Culture
Et si "Oppenheimer" était avant tout un film passionnant sur la masculinité ?
Publié le 4 août 2023 à 14:44
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Dans son vertigineux "Oppenheimer", Christopher Nolan invoque l'image d'une masculinité performative, brillante, synonyme d'autorité et de pouvoir, mais aussi fragile, fissurable, pesante. A travers un seul homme, il raconte quelque chose sur tous les autres. Et c'est absolument passionnant.
Et si "Oppenheimer" était avant tout un film passionnant sur la masculinité ? Et si "Oppenheimer" était avant tout un film passionnant sur la masculinité ?
LONDON, UNITED KINGDOM - 'Oppenheimer' film photocall, Trafalgar Square, London, UK Pictured: Cillian Murphy Les images de la bande-annonce du film "Oppenheimer" avec Cillian Murphy.  First look at star studded cast as they try not to blow up the world in Christopher Nolan’s highly anticipated Oppenheimer movie. The three minute trailer is packed full of A-list stars alongside Cillian Murphy, including Matt Damon, Robert Downey Jnr, Emily Blunt, Florence Pugh and Kenneth Branagh. Nolan's telling of the creation of the atomic bomb under J. Robert Oppenheimer - and the secret operation that facilitated those terrifying scientific advances - appears to focus on the Los Alamos Laboratory and the purpose-built community supporting the work of the US military and scientists. Alongside a lot of Matt Damon - as Manhattan Project director Lt. Gen. Leslie Groves- yelling in an officer's uniform, fans also get to see a dismayed Emily Blunt, a distraught Florence Pugh, a black-and-white Robert Downey Jr. The trailer also sees General Leslie Groves Jr asks the question that’s on everyone’s minds: “Are we saying there’s a chance that when we push that button we destroy the world?” Cillian Murphy, who plays the ‘father of the atomic bomb’ Oppenheimer, confidently responds that the chances are ‘near zero’. The dialogue exchange sums up the tense dynamic of the film, which centers around Murphy and Damon leading the real-life Manhattan Project to develop the first atomic bomb in a race against the Nazi Germans, who have an 18-month head start on the US. To accomplish that goal, they gather an elite team of scientists and their families, including Blunt as Oppenheimer’s wife, Katherine ‘Kitty’ Oppenheimer. Watch the trailer below. Nolan also appears to have stuck with his love for practical effects for Oppenheimer, visually recreating a nuclear explosion for the film with visual effects supervisor Andrew Jackson. He also wrote and directed the movie, which is based on Kai Bird and Martin J. Sherwin’s 2005 Pulitzer Prize-winning book American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer. Oppenheimer opens in theaters on July 21, 2023. London, UNITED KINGDOM - Cast walk the 'charred' black carpet at tonight's premiere Pictured: Cillian Murphy Les images de la bande-annonce du film "Oppenheimer" avec Cillian Murphy.  First look at star studded cast as they try not to blow up the world in Christopher Nolan’s highly anticipated Oppenheimer movie. The three minute trailer is packed full of A-list stars alongside Cillian Murphy, including Matt Damon, Robert Downey Jnr, Emily Blunt, Florence Pugh and Kenneth Branagh. Nolan's telling of the creation of the atomic bomb under J. Robert Oppenheimer - and the secret operation that facilitated those terrifying scientific advances - appears to focus on the Los Alamos Laboratory and the purpose-built community supporting the work of the US military and scientists. Alongside a lot of Matt Damon - as Manhattan Project director Lt. Gen. Leslie Groves- yelling in an officer's uniform, fans also get to see a dismayed Emily Blunt, a distraught Florence Pugh, a black-and-white Robert Downey Jr. The trailer also sees General Leslie Groves Jr asks the question that’s on everyone’s minds: “Are we saying there’s a chance that when we push that button we destroy the world?” Cillian Murphy, who plays the ‘father of the atomic bomb’ Oppenheimer, confidently responds that the chances are ‘near zero’. The dialogue exchange sums up the tense dynamic of the film, which centers around Murphy and Damon leading the real-life Manhattan Project to develop the first atomic bomb in a race against the Nazi Germans, who have an 18-month head start on the US. To accomplish that goal, they gather an elite team of scientists and their families, including Blunt as Oppenheimer’s wife, Katherine ‘Kitty’ Oppenheimer. Watch the trailer below. Nolan also appears to have stuck with his love for practical effects for Oppenheimer, visually recreating a nuclear explosion for the film with visual effects supervisor Andrew Jackson. He also wrote and directed the movie, which is based on Kai Bird and Martin J. Sherwin’s 2005 Pulitzer Prize-winning book American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer. Oppenheimer opens in theaters on July 21, 2023. Cillian Murphy - Arrivées sur le tapis rouge de l'avant première mondiale du film "Oppenheimer" au Grand Rex à Paris le 11 juillet 2023. © Denis Guignebourg/Bestimage  People arriving on the Red carpet the 'Oppenheimer' world premiere in Paris, on July 11rd 2023.
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Est-il encore bien utile de vous présenter Oppenheimer ?

