Małgorzata Szumowska : comment la réalisatrice badass s'est imposée dans un milieu d'hommes

Publié le Jeudi 17 Décembre 2015
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Małgorzata Szumowska est l'une des figures de proue du cinéma polonais. Elle est même la seule cinéaste à faire une carrière à l'international, remportant au passage l'Ours d'argent au Festival de Berlin 2015 pour son superbe "Body". Couronnée du prix "Femme de Cinéma" au Festival de cinéma européen des Arcs ce 13 décembre, la jeune réalisatrice évoque sans langue de bois sa place dans un milieu encore très masculin.
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Quels sont les plus gros défis que vous avez à affronter étant femme et réalisatrice ?

J'ai essayé de ne pas y penser. J'étais très motivée, je voulais vraiment faire des films et je m'en fichais d'être une femme. Et c'est peut-être pour cela que j'ai survécu : parce que je n'ai pas prêté attention au fait que j'étais une femme et soit-disant plus "faible" que mes collègues masculins. Ce n'est que depuis deux ans que je réalise que je suis considérée comme "différente" par rapport aux hommes réalisateurs. Mais c'est arrivé très tard bizarrement... Je trouve que c'est une chance de ne l'avoir réalisé que tardivement ! Parce que si j'y avais pensé tout le temps, cela m'aurait paralysée. Je pense que cela m'a renforcée. C'est drôle d'ailleurs parce qu'en Pologne, mes collègues ne savent pas vraiment comment me traiter parce que je suis une femme... Après, je pense que depuis quelque temps, être une femme peut aider car les gens s'intéressent de plus en plus aux réalisatrices. Et c'est bien !

Comment avez-vous réalisé que les gens vous traitaient différemment par rapport à vos collègues masculins ?

Ce sont des petites choses... Je n'étais pas prise au sérieux même si je suis la seule réalisatrice, tous sexes confondus, depuis 1989 en Pologne qui réussit une carrière internationale, à faire les festivals, à être recompensée par des prix... Alors que mes collègues masculins ne le faisaient pas ! Mais comme j'étais une femme, on ne prenait pas au sérieux dans le milieu du cinéma polonais. Cela commence un peu à changer, probablement parce qu'ils n'ont plus le choix. Et je ne parle pas de Pawel Pawlikowski, qui a gagné l'Oscar du Meilleur film en langue étrangère pour Ida en 2015. Lui, est plus considéré comme un réalisateur anglais par les Polonais car il a longtemps vécu en Grande-Bretagne.

Pensez-vous que le cinéma européen soit moins sexiste que le cinéma hollywoodien ?

Oui, tout à fait ! Le cinéma américain est très sexiste. Il y a tant de clichés... Le héros masculin, les filles traitées comme des objets... Et d'ailleurs, il n'y a pas beaucoup de réalisatrices aux Etats-Unis. Je pense qu'il vaut mieux travailler en Europe quand on est une femme réalisatrice.

Quels sont les films qui vous inspirent en tant que femme et réalisatrice ?

J'adore les films de Jane Campion, les premiers films des années 70 et 80 de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland comme Europa Europa, A Lonely Woman. J'aime aussi beaucoup le travail de la réalisatrice anglaise Andrea Arnold (Fish Tank).

Vous venez de recevoir le prix "Femme de cinéma" au Festival des Arcs 2015. Le fait de souligner le fait que vous êtes une femme vous fait-il tiquer ?

Non, cela ne me dérange pas du tout. Je suis féministe, mais pas pour ce genre de chose. Je trouve ça chouette d'être récompensée pour mon travail. Pour moi, c'est une forme de tremplin.

Quels sont vos prochains projets ?

J'ai pas mal de projets en cours, mais j'essaie de me concentrer sur mes projets polonais. Cela me paraît plus naturel de travailler dans ma propre langue, avec ma propre équipe polonaise. Je produis aussi. C'est une priorité pour moi à ce moment-là de ma carrière. Et même si je reçois beaucoup de propositions de films très commerciales, qu'ils viennent des Etats-Unis ou de France, je ne veux pas les faire pour le moment. Je veux me concentrer sur le cinéma d'auteur. Mais dans dix ans, je changerai peut-être d'avis...