dit que mes premiers ébats seraient avec quelqu'un qui le 'mérite'. Force est de constater que 15 ans plus tard, je ne l'ai pas encore rencontré.

Si je vis très bien avec mon choix, je ne vais pas mentir : ce n'est pas le plus évident à assumer en société. D'ailleurs, rares sont les personnes qui sont au courant. Deux, pour être exact. Ma meilleure amie, Mathilde, et ma soeur, Iris. La première ne m'a jamais posé de questions déplacées, elle a juste accueillie l'information comme une autre, et je l'en remercie. La deuxième en revanche, a été un peu plus curieuse au fil des années. 'Mais t'as jamais envie ?' ou encore 'tu crois pas que quand tu tomberas sur la personne avec qui tu veux le faire, tu auras peur de ne pas être assez expérimentée ?' Les réponses dans l'ordre : bien sûr que si, et bien sûr que si.

Evidemment que j'ai des fantasmes. D'ailleurs, mon corps est assez alerte sur ce plan-là pour que je me réveille en pleine nuit en nages, à penser à un inconnu croisé dans la rue deux semaines plus tôt. Ce qui me pose problème, c'est plutôt le regard qu'on porte quasi systématiquement sur le concept de 'virginité tardive'. Une sorte de gros cliché qui ferait des personnes concernées des êtres forcément coincés, prudes, ou carrément décalés par rapport à leur époque. Et ce stéréotype est encouragé par la culture populaire, qui dépeint un portrait peu reluisant de celles et ceux qui, comme moi, veulent réserver leur première fois à quelqu'un de spécial.

En 2022, les tabous tombent autour de la sexualité et plus particulièrement, du plaisir féminin. Tant mieux. Mais j'ai l'impression que les discussions ont tendance à oublier de libérer la parole et l'écoute autour de mon cas. Ça reste honteux. Et la preuve, je n'en parle pas justement pour éviter qu'on me voie autrement. Tout le monde part du principe que, vu mon âge, j'ai déjà fait l'amour. Ce n'est même pas une question d'ailleurs. Et ça me va, pour l'instant.

Seulement parfois, je trouve ça triste de ne pas pouvoir être honnête avec mes proches sur un sujet qui me tient autant à coeur. L'autre jour, le mec d'une copine a voulu se moquer d'une fille qu'il n'aime pas trop. Son réflexe ? 'Je suis sûre qu'elle a jamais couché celle-là'. Comme si c'était péjoratif, et okay de stigmatiser et de rabaisser par ce biais. Autant dire que je ne suis pas prête de me confier. Pour ce qui est d'avoir un rapport, là encore, j'attends. Mais une chose est sûre : à aucun moment je ne laisserai la pression sociale me pousser à aller plus vite que mon désir."