Alsace, la fin du concordat s'invite dans la campagne

Publié le Lundi 27 Février 2012
Alsace, la fin du concordat s'invite dans la campagne
Alsace, la fin du concordat s'invite dans la campagne
Dans un article publié par le journal Le Monde le 10 février, Roland Ries, sénateur-maire socialiste de Strasbourg, se revendique "concordataire" et affirme que la très grande majorité des alsaciens partage son opinion, y compris selon lui, les principaux leaders politiques de sa région, PS, UMP, Modem et Europe Ecologie.
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Aucun sondage sérieux ne corrobore les déclarations de Roland Ries. Le sénateur maire ne s'appuie sur aucune étude digne de ce nom pour prouver ses dires. Au contraire, il faut constater que, comme partout en france, la pratique religieuse est en forte baisse et qu'il en va de même pour le nombre d'élèves fréquentant les cours de religion dans les écoles (particularité d'Alsace-Moselle).

Un groupe d'universitaires alsaciens a tenu à répondre à la prise de position de Roland Ries et a envoyé une lettre de réaction publiée elle aussi par Le Monde.

La lettre de R.Ries:


Socialiste, j'appartiens à une famille de pensée dont les convictions puisent leur source dans la philosophie humaniste. Ces fondements ont guidé mon parcours politique autour des valeurs de liberté, de tolérance, de respect des différences et de promotion des diversités.

Laïc républicain, j'appartiens à la France de Jaurès, celle de la défense passionnée de Dreyfus et celle de la loi de 1905.


Alsacien depuis plusieurs générations, j'appartiens à une population qui, au gré des remous de l'histoire, s'est vue régulièrement amputée d'une part de son identité, avant de retrouver sa dignité.

Annexée par l'Allemagne en 1870, l'Alsace assiste impuissante à l'incorporation de ses enfants dans l'armée allemande en 1914, appelés à combattre pour le Reich jusqu'à l'arrivée des troupes françaises à Strasbourg en 1918. Le droit local appliqué dès lors en Alsace-Moselle comporte aussi bien des lois françaises datant d'avant l'annexion que des lois adoptées par l'Empire allemand entre 1870 et 1918.

Aujourd'hui, au terme des vicissitudes qui ont marqué son histoire, l'Alsace est très attachée à cet héritage composite. Au même titre que le bilinguisme, la culture régionale ou le droit local, le Concordat, traité signé en 1801 par Napoléon avec le Vatican pour mettre un terme aux conflits entre l'Eglise catholique et l'Etat français, constitue à présent un élément essentiel de l'identité alsacienne. Cet attachement, qui prend ses racines dans une histoire douloureuse et singulière, a valeur de socle culturel et sociétal.

"Concordataire", j'appartiens à la très grande majorité des Alsaciens et Mosellans, d'obédiences religieuses diverses, laïques ou même athées, qui soutiennent le régime concordataire.

Strasbourg, quant à elle, choisie comme ville symbole de la réconciliation dans l'immédiat après-guerre, est aujourd'hui capitale européenne des droits de l'homme et de la démocratie. L'histoire des XIXe et XXe siècles nous a donc légué une double inscription symbolique, faisant de Strasbourg une ville de dialogue et de débat sur les grands sujets de société.

Ville du dialogue interreligieux, elle est riche de nombreuses initiatives, émanant tant de la collectivité que des responsables associatifs ou religieux ("Appel de Strasbourg pour le respect mutuel", création d'une mosquée et d'un cimetière musulman, signature par dix responsables religieux des "Dix commandements pour la paix" à la suite de la rencontre d'Assise, etc.). Pour chacune d'entre elles, les représentants des cultes apportent leur soutien, appellent leurs fidèles à y contribuer et favorisent ainsi une meilleure connaissance de l'autre.

Ainsi, Strasbourg a réappris à vivre en paix, la paix telle que la définit Victor Hugo : "La guerre, c'est la guerre des hommes ; la paix, c'est la guerre des idées." Tel est précisément l'objet de l'inscription dans la Constitution de ce principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat : garantir la paix sociale, en reconnaissant la diversité des croyances, la liberté des pratiques et le choix de ne pas croire.

