4 raisons de lire "Le regret d'être mère", un livre remarquable sur un sujet tabou

Publié le Jeudi 19 Décembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le regret d'être mère, un sujet tabou.
Le regret d'être mère, un sujet tabou.
Aux yeux de la société, il y a pire qu'une femme qui ne veut pas d'enfants : une mère qui n'a pas désiré les siens. Un gros tabou. L'autrice Orna Donath a tendu l'oreille à ces femmes diabolisées.
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Orna Donath a fait le choix de ne pas avoir d'enfants. Quitte à subir des flopées d'opinions déplacées. Avec Le regret d'être mère, l'autrice s'intéresse à celles qui, elles aussi, ne sont jamais épargnées par les jugements à l'emporte-pièce. A savoir, ces femmes qui n'ont pas désiré leur maternité. Et plus précisément, vingt-trois anonymes, pour la plupart hétérosexuelles, qui ont entre 26 et 73 ans, et dont les expériences et parcours diffèrent. Elles ont un, deux, ou encore quatre enfants. Certaines sont même grand-mères !

En leur tendant l'oreille, Orna Donath a recueilli des témoignages bouleversants de sincérité, emplis d'affects et de contradictions. A travers ces voix qui disent l'indicible, l'autrice bouscule les stéréotypes de genre - millénaires - dont les femmes font l'objet, qu'elles soient mères ou non. Voici quatre bonnes raisons de se jeter sur ce livre qui brise les tabous.

Parce qu'il libère la voix des femmes invisibles

La voix des mères.
La voix des mères.

Ces femmes invisibles, ce sont les mères qui n'osent pas parler, ou que l'on n'écoute pas. Celles qui se sont retrouvées enceintes sans y avoir vraiment réfléchi, ou bien par obligation, sous l'effet de pressions considérables (sociales, familiales, conjugales, rayez la mention inutile), se sont simplement "laissées porter par le courant", celles qui se sont dit qu'il fallait faire comme tout le monde, car devenir mère, quand on est une femme, "c'est normal"... La mère, en 2019, est encore madone. On la sacralise : ce n'est pas juste conventionnel de le devenir, non, c'est un miracle. La maternité est une chance et celles qui disent le contraire ont un problème.

Résultat, celles-ci n'osent pas avouer qu'elles regrettent. Cela serait immoral, inacceptable, ou simplement égoïste. Soit une mère est irresponsable de l'être devenue sans l'avoir voulu, soit on lui rétorque qu'à force, cela passera : on ne naît pas mère, on le devient... Car le regret n'est jamais vraiment accepté dans notre société. Surtout quand il a trait au soi-disant "rôle" des femmes. "Il est perçu comme un sentiment que l'on doit vaincre, comme on le ferait pour un ennemi tenace ou une maladie", décrypte l'autrice. Mais en dit-on autant des hommes ? Non : ceux-ci, tout simplement, ne sont "pas faits pour ça". Et leur attitude ne provoque pas le moindre cri de stupeur.

Car il bouscule le complexe de la "mauvaise mère"

La mère, l'éternelle coupable de notre société.
La mère, l'éternelle coupable de notre société.

Peu importe ce qu'elles disent, les mères seront toujours coupables. Parler de ces femmes qui "regrettent", c'est évoquer le complexe qui le démontre : celui de la "mauvaise mère". Il désigne, par exemple, toutes celles qui refusent l'injonction selon laquelle "la famille passerait en premier". Et perçoivent plutôt en cet ordre une manière comme une autre de limiter leurs horizons et potentiel, sous prétexte de valeurs et de bon sens.

