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"Vous avez honte" : Christine Angot, très émue, parle de l'inceste, cette "salissure"

Publié le Jeudi 14 Mars 2024
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
13 photos
Dans le documentaire "Une famille" diffusé en salles le 20 mars, Christine Angot revient sur un sujet maintes fois évoqué dans ses livres : l'inceste que lui a fait subir son père des années durant. Auprès d'Augustin Trapenard, elle témoigne...
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On ne s'est jamais vraiment remis de la lecture du livre qui a valu à Christine Angot le Prix Médicis : Le Voyage dans l'Est. Autrement dit, le récit insoutenable d'un inceste. Un témoignage au style douloureux, implacable, minutieux, tranchant. Et un sujet que la romancière a tant abordé dans sa carrière, de L'inceste à Un amour impossible... Jusqu'à un documentaire, essentiel, en salles le 20 mars : Une famille.

C'est justement à cette occasion que Christine Angot s'est entretenue auprès d'Augustin Trapenard. Le temps d'une balade, l'artiste confie au journaliste littéraire ses impressions sur ce passé qui ne passe pas. Elle panse les plaies et libère une parole d'une impitoyable lucidité : "On ne cesse de dire : il faut parler. Mais ce sont toujours les mêmes qui parlent".

Comprendre : les victimes. Mais les proches dans tout ça ? Angot est allée les rencontrer pour son documentaire, qui propose leurs témoignages - famille, belle famille, époux... Mais pour l'autrice, l'expression "libération de la parole" est à prendre avec des pincettes.

"Un mot ne suffit pas. Derrière un mot, il y en a un autre. Cela ne cesse de circuler. Les gens ne regardent pas l'inceste. Ils se regardent en train de poser des questions. Quand ils disent : 'on vous croit !' cela veut dire 'Je n'ai pas besoin de détails, je te crois'. C'est encore une autre façon de faire taire les victimes".

A l'heure de #MeTooInceste, il faut (re)lire Christine Angot, voix qui aujourd'hui fait écho à d'autres, tout aussi puissantes (Vanessa Springora, autrice du Consentement, Neige Sinno, autrice de Triste Tigre), et surtout, il faut l'écouter, quand elle parle de son père, et des violences subies...

"C'est de la salissure, c'est moche"

"Vous avez remarqué, en lisant mes livres : je ne parle jamais de la honte. Et pourtant, quand vous êtes une petite fille, et que votre père vous embrasse sur la bouche... Vous avez honte". La parole pleine d'une légitime indignation, Christine Angot s'attarde sur les "sentiments" de l'inceste, ce fléau. Près de 2 Français sur 5 connaissent au moins une personne victime d'inceste. Dans 34% des cas, c'est une personne de la famille. 7,4 millions de personnes déclarent avoir été victimes d'inceste. 65 % de femmes et 35 % d'hommes.

La romancière poursuit : "Le lendemain, quand vous n'arrivez pas à le dire à votre mère, vous avez honte. Quand vous rentrez de vos vacances et que vous dites à votre meilleure amie que vous avez un père génial, là encore vous avez honte...". Faire comprendre ce conflit intérieur qui fait tant souffrir, c'est l'un des grands enjeux de la littérature autofictionnelle de celle qui, face à Augustin Trapenard, ne parvient pas à retenir ses larmes.

"Parfois, tout à coup, en rangeant des affaires, je me dis : Mais t'as pas vécu ça ! Ce n'est pas moi qui ai vécu ça ! C'est lamentable. C'est une peine. Je me suis toujours battue contre ça", poursuit-elle, très émue. "Je suis contente d'arriver à écrire 'ce truc' et en même temps je le fais, donc ça me dégrade...Toute la honte qui est attachée à cela. C'est de la salissure. C'est moche"

Difficile de rester de marbre face à la parole brisée mais si juste de la romancière. On pense face à cette "honte" aux mots forts d'Alexandra Lamy sur les violences sexuelles, et "l'affaire Godrèche" : "les violences sexuelles, c'est vraiment le seul crime où la victime devient coupable et le coupable devient victime". Mais on pense aussi aux mots puissants de Neige Sinno, autre victime d'inceste, qui écrit dans Triste Tigre : "Je ne crois pas à l'écriture comme thérapie. Et si ça existait, l'idée de me soigner par ce livre me dégoûte".