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Masturbation : le plaisir solitaire à travers les siècles
Publié le 13 mars 2012 à 19:08
Par Sophie Bramly
Si aujourd'hui les bienfaits de la masturbation ne sont plus à vanter, il n'en fut pas toujours ainsi. Notre experte Sophie Bramly revient cette semaine sur la diabolisation des plaisirs solitaires entre les XVIIIe et XXe siècles.
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Jusqu'au XVIIIe siècle, ni l’État, ni l’Eglise, ni la médecine ne s’élevaient contre la masturbation, qui était avant tout considérée comme une excellente méthode contraceptive et était la pratique sexuelle la plus répandue.

Tout a basculé lorsqu'un médecin anglais publia anonymement, au début du XVIIIe siècle, un tract dénonçant la masturbation comme mère de tous les dangers, pour les hommes comme pour les femmes, faisant perdre tout flux vital. Parce qu’elle est pratiquée seul(e), sans témoin, sans guide pour y mettre une limite. À l’époque, la sodomie, l’adultère et autres pratiques jugées inconvenantes, sont punies, mais celle-ci est ignorée, pour la seule raison qu’elle est pratiquée à l’abri de tout regard social.

S’appuyant sur l’histoire d’Onan, il utilise la Genèse pour appuyer son raisonnement : « Juda dit alors à Onan : Va vers la femme de ton frère. Agis envers elle comme le proche parent du mort et suscite une descendance à ton frère. Mais Onan savait que la descendance ne serait pas la sienne ; quand il allait vers elle, il laissait la semence se perdre à terre pour ne pas donner de descendance à son frère. Ce qu'il faisait déplut au Seigneur qui le fit mourir. » (Gen. 38, 9-10).
Un seul homme n’aura pas suffit pour convaincre tout l’Occident d’un péché de l’auto-érotisme, mais il n’en aura fallu que trois.

La rencontre du médecin, John Marten, avec un physicien très croyant aura permis de trouver des méthodes pour curer le mal ; ainsi, le problème est arrivé enrichi de ses solutions. De la tape sur les doigts aux interventions chirurgicales sur le clitoris ou l’urètre, en passant par le piège à pénis avec des pointes, toutes les gradations du sadisme ont été déployées pour éradiquer le « mal », sans empêcher les gens de continuer à se masturber, mais, cette fois-ci, avec un fort sentiment de culpabilité. Le troisième homme, un certain Mr Varenne, a publié le tract, devenu livre. En France, c’est le Dr Tissot qui reprend à son compte le discours et acquiert ainsi une notoriété qui dépasse nos frontières. On aura beau constater tout au long des  XVIIIe et XIXe siècles que personne ne devient sourd, ni ne meurt d’excès de masturbation, que la démographie de nos pays n’est pas déstabilisée par la pratique, la médecine ne change guère son discours jusqu’au début du XXe siècle.

Trois hommes auront ainsi diabolisé la masturbation pendant près de trois siècles. Thomas Laqueur, historien américain et auteur de « Le sexe en solitaire. Contribution à l’histoire culturelle de la sexualité », note que dans cette révision du statut de la masturbation, il est apparu que la femme aussi se masturbait. Ce qui, pour lui, faisait à la fois de la masturbation le premier sujet de la sexualité moderne (le terme de « sexualité » est, lui, apparu plus tard), et la première marque d’une sexualité démocratique, où l’homme et la femme se retrouvaient observés à égalité.

Ce qui me semble intéressant de noter ici, c’est que si l’on peut se réjouir de cette forme de parité dans le rapport sexuel, il est aussi important de noter que c’est dans la négation et le rejet que la conquête s’est faite. Il aurait été meilleur que cela puisse être dans la construction. Mais hélas dans la langue anglaise « self-abuse » signifie à la fois « autodestruction » (qu’elle soit mentale ou psychique) et « masturbation ».
Ce qui continue de véhiculer, malgré soi, des idées erronées...

Crédit photo : iStockphoto

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