L'interview girl power de Natoo

Publié le Jeudi 03 Octobre 2019
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Natoo : son interview girl power
La plus populaire des youtubeuses profite régulièrement de la plateforme pour faire passer des messages girl power. Natoo féministe ? Nous lui avons posé la question.
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Elle s'assoit sur le canapé, ses deux chiens, Kitty et Lola, qui la suivent à la trace l'imitent et se lovent à ses côtés. Ce jour-là, sous les toits de Paris, Natoo lance une collection capsule de prêt-à-porter en collaboration avec la marque Hello Kitty. Autour d'elle, l'effervescence. Car derrière ses airs de girl next door à la cool, Natoo (Nathalie Odzierejko à l'état civil) est une reine, une mégastar de la génération Z. Une déesse 2.0 adulée par près de 5 millions d'abonné.e.s qui peut se targuer d'être la femme la plus suivie de Youtube (elle pointe à la 12e place du top des vidéastes les plus populaires) et de s'être imposée dans le milieu très masculin de la création vidéo, sans passer par la case "tutos beauté". Bref, Natoo pèse et pas seulement en chiffres.

Car entre deux sketches décalés, l'ancienne policière municipale met cet espace de liberté numérique massif à profit pour distiller des messages d'utilité publique auprès de sa jeune communauté. Armée de sa gouaille frondeuse, elle y parle empowerment, tchatche de la (trop petite) place des nanas sur Youtube et s'attelle à dézinguer méthodiquement les clichés sexistes. Une forme d'éducation populaire qui lui vaut régulièrement des attaques de trolls qu'elle balaie d'un revers de main.

C'est une Natoo très cash qui revient pour nous sur ses inspirations, partage ses coups de gueule et ses espoirs.

Terrafemina : Tu as souvent fait des vidéos pour contrer les clichés sexistes sur les femmes. Pourquoi cela t'a-t-il semblé nécessaire ?

Natoo : Oui, j'ai souvent fait des sketches sur les clichés que l'on peut retrouver sur les femmes. Je ne sais pas si c'était une nécessité mais ça m'agaçait tellement que j'avais envie d'en parler. Donc peut-être qu'au début, j'ai dû faire du féminisme inconsciemment. J'ai juste parlé des choses qui me tenaient à coeur et des petites choses qui me titillaient. C'est venu naturellement.

As-tu déjà été victime de cyber-harcèlement, notamment à cause de ces vidéos ?

N. : Dès que j'ai posté une vidéo qui avait pour thème les clichés sur les femmes, il y avait pas mal de réactions en effet dans les commentaires où on me disait : "Mais de toute façon, t'as pas à faire d'humour !", "Retourne dans ta cuisine", "Va faire le ménage"... Des trucs niveau maternelle. Donc oui, j'ai eu des petites attaques. Heureusement que ce qui reste majoritaire, ce sont les commentaires positifs, le soutien, mais c'est vrai que même si ce n'est que 1% des commentaires, c'est le truc qui saute aux yeux. C'est comme une très jolie corbeille de fruits et il y a un fruit pourri qui est là et qui vient tout gâcher !

Est-ce plus compliqué d'être une femme sur Youtube quand on n'est pas sur le créneau "youtubeuse beauté" ?

N. : Pour les youtubeuses qui font de l'humour, ça reste un cas un petit peu plus rare, peut-être parce qu'elles ont un peu plus de mal à se lancer. Peut-être que cela répond à des codes qui te disent qu'une fille doit faire de la beauté, être lisse, souriante... Et du coup, se détacher de ça, il faut avoir un sacré courage pour se lancer donc je suppose que le harcèlement et les mauvais commentaires peuvent freiner certaines filles.

Je pense qu'il faut encore encourager à se lancer, ne pas avoir peur, pour ne pas avoir de regrets, tout simplement. Si on a envie de faire de l'humour, on fait de l'humour, tout simplement. Chacun doit faire ce qui lui plaît. Mais j'aimerais bien qu'il y ait plus de filles qui fassent de l'humour.

 

Tu es visiblement agacée qu'on te colle l'étiquette "humoriste pour femmes"...

N. : Pas vraiment "humoriste pour femmes", mais "blagues pour filles". Je ne sais même pas ce que ça veut dire en fait ! Une blague, si elle est bonne, ça fait rire tout le monde. Je n'aime pas trop les étiquettes.

Quelles sont les pires phrases sexistes que tu aies entendues ?


