Christine Lagarde : un hommage polémique au "féminisme" du Roi Abdallah

Publié le Lundi 26 Janvier 2015
Antoine Lagadec
Par Antoine Lagadec Journaliste
Christine Lagarde : un hommage polémique au "féminisme" du Roi Abdallah
Christine Lagarde : un hommage polémique au "féminisme" du Roi Abdallah
Dans cette photo : Christine Lagarde
Curieux hommage que celui rendu par Christine Lagarde quelques heures après l'annonce de la mort du roi d'Arabie Saoudite. La directrice du FMI a salué « un grand défenseur des femmes ». Une sortie qui confine à la plaisanterie - et ne fait pas rire tout le monde - l'Arabie Saoudite restant, à plus d'un titre, l'un des pires au monde en matière de droits des femmes.
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La nouvelle est tombée dans la nuit de jeudi à vendredi. Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud, roi d'Arabie Saoudite, est mort le 23 janvier 2015 à l'âge de 90 ans. L'annonce, faite par la télévision d'Etat, Saudi 1, a fait le tour du monde, provoquant les réactions de nombreux responsables politiques, mais également du monde économique.

Invitée à réagir au décès du dirigeant vendredi, la directrice du FMI, Christine Lagarde s'est dite touchée par la mort de celui qu'elle avait rencontré « plusieurs fois » dans le cadre de ses fonctions. Pour le premier pays producteur et exportateur mondial de pétrole, la mort du roi Abdallah va laisser « un héritage important mais aussi un grand vide », fait observer l'ancienne ministre de l'Economie.

Hommage à « un grand défenseur des femmes »

Un hommage qui aurait pu en rester là, mais que Christine Lagarde a tenu à développer en s'attardant notamment sur la situation des droits des femmes en Arabie saoudite. « D'une façon très discrète, c'était un grand défenseur des femmes », a alors déclaré le plus sérieusement du monde l'avocate de formation avant de poursuivre : « J'ai abordé cette question avec lui à plusieurs reprises et il y croyait fermement (...) il était déterminé à changer progressivement la situation ».





Tour de force réussi pour l'ex-ministre. En deux phrases, la dirigeante du FMI vient de faire accéder le monarque de l'un des pays les plus inhospitaliers au monde pour les femmes au statut de féministe convaincu. L'exercice rhétorique paraissait pourtant difficile tant les faits plaident contre une telle vision de la cause féminine dans le plus grand pays du Moyen Orient.

Des femmes privées de toute liberté en Arabie Saoudite

Car si, certes, le roi Abdallah a autorisé, en 2011, les femmes à voter et à se présenter aux élections locales de 2015, jamais le souverain ni son gouvernement n'ont fait preuve d'une volonté débordante pour faire évoluer de manière significative la condition des femmes dans ce pays de 31 millions d'habitants. Les exemples en la matière sont, hélas, nombreux, puisque les saoudiennes :

  • doivent encore obtenir la permission de leur mari pour bon nombre de leurs activités quotidiennes (salaire, voyage, mariage, opération chirurgicale, suivi d'études supérieures...)
  • n'ont pas le droit de conduire (L'Arabie Saoudite est d'ailleurs le dernier pays au monde en la matière).
  • n'ont pas le droit de faire du sport. Les deux seules femmes saoudiennes autorisées à participer aux Jeux olympiques, ont reçu pour consigne de porter une tenue islamique et étaient sous la surveillance de gardes masculins.
  • sont exclues de certaines professions.
  • sont soumises à des lois sur le divorce, le mariage, les violences conjugales favorables aux hommes.

Des éléments qui vont directement à l'encontre de l'éloge faite par Christine Lagarde et que se sont chargés de rappeler certains observateurs, choqués par les propos de la patronne du FMI. Le site Les Nouvelles News s'est ainsi promis de « nuancer cet hommage », précisant avec ironie à propos du roi Abdallah que « s'il était réellement 'un grand avocat des droits des femmes', il a dû s'éteindre avec quelques regrets ». Et le site d'actualité de citer Joe Stork, responsable de l'ONG Human Rights Watch (HRW) pour le Moyen Orient, selon qui « le règne d'Abdallah a apporté quelques avancées marginales », mais « la discrimination systématique à l'égard des femmes persiste ».

« Peut-être, en fait, Abdallah était-il un défenseur des droits des femmes en comparaison de son intérêt pour les droits humains en général », s'interroge Les Nouvelles News. Une question que n'a pas jugé nécessaire de poser Sophie Aram sur France Inter. L'humoriste a elle aussi rendu un vibrant hommage au roi Abdallah ce lundi matin dans le 7/9. Vêtue d'une burqa comme elle le précise (même si l'on pourrait plutôt parler d'un niqab), l'humoriste a allègrement moqué le « féminisme discret, très discret » du monarque d'Arabie Saoudite. « Tellement 'very discreet' ['très discret'] que je n'avais pas vu tout ce qu'il avait fait pour les femmes », a lâché Sophie Aram taclant au passage Christine Lagarde sur son appréciation du rôle du souverain et sur son accent anglais.


Rétro-pédalage en règle

Invitée à réagir au début de polémique, Christine Lagarde a tenu à clarifier sa vision des choses. « Je n’ai jamais dit et je ne dirai évidemment jamais que la situation des femmes en Arabie saoudite est satisfaisante, loin s’en faut », a-t-elle déclaré au détour d'une interview au Monde.fr. « Ce que je voulais, pour avoir soulevé la question à chacune de mes rencontres avec lui, c’est souligner le rôle discret et néanmoins déterminé que le roi Abdallah a joué pour améliorer la situation des femmes dans son pays ».

Et l'ex-ministre de retomber sur ses pattes en évoquant le futur. « Si je me suis exprimée ainsi, c’est pour rendre hommage à une facette du roi Abdallah que les gens ne connaissent pas, mais également afin de marquer un jalon pour ce qui va venir après. Car il faut espérer que ses successeurs auront la même détermination ». Une préoccupation partagée par Human Rights Watch. Vendredi dernier, l'organisation de défense des droits de l'homme a appelé nouveau le nouveau monarque saoudien, son demi-frère le prince Salmane, 79 ans, à faire cesser les persécutions contre les dissidents et surtout les discriminations à l'égard des femmes et de la minorité chiite.