"Mauvaise mère", cela sonne comme "marâtre". On se croirait dans un conte de fées un brin primaire ! Or, la psychologie de ces mères est fascinante de complexité. Il y a celles qui adorent leurs enfants mais ne supportent pas d'être mamans. Qui se sentent étouffées par cette responsabilité. Qui aimeraient revenir en arrière. Considèrent cela comme "une erreur de jeunesse". Déplorent d'avoir du renoncer à beaucoup de choses "auxquelles un homme n'a pas à renoncer". Et d'autres encore qui se disent, en riant : "dans une prochaine vie, on n'aura pas d'enfants !".

Idem pour les mamies. Certaines envisagent ce rôle comme une seconde chance. Une manière de corriger ce qui les fait sentir si fautives - à tort. Mais d'autres n'y arrivent tout simplement pas : "je fais ce qu'il faut faire, j'appelle mes petits enfants, je m'inquiète. Mais ce c'est pas moi, ce n'est pas mon truc", raconte l'une d'elles. Quand ces femmes parlent, elles semblent s'excuser de ne pas être ce qu'elles sont censées être. Comme si leur mal-être était transgressif. Alors, longtemps, elles gardent ça en elles.

L'on scrute les "mauvaises" mères comme l'on juge les femmes enceintes. Charge mentale maternelle ou pas, celles-ci se doivent de soigner leur apparence, bien s'habiller, se maquiller, se coiffer. Être de bonnes mères présentables. "Leur corps n'est pas libre, ne serait-ce qu'un bref instant", explique l'enquêtrice. De A à Z, la maternité n'exclue aucun qu'en-dira-t-on.

Parce que c'est une réflexion (vraiment) riche

Maman blues.
Maman blues.

Orna Donath passe au scalpel la folle complexité de la maternité. Angoisse ou vocation, la condition de mère est une malédiction ou une bénédiction. L'autrice cite la philosophe féministe américaine Diana Tietjens Meyers, pour qui la maternité semble imposée aux femmes comme "le seul scénario envisageable" de leur existence. Sans issue de secours. Les femmes sont perdantes dès le départ : on les voue à un jeu dont elles n'ont pas écrit les règles.

Dire ce tabou est ardu puisque plane la crainte de faire du mal aux enfants. Que ceux-ci se pensent non-désirés. Or, pour certaines, en parler ouvertement est une preuve de respect envers leur progéniture. Pas simplement parce que c'est honnête, non : mais parce qu'ouvrir la voix leur fait comprendre que d'autres voies sont possibles. Que leur avenir n'appartient qu'à eux. Entendre ces regrets, c'est bousculer les préjugés d'un vieux monde patriarcal qui meurtrit "les mères et les enfants d'abord".

Parce que c'est un livre profondément féministe

Parler des mères, c'est éclairer la condition des femmes.
Parler des mères, c'est éclairer la condition des femmes.

Comprendre ces regrets, c'est donc se dire qu'une autre vision de la maternité (et la féminité !) est encore possible, n'en déplaisent aux réacs. "Le souhait de ne pas être mère n'implique pas nécessairement que ces femmes souhaitent faire disparaître leurs enfants. La distinction entre regretter la maternité et aimer ses enfants vise à couper le cordon ombilical imaginaire qui les relie à leurs enfants, ce qui leur permet d'avoir une relation au-delà des identités de "mère" et "d'enfant", décrypte en ce sens l'autrice.

Un livre nécessaire sur un sujet difficile.
Un livre nécessaire sur un sujet difficile.

A travers cette réflexion tabou, c'est donc une admirable empathie - et une réjouissante sororité - qui s'exprime. Envers ces mères, mais également envers toutes les femmes, qui ont le droit d'être libres, de leur corps, de leurs choix comme de leurs opinions. Car penser la féminité par-delà les notions de maternité, de famille et d'enfants, c'est en revenir à l'individu. A sa santé, mentale et physique, à ses droits, à son épanouissement : en revenir à l'être humain par-delà les préjugés et les étiquettes. Une réflexion pas simplement féminine, mais féministe. Fondamentale.

Le regret d'être mère, par Orna Donath.
Editions Odile Jacob, 230 p.

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