"Le ciel attendra" : quand la radicalisation se conjugue au féminin

Publié le Mercredi 05 Octobre 2016
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
"Le ciel attendra" : interview de la réalisatrice et de l'actrice Sandrine Bonnaire
"Le ciel attendra" : interview de la réalisatrice et de l'actrice Sandrine Bonnaire
Dans cette photo : Sandrine Bonnaire
Après "Les héritiers", la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar s'attaque à un sujet brûlant : la radicalisation des jeunes, et plus particulièrement des jeunes filles. Accompagnée de son actrice Sandrine Bonnaire, la cinéaste a répondu à quelques-unes de nos questions et nous en a dit plus sur ce film intense au titre évocateur, "Le ciel attendra".
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Sonia a 17 ans, Mélanie, elle, est âgée de 16 ans. Elles ne se connaissent pas mais ont une chose en commun : elles sont soutenues et aimées par leurs familles respectives. Pourtant, cela ne va pas empêcher les deux adolescentes de se faire "embridager" par Daech. Avec Le ciel attendra, qui sort en salles ce mercredi 5 octobre, la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar a souhaité montrer que les jeunes qui succombent aux sirènes de l'Islamisme radical ne sont pas forcément ceux que l'on imagine. Sonia et Mélanie ne sont pas en décrochage scolaire, elles ont leur place dans la société, elles ne manquent de rien.

Comment et pourquoi des adolescentes décident-elles de partir en Syrie ? La réalisatrice a voulu percer ce mystère, comprendre ce basculement dans l'égarement. Ecrit en collaboration avec Dounia Bouzar (une anthropologue qui dirige le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'Islam), qui tient son propre rôle à l'écran, Le ciel attendra est plus qu'une fiction, c'est un témoignage de notre époque. Le film prend le parti-pris de se concentrer sur la radicalisation de Sonia et Mélanie et sur l'impact de ce choix sur leur famille, plutôt que de montrer l'étape suivante : la barbarie. Un film humaniste donc, qui se veut porteur d'espoir et surtout, pédagogique. Servi par deux jeunes comédiennes très talentueuses, Noémie Merlant et Naomi Amarger, Le ciel attendra s'offre aussi les services de Sandrine Bonnaire, Clotilde Courau, Zinedine Soualem et Yvan Attal.

On a rencontré Marie-Castille Mention-Schaar et Sandrine Bonnaire. Elles nous ont parlé de la nécessité et de l'urgence à faire ce film.

Naomi Amarger dans "Le ciel attendra"
Naomi Amarger dans "Le ciel attendra"
Dans cette photo : Sandrine Bonnaire

Terrafemina : Pourquoi avoir choisi de parler de la radicalisation à travers deux jeunes filles plutôt que deux garçons ?

Marie-Castille Mention-Schaar : Je suis une grande consommatrice de documentaires et de reportages comme Envoyé spécial. Je puise beaucoup de sujets dans les grandes enquêtes, et je voyais de plus en plus de sujets sur des jeunes filles parties en Syrie, sur les parents qui partaient à leur recherche, etc. Et ces sujets, je ne les voyais pas encore il y a trois ans. En fait, tout part de là, d'une espèce de gros point d'interrogation. Et en face, je n'avais pas de réponse, personne ne m'en apportait.

Terrafemina : Récemment, 3 jeunes femmes ont tenté de commettre un attentat à Paris. On imagine que ça résonne tout particulièrement avec votre film...

M.C. M.S. : Oui, mais moi je ne suis pas étonnée parce que j'ai été tellement en contact avec des jeunes filles qui en sont arrivées à ce même point où elles ont été stoppées... d'ailleurs le film commence comme ça, par cette jeune fille en contact avec un réseau qui s'apprête à commettre un attentat. Donc pour moi, les filles sont dans cette actualité depuis longtemps. Là, le grand public découvre un peu plus ce côté-là de l'embrigadement. Mais moi j'ai baigné dans ce sujet pendant un long moment, donc ça ne me choque pas plus que ça.

Terrafemina : Une jeune fille qui a essayé de rejoindre Daech était présente sur le tournage. Comment vous a-t-elle aidé ?