Must-see des salles obscures aux côtés de Barbie, le nouveau film de Christopher Nolan nous colle aux basques du physicien J. Robert Oppenheimer, cerveau du projet Manhattan, qui en pleine Seconde guerre mondiale va aboutir à la conception de la bombe atomique. Ce qui ne sera pas sans conséquences historiques tout autant... Qu'intimes.

Car le cinéaste ne dépeint pas simplement un personnage, non : il se plonge dans sa tête, comme le suggèrent ces premières séquences où, seul dans son lit la nuit, le protagoniste imagine étoiles et atomes. L'idéal pour saisir la force d'un intellect en ébullition constante, mais surtout pour suggérer l'humain derrière l'icône, susciter un sentiment de proximité. Et en perçant la silhouette pour manuels d'histoire, Christopher Nolan rend son sujet... Vulnérable.

Cela tombe bien, c'est justement ce qu'aborde entre les lignes Oppenheimer : la vulnérabilité d'un homme, mise en lumière pour mieux énoncer celle d'un monde, qu'il craint de détruire absolument.

Et c'est tout ce sous texte sur le genre qui le rend si captivant.

"Comment les hommes sont la cause de la fin du monde" : une brillante réflexion sur le patriarcat

La remarque a été formulée sur le ton de la blague par le scénariste et réalisateur François Descraques : "J'ai vu Oppenheimer et Barbie. L'un est un film intense sur comment les hommes sont la cause de la fin du monde. Et l'autre est Oppenheimer".

Derrière l'humour, une analyse malicieuse : voici deux films qui chacun à leur façon abordent le patriarcat, les conséquences d'un système où les postes de pouvoir sont majoritairement masculins, comment le fameux "génie masculin", façonné par les hommes, aboutit... A une véritable catastrophe.

Ce qui est passionnant dans Oppenheimer c'est que cette réflexion globale transparaît à travers l'étude d'un seul homme, qui plus est largement complexe, controversé, ambiguë. Celui que son équipe surnomme "Oppie" (ce qui contraste avec son image d'autorité) semble lui-même être une victime de ce "man, man's world". Envahi par la culpabilité, poursuivi par une haine qui se propage et assassine (l'antisémitisme), le regard constamment inquiet, le physicien va qui plus est souffrir... D'être trop "faible".

Lorsqu'il va devoir affronter le deuil, que ce soit celui d'une amante (Florence Pugh), ou bien d'individus qui se comptent par milliers, on lui reprochera toujours d'être... Une "femmelette". C'est précisément ainsi que l'insulte le président Truman après qu'Oppenheimer lui ait fait part de son mal-être.

Son épouse, à l'unisson, lui reprochera d'éprouver des remords puisqu'il n'a pas pu être présent pour venir en aide à celle qui en avait besoin. "Oppie" est renvoyé à cette fatalité qui l'accable : il doit avoir honte de ses émotions.

C'est notamment cette injonction à ne pas les exprimer, ce poids trop gros pour lui, qui le fait souffrir. C'est encore une fois logique : il est "l'homme de l'année" dans un système qui se définit par la destruction, et l'autodestruction. Ou comment un individu rejeté par un système pour quantité de raisons (anti-communisme, haine des juifs, virilisme) se met à servir le caractère le plus destructeur de ce système.

Une atmosphère mortifère, qui contraste justement avec ce mythe glorieux du "génie masculin", cette mystification d'un individu, considéré, forcément, comme exceptionnel, fantasme dont le protagoniste va subir les conséquences : il sera "LE père" de la bombe, et pas un autre. Si la filmographie de Christopher Nolan est emplie de protagonistes masculins brillants, ce talent performatif est ici un fardeau, une malédiction.

Là où ce discours est d'autant plus fort, c'est qu'il accompagne un brillant choix de casting : Cillian Murphy. L'acteur, par son physique si singulier, dégage une sorte de "trouble dans le genre", une véritable ambiguïté, aux antipodes d'une virilité caricaturale - oui oui, celle-là même que détourne avec énormément d'autodérision Ryan Gosling dans le film de Greta Gerwig.

Ce trouble sert une vision de l'humanité d'une profonde tristesse, puisque dépourvue de toute chaleur, quand bien même c'est cette humanité qui se doit d'être "sauvée" : rapports hommes/femmes glaciaux, hypocrisie mortifère, cynisme total, humour morbide, solitudes, addictions, nihilisme.

C'est ainsi que Christopher Nolan perçoit un système entier, contenu par ailleurs dans une image très forte : une ville créée de toutes pièces par des hommes (la bombe s'y prépare), en plein désert, uniquement "leadée" par des hommes, lesquels sans exception (militaires, scientifiques) se pensent tous brillants, doués de pouvoir, d'autorité, à deux doigts du concours de bites permanent. Une fine allégorie de notre monde, n'est-ce pas ?

Il y a beaucoup à dire sur Oppenheimer, qui prend le pari de superposer temporalités, enjeux aussi intimes que politiques, personnages (très) nombreux, sur une durée conséquente : trois heures. Ce faisant, il fait aussi le pari de tout miser sur l'intelligence du public, et surtout, sur sa sensibilité. C'est gagné.

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