Comme si la pression sociétale pour ne pas dépasser une taille de confection ou un poids donné sur la balance n'était pas suffisante, le milieu médical s'illustre souvent, et avec brio, au palmarès de la grossophobie ordinaire. Dès que notre IMC (qui soit dit en passant est d'une inexactitude criminelle, mais c'est un autre sujet) dépasse le fatidique chiffre de 25, et même juste en dessous, s'occuper de sa santé peut devenir un vrai calvaire. En effet, appuyés par "la science", certains médecins oublient toute notion de compassion pour aborder le sujet du (sur)poids avec leurs patient(e)s...
On oublie souvent, certains membres du corps médical en premier lieu semble-t-il, que dans le serment qu'ils prêtent afin d'exercer leur si spéciale profession, il leur est clairement rappelé de faire leur devoir dans une certaine éthique : "Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. [...] J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences."
Que l'état de santé des patients soit lié à leur masse graisseuse, à leur poids, ou non, le respect leur est dû. Pourtant, les réseaux sociaux nous permettent de voir à quel point ce devoir est parfois bafoué, lorsqu'il devrait s'adresser à des personnes "fortes". Injonctions à se mettre immédiatement au régime, diagnostics établis à la va vite, jugements hatifs, paroles blessantes, gestes d'énervement... De nombreuses femmes témoignent du manque de tact, pour rester polies, qu'elles ont parfois subi lors d'une examen, d'une consultation ou bien d'une intervention de santé.
"Ouhlala mais ça va pas du tout ça, je vais vous envoyer chez mon collègue nutritionniste, y'a urgence là !", "Ah oui quand même X kilos, il va falloir faire quelque chose, vous mangez quoi dans la journée ?", "Oui enfin vous y êtes pour quelque chose quand même, vu que vous ne faites pas attention à votre poids", "Je ne vais pas vous prescrire la pilule, vous êtes déjà assez ronde comme ça !", " Et sinon, vous n'avez pas de problèmes de genoux ? Non ? Bah ça viendra, on ne vit pas longtemps dans votre état"... On aimerait que ces phrases assassines, dépourvues de la moindre empathie et d'un fat shaming glacial soient "trop grosses pour être vraies"...
Des milliers de témoignages de cet acabit, qui font froid dans le dos, ont été rapportés ces dernières années, depuis que la parole contre la grossophobie et autres formes de body shaming s'est libérée. On pense notamment à celui de la vlogueuse Marion Pinkybuttercup , qui a vécu une grossesse difficile tant les remarques (et comportements) quant à son surpoids ont dépassé les limites. Ou plus récemment à l'américaine Rebecca Hiles (son témoignage sur Everyday Feminism a été traduit en français), qui a mis 5 ans à se faire diagnostiquer un cancer du poumon car les médecins disaient que ses symptomes étaient dûs à son embonpoint... Il est temps de mettre cette triste liste de casseroles haineuses en blouse blanche aux archives !
Évidemment, "tous les médecins et personnels soignants" ne se comportent pas ainsi, et heureusement. Mais ceux qui le font, appuyés par une position de force, d'expertise, suffisent à susciter une véritable angoisse chez les personnes concernées. Ainsi, tout comme certaines militantes féministes ont mis en place des listes de gynécos dits "safe", ne risquant pas de tenir un discours oppressif (sexiste, transphobe, validiste...), les réseaux body positive commencent aussi à se partager leurs "bonnes adresses"... Un établissement où l'on ne sera pas ramenée à un poids ou une apparence de manière abusive par des propos ou actes grossophobes, devient donc un lieu exceptionnel. On croirait rêver !
Alerter sur ce type de pratiques est devenu vital, car elles sont d'une grande violence, sournoise car d'apparence "innocente" et surtout "justifiée", envers les personnes qui les subissent. Sachant déjà pertinemment- puisque l'on se plaît à leur marteler en permanence- que leur poids est un potentiel risque... Ces dernières n'ont pas besoin de subir un bashing supplémentaire de la part d'un professionnel de santé qu'elles viennent consulter pour un (autre) problème. Mais pas que.
Si certains arguments (surtout lorsqu'ils sont présentés de manière respectueuse, et avec empathie) médicaux sont pertinents sur la question du surpoids, en faire un véritable combat de tous les instants face à une personne "non mince" ne fait qu'alimenter la grossophobie ambiante. Pour le constater, il suffit de lire les commentaires sur le moindre article contenant les termes "plus size" ou "body positive" sur la toile : le troll fat shamer se nourrit du soutien de la médecine et de "la science" (sous la forme de nombreuses études pseudo-scientifiques, surtout) !
Cette théorie peut sembler un tantinet capillotractée, du moins lorsqu'elle est présentée aussi directement, avec un trait "grossi" pour nous aider à ouvrir les yeux. Mais elle mérite d'être prise en considération pour nous amener à repenser notre "modèle" de société, et de "corps idéal". Afin d'expliquer le problème posé par la grossophobie médicale, ou parfois scientifique, qui justifie un fat shaming généralisé de la société (qui, elle, n'a pas fait médecine la plupart du temps !), une vidéo très pédagogique vient de paraître :
L'association américaine ASDAH (Association for Size Diversity and Health soit "association pour la diversité des tailles et de la santé") promeut une médecine humaine, qui ne se borne pas aux critères "mathématiques" de la santé. Dans sa vidéo, elle compare les différentes morphologies existantes dans la nature aux nombreuses races de chiens. Dans ce monde canin métaphorique, le seul modèle de corps, représenté et pris en compte, est celui d'un caniche. Bien évidemment, avec ce point de départ, on se rend vite compte que beaucoup de choses ne peuvent pas, et ne pourront jamais, convenir à tous les autres pedigrees... Chez les humains, femmes et hommes, c'est à peu de choses près la même chose.
Chiens, chats, humains ou extra-terrestres, du moment que nous n'oublions pas notre empathie et ne suivons pas les règles et autres modèles sociétaux, au pied de la lettre, comme des moutons... tout ira bien, et pour tout le monde !