M.C. M.S. : Elle a fait ce travail qui est nécessaire et absolument formidable de repentie. Elle faisait ce travail auprès de Dounia Bouzar à la base, et je lui ai demandé si elle voudrait bien nous aider. Je voulais avoir son regard sur certaines choses, recueillir son témoignage pour nourrir certaines scènes. Donc elle m'a aidée moi, mais elle a aussi été présente pour les deux jeunes comédiennes. Cela fait aussi partie de son processus de désembridagement et de ce travail de repentie qui est nécessaire pour les autres. Son témoignage est un miroir par rapport aux autres et il est bien plus important que la parole d'une Dounia Bouzar ou de n'importe quel éducateur ou psy. Parce que tout d'un coup, c'est quelqu'un qui est passé par les mêmes choses, le même rêve, les mêmes utopies, qui est passé par ce travail – ou est en train de le faire – où elle se défait de ça, elle reconstruit quelque chose. Donc sa voix a bien plus de poids que celle d'un adulte chez quelqu'un qui commence à se défaire de ça. La participation des repentis dans le travail de désembridagement est fondamental.

Noémie Merlant et Sandrine Bonnaire dans "Le ciel attendra"
Noémie Merlant et Sandrine Bonnaire dans "Le ciel attendra"
Dans cette photo : Sandrine Bonnaire

Terrafemina : Le tournage a commencé 2 jours après les attentats du 13 novembre. Avez-vous pensé à arrêter ?

Sandrine Bonnaire : Au contraire, cela m'a conforté dans l'idée que ce film est nécessaire. Mais ce n'était pas en tant que rebelle ou quoi que ce soit. Je trouve que le film est très intelligent, c'est un constat de comment les choses se passent et des répercussions que ça a sur les familles et sur les acteurs eux-mêmes, ceux qui sont dans le processus d'embrigadement. Tout le monde est victime dans cette histoire. Et c'est ce que le film raconte. Par des petites choses, il raconte cette quête d'un monde meilleur chez les jeunes gens. Et c'est là où c'est très intéressant, c'est qu'on a tous envie d'un monde meilleur. Et quand on dit que c'est une guerre de religion... non, c'est pas une guerre de religion. La religion musulmane n'a rien à voir avec ça. Ce sont des choses qui résultent de la géopolitique et de choses très complexes. Je ne veux pas entrer là-dedans, mais je veux dire que le film ne parle pas de ça. Tout le monde est victime et le film est très fort parce qu'il raconte comment réparer ça, comment on peut être ensemble. Le travail de Dounia est formidable pour ça. C'est un film utile. Il amène quelques éléments pour comprendre tout ça. Et s'il y a une réponse à ce film, c'est d'être dans l'écoute, dans le regard de l'autre, ne pas laisser un enfant tout le temps sur son ordi. Internet est à la fois génial, c'est un outil de travail extraordinaire. Mais en même temps, c'est un endroit où tout se dissout, où on ne peut plus choper les gens. Donc ça peut être dangereux.

Terrafemina : Avez-vous rencontré des mamans de jeunes filles embrigadées ? Comment avez-vous préparé votre rôle ?

S.B. : Non, je n'ai pas rencontré de mamans. J'ai rencontré la jeune fille qui était sur le tournage avec qui j'ai beaucoup discuté. J'ai rencontré Dounia Bouzar évidemment. Elle nous raconté beaucoup de choses, des témoignages de parents par exemple. Et puis j'ai lu les livres que m'avait conseillés Marie-Castille, dont un qui est écrit par une maman dont la fille est partie, et puis un livre de Dounia qui raconte comment elle travaille avec les familles et les jeunes. J'ai envie de dire que ça m'a suffi car pour moi il n'y a rien d'intellectuel dans le personnage de Catherine. C'est une femme qui souffre. Et à partir du moment où vous avez compris que cette mère est orpheline de son enfant – parce que pour son enfant, il n'y a rien de plus important que de partir quitte à se donner la mort – le reste n'existe pas, la famille n'existe plus. J'imagine comme ça doit être affreux. Et c'est la pire des armes d'être dans le sacrifice comme le sont ces jeunes.

Terrafemina : On sent entre vous Noémie Merlant – qui incarne votre fille à l'écran – et vous, une espèce de fusion...

S.B. : Moi, j'ai la distance suffisante, je suis comédienne voilà. Trois jours avant ça pétait au Bataclan et on a tous vécu l'horreur. Mais en même temps je suis là pour interpréter un rôle même si c'est dans une réalité qui est celle-là. J'avais tourné un film avec Noémie quelques mois avant et j'avais eu un sacré coup de coeur pour cette fille. Marie-Castille m'avait laissé le choix d'interpréter Catherine ou Sylvie. Et moi, j'aimais l'idée que mon personnage soit en confrontation avec sa fille. Comme en plus, je devais partager quasiment toutes les scènes avec Noémie, cela m'a donné encore plus envie. J'avais envie de la retrouver. Je suis fan de cette comédienne.


Le ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar, avec Noémie Merlant, Naomie Amarger, Sandrine Bonnaire, Clotilde Courau... Durée 1h40, sortie le 5 octobre 2016.

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