"Je suis une femme trans et on m'empêche d'utiliser mes gamètes pour faire un enfant"

Publié le Mercredi 02 Octobre 2019
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Témoignage de Jena, femme transgenre voulant un enfant/Photo d'illustration
Témoignage de Jena, femme transgenre voulant un enfant/Photo d'illustration
Le projet de loi bioéthique est examiné depuis ce 24 septembre devant l'Assemblée nationale. A cette occasion, nous avons voulu donner la parole aux premières concernées. A ces femmes et à ces couples de lesbiennes dont la parole se trouve trop souvent confisquée, étouffée par la cacophonie des "anti". Aujourd'hui, Jena, femme transgenre, nous raconte son combat.
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Jena est posée. Patiente et pressée à la fois. Mais déterminée surtout. Car son projet de parentalité, elle l'a mûri. Et cette étape lui apparaît comme un prolongement naturel de son parcours qu'elle considère comme "atypique et privilégié". Jena a débuté sa transition "très tard". A l'époque, elle ne trouvait que très peu de témoignages positifs de transidentité dans les médias, avait le sentiment de ne rentrer dans "aucune catégorie". C'est finalement sa rencontre avec les associations de personnes transgenres qui lui ont permis d'entamer sa nouvelle vie.


"J'ai commencé à utiliser le terme 'trans' pour moi en 2012, à 34 ans, et dans la foulée, j'ai adopté mon prénom. J'ai commencé très progressivement à en parler à mon entourage, à ma famille, à mon employeur. Ma transition sociale est terminée, je vis dans mon genre féminin en permanence. C'est comme ça que j'existe dans la société."

Jena, 41 ans, est aujourd'hui en couple depuis un an. Le désir de parentalité avec sa compagne s'est imposé dans leur relation sereine, elle qui avait vécu une histoire violente émaillée de transphobie par le passé. "Nous passons chaque épreuve avec joie et nous nous voyons mères ensemble avec plaisir." Pour aborder cette nouvelle étape cruciale, le couple compte sur la PMA plutôt que sur "un moyen traditionnel" pour faire des enfants.

"J'ai dû interrompre mon traitement hormonal pour pouvoir faire la conservation de gamètes- cellule reproductrice spécialisée dans la fécondation- parce que ce traitement est un énorme frein à la fertilité. J'ai pu faire conserver mes gamètes dans un Cecos (Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme) en France, mais on m'a prévenue que la loi française ne me permettait pas de les utiliser dans l'état actuel du droit." C'est peu dire si Jena attendait l'examen de cette loi bioéthique qui pourrait peut-être enfin changer la donne.

"Je me sens hors de moi et impuissante"


Si elle s'est réjouie du vote des député·e·s en faveur de l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes, cette victoire a un goût doux-amer. Car l'amendement porté par le député LREM de Charente-Maritime Raphaël Gérard visant à garantir aux femmes transgenres l'utilisation de leurs gamètes en cas de recours à une PMA a été rejeté le 26 septembre. Le couperet est donc tombé. Et pour Jena, c'est un nouvel espoir qui s'envole. Avec ce sentiment d'être une fois de plus exclue et discriminée. Et meurtrie par "les réflexions explicitement transphobes" entendues au sein de l'hémicycle.

"Lorsque le gouvernement dit qu'il est explicitement défavorable aux 'filiations transgenres', et qu'il rejette systématiquement tous les amendements proposés par les députés qui permettraient qu'une femme trans utilise ses gamètes au sein du couple, qu'un homme trans conserve ses gamètes ou porte un enfant, je me sens hors de moi et impuissante."

Jena craint également le retour du projet de loi au Sénat en octobre, "qui va probablement tout casser". Pour elle, rien n'est gagné.

Parce que le couple avait anticipé cette mauvaise nouvelle, des rendez-vous avec un gynécologue et un psychologue ont été planifiés à Bruxelles pour une autre conservation de gamètes. Car le temps est compté. "Pour moi, chaque semaine passée sans mon traitement hormonal est une concession que je me fais à moi-même. Et si la loi passait, on l'aurait fait en France, mais du coup, je garde mes billets pour la Belgique."


Autre motif d'inquiétude : le flou régnant autour des conditions de la filiation. Jena ne sait toujours pas si elle pourra être considérée comme mère légale de l'enfant car en l'état actuel du droit, "on ne peut pas adopter l'enfant de la conjointe sans être mariée. Si la PMA est ouverte aux femmes célibataires et aux femmes mariées, ce serait stupide qu'elle ne soit pas ouverte aux femmes pacsées ou en couple sans union légale."

Autant d'incertitudes qui se cristallisent autour de ce projet de parentalité que les deux partenaires tentent de bâtir patiemment et méthodiquement, malgré les nombreux obstacles que la loi française leur oppose.

Jena continuera à suivre attentivement tous les débats à l'Assemblée et au Sénat comme elle l'avait fait en 2013 au moment du vote pour le Mariage pour tous. Si le moral flanche, si l'abattement prend le pas, elle y puise aussi une sacrée dose de courage et d'espoir pour l'avenir. "Voir des députés qui sont pour la PMA et la filiation défendre les amendements un par un, cela fournit une force et des arguments pour la vie de tous les jours."