Mort de Jean Giraud, alias Moebius, le monde de la BD en deuil

Publié le Lundi 12 Mars 2012
Mort de Jean Giraud, alias Moebius, le monde de la BD en deuil
Mort de Jean Giraud, alias Moebius, le monde de la BD en deuil
Dans cette photo : Keith Richards
Dans le monde de la BD, personne n’oubliera ce samedi 10 mars 2012, le jour où l’un des derniers, sinon « le » dernier des grands de l’âge d’or de la bande dessinée, est mort des suites d’un lymphome. Il restera dans l’histoire, au même titre que Dûrer ou Ingres.
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Le 10 mars dernier à Paris, l’univers tout entier de la bande dessinée se séparait d’un des plus grands dessinateurs et scénaristes français, connu sous le nom de Gir et Moebius, Jean Henrin Gaston Giraud, 73 ans, est mort des suites d’une longue maladie.

Jean Giraud utilisait deux pseudonymes : Gir, lorsqu’il dessinait la série western « Blueberry » et Moebius, côté fantastique de sa personnalité qu’il utilisait pour les personnages Arzach, Incal ou Major. Moebius faisait référence au ruban du savant Möbius, symbole de l’infini.

Né le 8 mai 1938 à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), Jean Giraud a commencé à l’Ecole des arts appliqués de Paris. Ses premières publications s’installent dans Fripounet et Marisette, Ames Vaillantes ou encore Cœurs Vaillants. En 1963, Jean-Michel Charlier cherche un dessinateur pour un western, Jijé décline l’offre, mais parle de Giraud à Charlier : ainsi né Fort Navajo ou la première histoire où un certain lieutenant de l’armée américaine fait son apparition au nez cassé et au caractère ne laissant personne de marbre, Mike « Blueberry » Donovan. La légende Gir est née à ce moment.

Il déclare au Monde, en 2010, que ce projet était l’occasion de « faire du cinéma sur papier ». Lors d’une rétrospective que la Fondation Cartier lui consacra en 2010, Jean Giraud explique, « Le cinéma est le réservoir d'images de Blueberry. (…) Concernant le personnage, je lui ai donné les traits de nombreux acteurs à la mode de films d'action : Belmondo bien sûr, mais aussi Bronson, Eastwood, Schwarzenegger… J'ai même utilisé Keith Richards (le guitariste des Rolling Stones) ou Vincent Cassel. A chaque fois, je rajoutais un nez cassé, ainsi qu'une coupe de cheveux à la Mike Brant ! Beaucoup de réalisateurs m'ont également inspiré. Blueberry doit beaucoup à Sam Peckinpah. Il y a aussi du Sergio Leone chez lui. Mais pour ce qui est de son amitié avec les Indiens, je suis plus proche de John Ford qui, toute sa vie, a été écartelé entre le machisme blanc de la conquête de l'ouest et la conscience qu'il avait des minorités opprimées. »


Son double fantastique, Moebius, nait en parallèle de « Blueberry » quand en 1975, avec l’aide de Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Bernard Farkas, Giraud créé le magazine Métal Hurlant. Le héros muet, surement, le plus célèbre du monde nait : Arzach. Jean Giraud, alias Moebius, racontait une fois de plus au Monde, « A l'époque, Métal Hurlant vivait constamment dans le danger de mourir. Nous ne savions jamais si nous allions sortir le numéro suivant. La garantie de l'étonnement éditorial était notre propre étonnement. D'où ce personnage sans parole ni référence culturelle que je faisais le soir après le boulot – après Blueberry, quoi. C'était une façon d'être provocant. »


Grâce à cet univers totalement inédit et son style graphique très variable, pouvant aller du réalisme fouillé de ses débuts à l’onirisme et aux épures lyriques d’ouvrages plus récents, Jean Giraud est connu dans le monde entier, gagnant le respect des auteurs américains de comics aux mangakas au Japon.


Il travaillera, avec Jodorowsky, sur une adaptation de Dune, qui restera à l’état de projet. Jean Giraud dessinera les costumes d’ « Alien, le huitième passager » de Ridley Scott en 1977. Dix ans plus tard, il part vivre à Los Angeles et illustre une histoire du « Surfer d’argent » en collaboration avec Stan Lee, selon la méthode Marvel. Rare pour un européen, cette contribution a influencé plusieurs auteurs de comics, comme Jim Lee (X-men) ou Mike Mignola (Hulk).


Peut-être aurait-il voulu en faire un peu plus, comme il l’a laissé entendre en 2010. « Je ne dirais pas que le cinéma m’a laissé au bord du chemin. C’est plutôt moi qui l’ai laissé passer. Il est malheureusement difficile d’avoir plusieurs vies simultanément. Faire du Moebius sans la moindre concession tout en continuant Blueberry demande déjà un investissement interne considérable. Je me tire d’ailleurs le chapeau car j’ai réussi à me trahir sans me quitter… Bref, je n’avais pas de place à accorder au cinéma. Pour se lancer dans le cinéma, il faut être Cortez : brûler des vaisseaux et ne plus rien avoir d’autre à faire. »


Autant dire que des génies tel que celui que nous venons de voir, se font très rares aujourd’hui… Alors si vous allez au Futuroscope et que vous faites « La Citadelle du Vertige », pensez à cet homme qui, aux côtés du magicien Gérard Majax, l’a conçue.

À propos
Keith Richards