La police des moeurs iranienne est-elle vraiment abolie ? Ce n'est pas aussi simple

Publié le Lundi 05 Décembre 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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La police des moeurs iranienne est-elle vraiment abolie ? Ce n'est pas aussi simple
Le procureur général Mohammad Jafar Montazeri a annoncé l'abolition de la fameuse "police des moeurs" en Iran ce 3 décembre. Mais qu'en est-il vraiment ?
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La police des moeurs iranienne a-t-elle réellement été supprimée ? C'est en tout cas ce qu'aurait annoncé le procureur général de l'Iran, Mohammad Jafar Montazeri, ce 3 décembre. Cette unité iranienne composée d'hommes mais aussi de femmes patrouille dans les rues afin de vérifier si les règles islamiques sont bien respectées dans les lieux publics. Connue sous le nom de Gasht-e Ershad, elle officie depuis 2006.

Parmi ces règles, le port du foulard. La police des moeurs est au coeur d'une vaste indignation et mobilisation, depuis la mort suspecte en septembre dernier de Mahsa Amini, jeune femme de 22 ans décédée suite à son arrestation par ladite patrouille.

"La police des moeurs n'a rien à voir avec le pouvoir judiciaire, et elle a été abolie par ceux qui l'ont créée", a ainsi affirmé Mohammad Jafar Montazeri ce 3 décembre. Des propos rapportés par l'agence de presse semi-officielle Isna. Mais est-ce vraiment bien le cas ?

Une "fake news" ?

Si cette annonce de l'abolition de cette police a suscité une vague d'espoir à l'international, la réalité sur le terrain serait toute autre. L'info aurait même été contredite.

"Elle a été démentie par la télévision iranienne, il n'est pas question du tout de supprimer la police des moeurs", énonce ainsi au Huffington Post le sociologue et spécialiste de l'Iran Mahnaz Shirali, qui croit peu en ce démantèlement, et voit même là "une opération de propagande du régime pour détourner l'attention de la communauté internationale sur les crimes et les exactions qui sont en train d'être commises en Iran".

En outre, Le Point parle de son côté ouvertement d'une "fake news", précisant qu'aucune source gouvernementale n'est venue confirmer ou infirmer cette information, ni la police ni le Conseil suprême de la Révolution culturelle, ni le ministère iranien des Affaires étrangères. De plus, rappelle Le Point, la police des moeurs ne dépend pas de l'autorité judiciaire à laquelle appartient Mohammad Jafar Montazeri, mais du ministère iranien de l'Intérieur. Les déclarations actuelles sont dont à prendre avec précaution.

"Ce n'est pas la première fois que le pouvoir iranien change le régime de la police des moeurs. Depuis 1979 et la révolution iranienne, il y a eu de nombreuses métamorphoses. D'abord sous le président Mohammad Khatami, ensuite sous Ahmadi Nehad, mais à chaque fois elle a été rétablie. Elle a même parfois été remplacée par une police encore plus violente. Ces changements n'ont entraîné qu'une modification de la couleur des uniformes, rien de plus", tient encore à prévenir la sociologue Mahnaz Shirali. Tout un historique est donc à prendre en compte.

Même son de cloche du côté du chercheur Farid Vahid, directeur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, qui perçoit avant tout les "propos ambigus" du procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri comme un témoignage "de la fragilité et de la peur du régime face à la poursuite de la mobilisation en Iran".

La journaliste iranienne Masih Alinejad précise elle aussi sur son compte Twitter : "C'est de la désinformation que de dire que la République islamique d'Iran a aboli sa police des moeurs. C'est une tactique pour arrêter le soulèvement. Les manifestants ne font pas face aux armes et aux balles pour abolir la police des moeurs ou le hijab forcé, ils veulent mettre fin au régime islamique."