Masturbation : quand les artistes célèbrent le plaisir solitaire

Publié le Samedi 12 Octobre 2013
Masturbation : quand les artistes célèbrent le plaisir solitaire
Masturbation : quand les artistes célèbrent le plaisir solitaire
Pendant bien longtemps, il n'y a eu que les artistes pour célébrer le plaisir de se faire plaisir... Le point sur l'art et la masturbation avec notre experte sexo Sophie Bramly.
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Afin que les idées prennent corps, il faut généralement qu’elles soient portées par une coterie afin de s'infiltrer, petit à petit, dans toutes les strates d'une société. Lorsqu'au début du XXe siècle on avait fini par se rendre à l'évidence que les démonstrations scientifiques faites par quelques médecins du XVIIIe siècle n'avaient guère de fondement - la masturbation ne tuait pas, ni ne rendait sourd – ce sont les artistes surréalistes qui, en France, furent les premiers à vouloir réhabiliter le plaisir qu'il y a à se faire du bien soi-même.

Le peintre autrichien Egon Schiele avait ouvert la voie avec une série de dessins sur l'auto-érotisme, où les modèles comme l'artiste se livrent en toute impudeur. Pour le poète et romancier Raymond Queneau, l'onanisme « est légitime en soi », au point où il en discutait volontiers avec Benjamin Péret et André Breton, entre fantasmes et nature de leurs premiers souvenirs, qui remontaient à la petite enfance. Les souvenirs de Benjamin Péret semblent aussi surréalistes que son travail : il se souvenait d'un garçon versant le contenu de son encrier sur son pénis, se masturbant ensuite sous son pupitre. Si les évocations alimentaient les conversations entre amis, elles servaient aussi à nourrir leur travail et en retour à donner un autre discours à entendre à leur public. Salvador Dalí – qui comme Picasso aimait profondément peindre des scènes à caractère sexuel – a peint sur le sujet une œuvre magistrale, El gran masturbator (le grand masturbateur). Portrait d'un homme de profil, on voit à l'arrière de son crâne une femme qui semble au bord de l'extase, nourrissant son fantasme, face à un sexe d'homme, comme si une fellation était sur le point de subvenir.

L'influence de l'art et le comportement des artistes eurent une influence sur la société qui se refléta plus encore au moment de la libération sexuelle, dans les années 1960 et 1970. S'affranchir des générations précédentes, se révolter, tenait précisément dans la revendication des plaisirs solitaires, qui pour la première fois de l'histoire prirent une portée politique. Pour l'historien américain Thomas Lacqueur, « bien d'avantage que l'amour libre, la masturbation libre en vint à porter les nouvelles aspirations d'autres constellations des corps et des plaisirs ».

Les artistes femmes traitant le sujet ont utilisé la masturbation pour adresser leurs revendications féministes et n'ont cessé de continuer depuis.


En 1972, l'artiste Vito Acconci expose à New York, à la galerie Sonnabend. Son œuvre, Seedbed, pose la question de la masturbation sous un nouvel angle, celui du voyeurisme partagé, interactif avec le visiteur. Pendant trois semaines, l'artiste était allongé par terre, se masturbant dans une boîte à l'approche des curieux, un haut-parleur retransmettant ses râles et plaisirs. Ainsi l'imagination et le fantasme nécessaires à l'artiste se fondent dans l'imagination et le fantasme qui nourrissent la masturbation.

La masturbation – en particulier féminine - étant encore perçue par certains comme « contre-nature », nombreuses sont les femmes (les artistes anglaises Marlene Dumas et Tracey Emin, l'artiste américaine Zoé Leonard, et bien d'autres) qui continuent de la peindre sous toutes les coutures pour délier les pensées, enrichir les pratiques et montrer comment se forge le pouvoir féminin.

Ce pouvoir indique tout simplement qu’avant d'être homme ou femme, homosexuel ou hétérosexuel, tous sont égaux dans la découverte de soi. Ce qui coulait de source avant la répression du XVIIIe siècle commence à peine à refaire surface...