Free to run : courir pour s'émanciper

Publié le Mercredi 13 Avril 2016
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Dans "Free to run", Pierre Morath retrace au moyen d'images d'archives rarissimes la passionnante épopée du running, sport de tous les possibles et qui a activement participé à l'émancipation des femmes à la fin des années 60.
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Vous ne le savez peut-être pas, mais si aujourd'hui, vous pouvez chausser vos baskets quand vous voulez pour faire votre jogging sur n'importe quelle route, sans que l'on vous regarde de travers, c'est parce que dans les années 1960, des pionniers se sont battus pour gagner le droit de courir librement, sans entrave ni code préétabli.
C'est leur histoire que le documentariste Pierre Morath raconte dans Free to run. Historien du sport, le réalisateur reconstitue au moyen d'images d'archives rarissimes le parcours du combattant de ceux qui ont un jour décidé de s'affranchir des codes de l'athlétisme pour faire de la course à pied un moment qui n'appartient qu'à eux.

Le running, essence de liberté

Free to run débute au milieu des années 60, alors que la course à pied n'est pratiquée que par une poignée d'originaux qui courent le soir dans le quartier du Bronx, à New York, pour éviter d'être interpellés par la police. "Il y a une véritable rupture à la fin des années 60, explique Pierre Morath. Le sport en général – la course en particulier – devient un miroir sociétal. [...] J'ai donc voulu travailler sur l'émergence d'une course populaire et faire un film sur les nouveaux héros de la révolution running."

Ces derniers s'appellent Fred Lebow – fondateur de l'historique marathon de New York -, Noël Tamini – fondateur de la revue internationale dédiée à la course de fond Spiridon – ou encore Steve Prefontaine, le "James Dean de la piste" qui s'est battu pour que les coureurs soient rémunérés comme les autres athlètes avant de décéder à l'âge de 24 ans dans un accident de voiture. C'est sans conteste leur implication et leur passion qui ont contribué à faire du running un grand sport populaire. "Par leur pugnacité, leur esprit visionnaire et leur amour de la liberté, ils ont permis beaucoup plus que tous les autres champions de ce sport le déferlement de cette vague populaire, estime Pierre Morath. Ce sont des gens qui, sans être ni doués ni des champions, ont découvert avant les autres à quel point ça pouvait être bon de courir, à quel point ça rendait heureux. Ce sont des leaders d'opinion qui ont voulu faire découvrir au plus de monde possible à quel point courir est fantastique."

Le coureur américain Steve Prefontaine
Le coureur américain Steve Prefontaine

Courir pour s'émanciper

Parmi ces pionniers qui ont rendu le running populaire, deux personnalités féminines, qui ont largement contribué à faire des femmes des coureuses comme les autres : Bobbi Gibb et Kathrine Switzer, les deux premières femmes à avoir couru en toute illégalité le marathon de Boston, respectivement en 1966 et 1967, l'une sans brassard, et l'autre en s'étant inscrite sous ses initiales. Considérées comme trop frêles, trop émotives, pas assez endurantes, les femmes sont alors interdites de course à pied par les fédérations encadrant la pratique. En 1967, un journaliste capture une séquence ahurissante où l'on voit l'organisateur du marathon de Boston cherchant à arracher le dossard de Kathrine Switzer pour l'empêcher de terminer le marathon. En vain.

"Kathrine Switzer a été l'élément déclencheur de l'explosion de la proportion des femmes dans les pelotons. Quand on pense qu'il y a quarante ans, elles n'avaient pas le droit de courir le 1 500 mètres...". Il faut attendre 1984 pour qu'enfin, elles aient le droit de courir le marathon aux Jeux olympiques de Los Angeles.

Kathrine Switzer courant le marathon de Boston en 1967
Kathrine Switzer courant le marathon de Boston en 1967

La part sombre du running

Devenu un sport de masse, récupéré par les marques et les sponsors, le running est aujourd'hui l'objet d'un véritable business, dans lequel s'est peu à peu dilué l'esprit libertaire tant chéri par les premiers coureurs. Free to run s'intéresse aussi à cette part sombre de la course à pied qui a atteint son apogée en 2012, quelques jours après le passage de l'Ouragan Sandy. Alors que les habitants les plus pauvres de la ville n'ont ni eau, ni électricité et que des corps sont encore piégés dans les décombres des maisons détruites, les organisateurs du marathon de New York et le maire de la ville hésitent jusqu'au dernier instant à laisser les coureurs prendre le départ dans Central Park. Certains irréductibles chausseront même leurs baskets, indifférents aux cadavres retrouvés à quelques kilomètres de là.

Mais Pierre Morath reste optimiste. "Je pense que la course à pied est multidimensionnelle. Ça reste un acte très intime, très révolutionnaire car avant tout pour soi. On a tous le choix d'y mettre les valeurs que l'on veut. La plupart des gens qui courent aujourd'hui ne mettent pas de dossard, ils courent dans la forêt avec un vieux tee-shirt. Ce qui compte, c'est que c'est un moment à eux. Ces gens, ce sont des anonymes, ils n'intéressent pas les médias, mais ce sont eux qui font vivre l'esprit originel du running."

Free to run de Pierre Morath, en salle le 13 avril 2016, 1h40.