"The Handmaid's Tale" : pourquoi il faut (re)voir la série féministe

Publié le Jeudi 08 Mars 2018
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Offred (Elisabeth Moss) dans The Handmaid's tale
Offred (Elisabeth Moss) dans The Handmaid's tale
Série-choc de 2017, "The Handmaid's Tale" se dévore avec autant de gourmandise que d'effroi. Alors que la saison 1 sort ce 8 mars (Journée internationale des droits des femmes), Iris Brey, spécialiste des représentations de la sexualité féminine dans les séries américaines, nous livre son analyse de cette série aux thématiques puissantes.
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Elle a fait l'unanimité en 2017. Tous les "tops" l'ont classée parmi les meilleures séries de l'année. Et pourtant, The Handmaid's Tale est loin d'être une série aimable. Elle est même cauchemardesque. Adaptation du roman éponyme de Margaret Atwood, cette fiction dystopique donne à voir une société qui a progressivement glissé vers la dictature, la déraison, l'horreur. The Handmaid's Tale nous plonge dans ce monde où les femmes ont été démises de leur statut de citoyennes. Le taux de fécondité a dramatiquement chuté suite à une combinaison de pollutions environnementales et de maladies sexuellement transmissibles. Et les quelques femmes fertiles sont réduites à l'esclavage et reléguées à la seule fonction reproductrice.

Dès le pilote, éprouvant et magistral, on assiste à cette fameuse "Cérémonie" chorégraphiée, minutée, où Offred (la toujours impeccable Elisabeth Moss) se retrouve allongée sur un lit, la tête sur les genoux de l'épouse du maître de maison, le regard fixe, tandis que celui-ci la viole pour "la bonne cause". Comment en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?

Lors de son lancement sur Hulu en avril 2017, la question a été soulevée : The Handmaid's Tale est-elle une série féministe, elle qui offre une vision d'un monde en pleine régression et d'une violence inouïe envers les femmes ? Étonnamment, oui. Car au sein de cet étrange matriarcat, stratifié entre "Epouses", "Marthas", "Servantes" et "Tantes", si la solidarité intersectionnelle semble avoir disparu, l'entraide émerge timidement au sein des classes. Dans The Handmaid's Tale, série ouatée, presque silencieuse, la révolte se fomente en monologues intérieurs, se chuchote, se camoufle. Parce qu'elle se fracasse lorsqu'elle est trop bruyante. Cette colère larvée porte en elle les germes de l'espoir. Les servantes écarlates se taisent, encaissent, mais ne se résignent pas.

A l'occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de la saison 1, nous avons demandé à Iris Brey, spécialiste des représentations de la sexualité féminine dans les séries américaines, de revenir sur cette série aussi complexe que passionnante.

Comment expliquez-vous le succès critique et public de The Handmaid's Tale ?

Quand une série réussit à faire émerger un univers, c'est difficile de ne pas être séduit. Dans les deux premiers épisodes, Reed Morano a trouvé une signature filmique qui a marqué les esprits, même si cela à la longue, la répétition de la formule peut lasser. La série a aussi trouvé une résonance politique, apparaissant sur nos écrans au moment où Trump accédait au pouvoir, regarder The Handmaid's Tale est devenu une manière de résister au pouvoir dominant.

Selon vous, The Handmaid's Tale est-elle une série féministe ?

Oui, dans la mesure où elle raconte le parcours d'une femme et que son expérience nous est transmise à travers son regard.

Les servantes écarlates dans The Handmaid'ds Tale
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Les servantes écarlates dans The Handmaid'ds Tale

Dans la série, les femmes sont plus cruelles les unes envers les autres que les hommes. Mais il est également question de "sororité"...

Le mot sororité continue d'être souligné en rouge quand on le tape dans un document en français, c'est la preuve que le concept a du mal à émerger et à être compris en France. La série met d'abord en scène une lutte de pouvoir entre dominés et dominants, dans laquelle les sexes sont confondus. Mais il y a une deuxième lutte de pouvoir qui existe entre les femmes stériles qui ont le pouvoir, et celles qui peuvent enfanter qui sont réduites à l'esclavage. Dans cette lutte genrée, la sororité existe au sein des deux groupes, entre les Servantes et les Épouses.

Les femmes ne peuvent plus travailler, sortir seules dans la rue ou être en couple avec une autre fille... La série ne ferait-il pas écho à la condition des femmes qui subsiste encore dans de nombreux pays ?

Sûrement, mais cela dit aussi aux femmes qui pensent être libre que nos droits ne sont jamais acquis, je pense à la phrase de Simone De Beauvoir: "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis."

The Handmaid's Tale ouvre toute une réflexion autour du corps féminin, ramené à son rôle fonctionnel. La GPA version dystopie ?

Oui, totalement. La série Top of the Lake s'est aussi emparée de ce sujet dans sa saison 2. Le ventre des femmes a toujours été un lieu de pouvoir. Dans The Handmaid's Tale, c'est une manière d'aliéner les femmes. Il n'y a pas encore eu de série où la GPA est vécue comme une expérience positive, le moment de séparation avec le bébé est représenté de manière dramatique, voire tragique dans The Handmaid's Tale pour le personnage de Janine.

Rarement une série aura autant associé le téléspectateur à un personnage violé... The Handmaid's Tale serait-elle l'anti-Game of Thrones, très critiquée pour son approche centrée sur le "male gaze" ?

Absolument. Le viol ici est représenté comme étant un acte déshumanisant et non pas érotique comme dans Game of Thrones. On vit littéralement la dissociation entre le corps et l'esprit de Offred, la manière dont un humain devient objet. The Handmaid's Tale montre aussi l'impact que ces viols ont sur la psyché des personnages, alors que dans Game of Thrones, Cersei, Daenarys et Sansa continuent leurs vies comme si le viol était une interaction sexuelle banale et sans conséquence.

Quelles leçons la série porte-t-elle pour la société actuelle ?

A rester vigilantes. Le vice-président des États-Unis, Mike Pence, a annoncé qu'il voulait que l'avortement soit interdit aux Etats-Unis, la série d'un coup nous semble plus si lointaine. Se rassembler pour lutter semble être la solution. Et on voit depuis la diffusion de la série un besoin grandissant de s'unir pour lutter contre le sexisme et les abus de pouvoir.


The Handmaid's Tale saison 1, sortie en Blu-ray et DVD 8 mars 2018

A l'occasion de cette sortie-événement, Terrafemina vous offre votre Blue-ray de la saison 1. Pour jouer, c'est par ici.

DVD The Handmaid's Tale saison 1
DVD The Handmaid's Tale saison 1