La pornographie serait-elle utile ?

Publié le Jeudi 22 Août 2013
La pornographie serait-elle utile ?
La pornographie serait-elle utile ?
L'érotisme et la pornographie peuvent-ils être utiles à la société ? Certains s'offensent de trop de représentations de la nudité partout, d'une pornographie ambiante. Mais ce peut-il qu'elle ait une fonction bien précise ?
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Avant l'invention de la photographie et du cinéma, c'est la peinture et la sculpture qui permettaient une forme d'initiation des adolescents au corps de l'autre et, pour les adultes, d'y trouver de l'excitation. Le corps de la femme, s'il n'était nu, avait à peine un voile dans la sculpture antique et la représentation de l'homme ne nécessitait pas toujours que son sexe soit caché par une feuille de vigne (au point qu'au Vatican, où se trouve une des plus grosses collections de sculptures, un pape censeur à fait ôter d'un coup de burin l'intégralité des pénis de la collection pour les entreposer dans des commodes à l'abri de tout regard...).

À partir du Moyen-Âge, la représentation du corps est raide, presque figée, les peintres ne cherchent pas à mettre en scène la volupté, le plaisir, l'épanouissement du désir. Cela n'est pas nécessaire. La sexualité est relativement peu contrôlée et, concernant les femmes, on pense encore qu'il est important de stimuler le clitoris lors des rapports, que sa jouissance est tout aussi nécessaire que celle de l'homme.

La représentation des corps évolue à la Renaissance et doucement une représentation plus charnelle – en peinture comme en sculpture - installe une excitation particulière à voir le corps nu ou à peine voilé.

À partir du XVIIIe siècle commence la censure de certaines pratiques sexuelles par les médecins : la masturbation et l'homosexualité étaient décriées (avant cela, les mots n'existaient pas, on parlait de frottements et de sodomie). Les femmes ne devaient plus prendre de plaisir. Au même moment, la littérature érotique prend son envol : si le plaisir corporel est contraint, l'imagination s'enflamme. Les peintres, qui souvent illustrent ces livres de gravures, commencent à mettre en scène les femmes dans des positions de plus en plus alanguies, avec des cheveux ondulés, de plus en plus longs, comme pour accentuer la douce vague que l'orgasme provoque dans le corps.

C'est ensuite l'invention de la photographie, au XIXe siècle, qui va accélérer le dévoilement cru de la nudité, donnant lieu à ce que l'historien Alain Corbin nomme « le voyeurisme de l'exactitude » : le corps est présenté dans « toute sa vérité ». Le sexe féminin est visible en gros plan, dans tous ses détails, et on donne à voir des érections. Cela compense, d'une certaine façon, la régence des médecins qui, continuant de s'exercer sur les rapports sexuels, rend la chair triste. Parce que les femmes sont tenues de plus en plus à l'écart du sujet, on leur distribue des manuels pour les encourager à supporter « cet acte bestial », sans rechigner lorsque les demandes du mari sont « contre nature ». On enferme les prostituées dans les bordels pour les rendre invisibles (ce qui aura d'ailleurs l'effet inverse : les maisons de rendez-vous seront fréquentées par toutes les classes sociales et non plus seulement par ceux qui vivaient dans une certaine misère sexuelle).

Les choses ne sont pas si différentes aujourd'hui. Si la masturbation n'est plus interdite, il demeure toujours une forme de malaise à en parler, on n'efface pas si aisément le souvenir de pareil « danger ». L'homosexualité n'est plus proscrite, mais continue d'être montrée du doigt, décriée. La femme est encouragée à jouir, mais fait peur à certains hommes lorsqu'elle est trop émancipée, gourmande, forte et indépendante. C'est d'ailleurs presque toujours une femme blonde, fine, fragile, qui est mise en images dans les publicités, au cinéma, etc. Enfin, si les adolescents sont curieux de découvrir le corps de l'autre et les différentes pratiques sexuelles, c'est encore l'image qui donne le mieux à comprendre.

Pour maintenir un équilibre, tout ce qui est enfermé sous le sceau de l'interdit conduit d'emblée à compenser, d'une façon ou d'une autre. Parler librement de sexe, cesser de réprimer un certain nombre de pratiques, libère ; et ce qui s'applique globalement à la société, s'applique aussi à soi. Si les normes servent à avoir un cadre, il faut aussi accorder une certaine souplesse à celui-ci, pour pouvoir se faire du bien. En attendant, les images servent à compenser.

À méditer.