Golgota Picnic : « Les intégristes veulent restaurer le délit de blasphème »
Publié le 8 décembre 2011 à 15:46
Par Marine Deffrennes
La première de « Golgota Picnic », ce soir, au Théâtre du Rond-Point, est menacée par les commandos des ultras catholiques, qui crient au blasphème et à la christianophobie. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) appelle à manifester à 18h30 pour défendre la liberté de création. Eclairage avec Agnès Tricoire, avocate et responsable politique de la LDH.
Golgota Picnic : « Les intégristes veulent restaurer le délit de blasphème » Golgota Picnic : « Les intégristes veulent restaurer le délit de blasphème »© Golgota Picnic
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Terrafemina : Vous appelez à manifester ce soir à 18h30 pour soutenir le Théâtre du Rond-Point, quel est le mot d’ordre ? A quoi vous attendez-vous sur place ?

Agnès Tricoire : La Ligue des droits de l’Homme appelle à manifester pour soutenir la liberté de création contre toute forme de censure. Les intégristes catholiques sont en train d’essayer de restaurer le délit de blasphème, qui n’existe pas pénalement en France. Les associations qui s’attaquent à la pièce de Rodrigo Garcia sont les mêmes que celles qui ont vandalisé le tableau « Piss Christ » d’Andres Serrano, au printemps dernier à Avignon. Nous avons vu comment ils ont assiégé le Théâtre de la Ville pour empêcher la pièce de Roméo Castellucci, « Sur le concept du visage du fils de Dieu ». Ils débarquent en commandos, et s’agenouillent pour prier en chantant en latin, tandis que quelques nervis au crâne rasé se débattent avec la police. Certains auront certainement acheté des billets pour la première, et tenteront de perturber le spectacle de l’intérieur. La représentation sera hautement surveillée, et pour l’avoir déjà vécu, c’est une expérience assez troublante et désagréable pour le spectateur.

TF : La pièce « Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia, est-elle christianophobe ou blasphématoire selon vous ? Le Dieu chrétien serait traité de « putain de démon » et les fidèles de « baiseurs de gosses ». Peut-on considérer qu’il y a là un délit d’injure publique ?

A.T. : Je verrai la pièce ce soir, mais je remarque qu’elle a été jouée en Espagne et en Autriche, des pays qui ne sont pas vraiment connus pour tolérer les attaques à la religion, sans qu’il y ait une telle mobilisation. Je pense que chacun a le droit d’être choqué par un spectacle, mais cela mérite un débat, et non le recours à la violence. Le délit d’injure publique, qui existe dans la loi sur la liberté de la presse de 1881, interdit en effet l’injure d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de son appartenance ethnique ou religieuse. Mais ce dispositif légal n’a jamais été efficace devant les tribunaux qui ne veulent pas entrer dans le jeu religieux, on l’a vu dans l’affaire des caricatures de Mahomet, où Charlie Hebdo a obtenu gain de cause. Il faut surtout considérer que lorsqu’un personnage de théâtre tient un discours, on se trouve en pleine fiction, va-t-on se mettre à censurer les héros de roman ou de théâtre ?

TF : Est-il nouveau de devoir défendre la culture et la liberté d’expression face à l’extrémisme catholique. Cette mouvance est-elle plus inquiétante aujourd’hui ?

A.T. : Ce qui est inquiétant c’est que ces intégristes sont rejoints par des catholiques plus modérés, et que les évêques et la hiérarchie de l’Eglise en général suivent, au lieu de calmer le jeu. Monseigneur Podvin a ainsi encouragé les chrétiens à manifester, et publié deux communiqués proposant de priver les théâtres de subventions. Il y a là un symptôme fort de la remontée de l’extrême droite en France, résultat de la droitisation de la droite. Les catholiques intégristes, qui restent très minoritaires, nous le savons, ont trouvé en s’attaquant à l’art un prétexte pour exister.

TF : Que savez-vous de l’Institut Civitas, et des mouvements qui ont vandalisé l’œuvre d’Andres Serrano ?

A.T. : Ces mouvements existent depuis longtemps. L’Agrif, l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne, se contente en général de procédures judiciaires, elle avait d’ailleurs porté plainte contre le « Piss Christ » mais a été déboutée et condamnée à des dommages et intérêts pour abus de procédure. L’Institut Civitas est pour sa part habitué des actions directes et violentes. Ils jugent en lieu et place des autres et veulent imposer leur conception. Beaucoup d’associations se situant très à droite, utilisent la question de l’enfance pour imposer la censure dans le cinéma par exemple. Si le théâtre et l’art contemporain subissent aussi la loi du politiquement correct, il restera peu d’espaces de liberté pour la culture.

Crédit photo : Golgota Picnic

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