Cinéma « Vents de sable, Femmes de roc » : Interview Nathalie Borgers

Publié le Mercredi 09 Mars 2011
Cinéma « Vents de sable, Femmes de roc » : Interview Nathalie Borgers
Cinéma « Vents de sable, Femmes de roc » : Interview Nathalie Borgers
Dans le sud Sahara, un peuple nomade force les femmes à se marier mais les laisse partir des mois dans le désert pour subvenir aux besoins de toute la famille. Amina rêve de faire du commerce, Mariama fuit son mari, Domagali est épuisée par le voyage : la « caravane des dattes » insuffle un peu de liberté aux épouses des chameliers. Nathalie Borgers a filmé ces aventurières du désert dans le documentaire « Vents de sable, Femmes de roc ». En salles le 9 mars.
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Nathalie Borgers : C’est par le plus grand des hasards. Je ne suis pas du tout spécialiste du  Niger ni des peuples du désert. Un Autrichien a eu vent de cette caravane des dattes décrite dans le film : des femmes qui partent chaque année au moins 4 mois avec leurs chameaux et leurs enfants pour récolter les dattes et les vendre dans les villes du Sahara, assurant ainsi leur indépendance économique. Il en a parlé à une société de production qui m’a contactée. Après avoir réalisé plusieurs films autour des femmes –« Où sont les femmes : les Françaises et la politique » (2006), « Arrangements avec le destin » (2005)- j’avais envie de me confronter à un environnement que je ne connais pas du tout.  

TF : Quel a été votre premier contact avec ces femmes du Sahara ? Comment ont-elles réagi lorsque vous avez évoqué un documentaire sur elles ?

N. B. : Au début elles ont été surprises que je m’intéresse à elles, on ne se parlait pas directement, il y avait toujours l’interprète. Peu à peu elles se sont mises à me raconter leur vie, et je leur ai raconté la mienne en Europe. Certaines m’ont demandé de l’argent, je ne les ai pas recontactées, je ne voulais pas entrer dans ce débat-là. Mais c’est vrai que la disparité économique entre elles et nous était immense, ce n’était pas toujours facile à gérer, le mieux était de la mettre de côté et de faire notre travail.

TF : La question des mariages arrangés voire forcés est esquissée par Mariama, qui fuit son mari, et Amina, qui a divorcé après quelques années de maltraitance. Quel est le statut de la femme chez les Toubous ?

N. B. : Cette société n’est pas égalitaire en effet. Une femme vaut 50 chameaux, un homme en vaut 100, cela en dit long. Les filles sont mariées jeunes par leurs parents, elles ne choisissent pas leur mari. Après la cérémonie, pendant environ deux ans, c’est la période du Yollumi, où les jeunes mariés doivent apprendre à se connaître et vivre avec les parents de la jeune fille. Celle-ci montre une résistance à obéir à son mari et se refuse à lui, par tradition, mais lorsque cette période dure trop longtemps, il arrive que les hommes se montrent plus violents. Les rapports entre hommes et femmes en général sont assez rudes, tout comme l’environnement. Je suis convaincue que les conditions de vie façonnent les comportements. Mais ce qui est intéressant, c’est cette valorisation de la résistance : la femme qui se bagarre longtemps pour obtenir son divorce est finalement fêtée comme une jeune mariée, elle a gagné son indépendance et peut désormais choisir son époux.   

TF : Il paraît presque étonnant que ces femmes puissent partir trois mois seules, dans le désert. Pourquoi ce voyage ?

N. B. : Les hommes sont chameliers, ce sont eux qui détiennent la richesse de la famille : ils vont en ville vendre leurs bêtes et rapportent des provisions. Sans la caravane des dattes les femmes seraient tout à fait dépendantes. Mais ce voyage arrange tout le monde, c’est une répartition des tâches : une bonne récolte de dattes peut nourrir une famille pendant un an, et permettre ainsi l’économie de la vente d’un chameau. Elles préservent le capital familial.


TF : Amina et Mariama discutent beaucoup de leur condition de femmes et de leurs désirs : l’une veut faire du commerce en ville, l’autre voudrait reprendre ses études et fuir son mari. Sont-elles nombreuses à aspirer à plus d’indépendance dans les tribus nomades du Sahara ?

N. B. : C’est difficile de répondre, car j’ai aussi rencontré des femmes qui étaient très satisfaites de leur vie dans le Sahara. Il faut avoir une forte personnalité pour vouloir en changer. C’est un peu comme le dilemme ville/campagne, certains restent très attachés à la vie auprès du troupeau.
Néanmoins j’ai remarqué que la plupart des jeunes femmes aspiraient à plus de droits et de libertés : elles voudraient connaître leur mari, et être mariées moins jeunes, plutôt à 18 qu’à 15 ans.

TF : Vous avez parcouru quelques 600 kilomètres avec elles, dans les tempêtes de sable et sous la chaleur. Le tournage a dû être éprouvant…

N. B. : J’ai fait trois voyages d’un mois entre 2005 et 2008 pour les rencontrer et préparer le tournage, et jusqu’au bout je me suis demandé si ce reportage était faisable, j’avais très peur d’embarquer une équipe et des financements dans ce projet. La caravane part en plein été, il faisait 45 à 50° à l’ombre, et dans le Sahara il n’y a presque pas d’ombre. Cela a rendu le tournage très compliqué, pour le matériel et pour l’équipe. L’une d’entre nous est tombée malade, et a failli mourir, mais heureusement elle s’en est sortie. Je ne suis pas sûre que je recommencerais, mais c’était magique.

TF : Êtes-vous toujours en contact avec les femmes Toubou rencontrées sur ce film ? Que deviennent-elles ?

N. B. : Je sais qu’elles sont en vie, et que Mariama et Amina réussissent à mener une vie libre. Nous avons noué des liens forts pendant le tournage et je cherche à monter un projet pour les aider à se former pour optimiser le conditionnement et l’empaquetage des dattes car il y a beaucoup de pertes, et pour instaurer des ateliers d’alphabétisation. Mais avec le niveau d’insécurité au Niger, et les récents enlèvements, peu d’Européens veulent s’aventurer dans ce pays.

Pour aider les femmes Toubous et la caravane des dattes, contactez Nathalie Borgers : femmes.solidarite@gmail.com

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