Certains considèrent pourtant que sacraliser le principe de laïcité, tout en émettant une réserve sur les modalités de sa mise en application, en Alsace-Moselle, est un paradoxe. Mais une réserve n'est pas une exception ; il ne s'agit donc ni d'un "droit à la différence" ni d'une "différence de droits", mais d'une différence de fait. La capacité à considérer l'"à côté" du cadre général, afin d'élaborer des lois applicables à la fois à tous et à chacun, ne fonde-t-elle pas l'intelligence humaine ?

La réaction du groupe d'universitaires :


Comme de nombreux Alsaciens, nous pensons qu'il faut en finir avec le concordat d'Alsace-Moselle, régime napoléonien dépassé, à l'opposé d'une conception républicaine et laïque de la France. Contrairement à une vision compassionnelle et erronée de la "société alsacienne", le concordat n'assure pas le "vivre-ensemble" mais crée les conditions d'une séparation communautaire organisée entre les religions elles-mêmes (en excluant tout autre culte que les quatre cultes reconnus) et par ailleurs entre les croyants et les agnostiques ou les athées.

Loi de concorde, la loi de 1905 garantit au contraire, en séparant les Églises et l'État, la liberté de conscience et, par conséquent, celle de culte. Cette loi de liberté qui doit s'appliquer partout sur le territoire français rappelle que la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte en application des deux principes fondamentaux que sont l'égalité entre les citoyens et l'universalité de la dépense publique.

Le régime concordataire est en contradiction flagrante avec ces deux principes. D'une part, seuls quatre cultes (catholique, protestant réformé et protestant luthérien, israélite) sont reconnus. D'autre part, le concordat a un coût très élevé pour le budget de l'État : plus de 50 millions d'euros ont été dépensés en 2011 pour rémunérer les 1 400 ministres des cultes alors même que, depuis 2007, le gouvernement a supprimé 65 000 postes dans l'éducation nationale. Pour le seul Bas-Rhin, plus de 400 postes d'enseignants seront supprimés à la rentrée 2012. L'argent public doit financer les services publics qui sont notre bien commun (école, hôpital, crèches, services sociaux, etc.) et non les cultes qui relèvent des pratiques privées. Il est paradoxal que ceux qui défendent le concordat suppriment dans le même temps des postes dans la fonction publique d'éducation ou de la santé au nom d'une supposée gestion rationnelle des fonds publics (sous l'effet de la révision générale des politiques publiques).

Outre le régime concordataire, le statut scolaire local (lois Falloux de 1850) est toujours en vigueur dans les établissements scolaires, instaurant l'enseignement religieux obligatoire à l'école et la prise en charge par l'État des salaires des "enseignants de religion", prélevés sur les deniers publics de la totalité des citoyens français.

Les tenants du régime concordataire brouillent le débat et cultivent l'amalgame entre le concordat et le droit social local pour créer des inquiétudes infondées auprès des Alsaciens et Mosellans. Hérité de la période allemande, ce droit local en matière de sécurité sociale est favorable aux salariés d'Alsace-Moselle qui en assument d'ailleurs la charge financière supplémentaire.

Nous considérons que c'est là un modèle dont nous pourrions nous inspirer pour l'étendre aux autres départements suivant le principe d'alignement des droits sociaux par le haut.

Nous, Alsaciens venant d'horizons sociaux, culturels, religieux et philosophiques très divers, attachés à notre patrimoine culturel hérité des Lumières et de la Révolution de 1789, affirmons que la laïcité est le socle de tout projet d'émancipation citoyenne. Celle-ci n'est pas la guerre aux religions, bien au contraire elle met fin aux conflits religieux et aux surenchères communautaires. En toute rationalité, on ne peut se réclamer de la loi de 1905 et soutenir simultanément l'exception concordataire.


(*)
Josiane Nervi-Gasparini (maître de conférences en mathématiques, université de Strasbourg),
William Gasparini (professeur des universités, sociologue, directeur de laboratoire, université de Strasbourg),
Jean-Claude Val (professeur de sciences économiques et sociales en CPGE, Strasbourg),
Alfred Wahl (professeur émérite d'histoire, université de Metz),
Jean-Pierre Djukic (chercheur en chimie, administrateur de l'université de Strasbourg),
Yan Bugeaud (professeur des universités, mathématiques, université de Strasbourg),
Roland Pfefferkorn (professeur des universités, sociologie, université de Strasbourg),
Pierre Hartmann (professeur des universités, littérature, directeur de l'école doctorale des humanités, université de Strasbourg).



Le concordat fera-t-il partie du débat électoral en vue des élections présidentielles?











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