N. : C'est souvent en rapport avec la sexualité et puis le ménage, faire la nourriture, "il est temps que je fasse des enfants"... On me conseille sur ma vie privée, donc ce sont des conseils que je prends vraiment à coeur de la part de gens que je ne connais pas et que je note sur un carnet... que je brûle ! C'est vraiment trop bizarre de donner son avis sur la vie de quelqu'un qu'on ne connaît pas. Je ne vois pas l'utilité. C'est une perte de temps incroyable de la part de ces gens. Donc non, je ne prends pas en compte tout ça.

Te considères-tu féministe ?

N: Je pense que je le suis puisque j'ai fait des vidéos qui parlent des clichés féminins. Oui, je pense que c'est dans mes gènes en fait, je ne sais pas si je dois me revendiquer, je ne sais pas si je suis le meilleur modèle pour en parler, si j'ai les mots justes pour représenter le féminisme, en tout cas, ça coule dans mes veines naturellement, je suis ce que je suis, je ne sais pas comment définir ça.

Quelles sont les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans ta vie ?

N : J'adore Valérie Lemercier, je la trouve très très classe, drôle, belle, intelligente.

J'adore aussi Rossy de Palma que je trouve fantasque, originale, ça se voit qu'elle aime la vie, elle n'hésite pas à faire des folies sans se soucier du regard des autres, je la trouve très inspirante.

Et puis après, toutes les Spice Girls ? Forcément, ça a bercé mon adolescence. C'est, je pense, peut-être les prémices du féminisme dans mon coeur d'adolescente avec le "Girl Power".

La femme qui t'a le plus impressionnée depuis le début de l'année ?

N : Alors peut-être que ce serait Charlotte Abramow, c'est une jeune photographe-réalisatrice. J'avais eu la chance de prendre des photos avec elle il y a des années, 6, 7 ans et j'ai vu son évolution incroyable, notamment avec les clips d'Angèle et tout ce qu'elle peut véhiculer sur ses réseaux sociaux, elle parle beaucoup de féminisme. J'aime bien, elle essaie de bouger les codes, de prendre en photo des corps variés, de différentes formes, corpulences, couleurs, ça fait plaisir.

Stella dans la série "The Boys"
Stella dans la série "The Boys"

L'héroïne de série dont tu es fan ?

N.: Il y en a pas mal. Si je devais répondre selon mon âge et que là, j'étais adolescente, forcément, je dirais Buffy contre les vampires, Charmed, les soeurs Halliwell mais sinon récemment, j'ai regardé The Boys sur Amazon Prime et il y a un personnage qui s'appelle Stella qui est un petit peu badass. Elle vit des choses pas faciles au début de la série et on va la voir évoluer et devenir de plus en plus badass. Je l'aime bien.

Quel droit des femmes attends-tu toujours ?

N.: J'aimerais bien déjà qu'on puisse garder des droits pour lesquels les femmes ont lutté, par exemple l'avortement. C'est fou de faire des pas en arrière comme ça dans certains pays. Déjà si on pouvait garder des droits fondamentaux, ce serait fabuleux. Et puis ensuite, lutter encore plus contre le harcèlement de rue par exemple, ce serait, je pense, assez nécessaire.

Lady Gaga en juin 2019
Lady Gaga en juin 2019

La chanson "girl power" qui te rebooste ?

N. : Peut-être Lady Gaga Born This Way. Ce n'est pas forcément que pour les filles, c'est pour tout le monde : tu es né·e comme ça, sois fier.e de ce que tu es, peu importe la manière dont tu évolues, de ton apparence. Assume-le et vis-le pleinement.

Ton dernier moment badass ?

N. : J'ai un truc badass qui m'est arrivé il y a quelques mois. J'avais mis une petite annonce pour vendre un téléphone sur le Bon Coin. La personne est venue, on s'est donné rendez-vous. Cette personne m'a tendue des billets que j'ai pris et elle est très vite partie. Quand j'ai pris les billets et que je les ai regardés, c'étaient des faux billets ! Du coup, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai pris cette personne en filature, j'ai essayé d'appeler la police en même temps, ça traînait, ça traînait et au bout d'un moment, je l'ai attrapé, je l'ai retourné et je ne lui ai même pas laissé le temps de réfléchir, je lui ai fait : "Maintenant tu me rends mon téléphone et on en parle plus. Je te rends tes billets. Au revoir. Basta." Je ne sais ce qui m'a pris, vraiment, je lui ai sorti un truc droit dans les yeux, sûre de moi, il n'a pas eu le temps de cogiter, il m'a rendu mon téléphone et je lui ai rendu ses billets de 50 qui étaient vraiment très grossièrement faits en fait ! J'ai failli me faire rouler.

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