Harcèlement de rue : 3 millions de femmes le subissent chaque année en France

Publié le Jeudi 07 Décembre 2017
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Harcèlement de rue : les femmes habitant une grande ville sont les premières concernées
Harcèlement de rue : les femmes habitant une grande ville sont les premières concernées
Dans une étude de grande ampleur publiée ce jeudi 7 décembre, l'Ined s'est intéressée au phénomène du harcèlement dans les lieux publics. Loin d'être isolé, il est au contraire généralisé et touche la majorité des femmes au cours de leur vie, révèle l'étude.
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Il y a deux ans, le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE f/h) publiait une enquête choc dans laquelle elle affirmait que 100% des utilisatrices des transports en commun avaient été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agressions sexuelles, qu'elles en soient conscientes ou non. L'enquête Virage (Violences et enquêtes de genre) publiée ce jeudi 7 décembre par l'Ined sur les violences subies dans les espaces publics affine encore ce chiffre et prouve à nouveau que, loin d'être marginal, le fait d'être sifflée, insultée, menacée ou agressée dans les lieux publics est une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes.

Réalisée en 2015 auprès de 27 268 personnes (15 556 femmes et 11 712 hommes) âgées de 20 à 69 ans, l'enquête de l'Ined s'est intéressée aux "violences verbales, physiques ou sexuelles" subies au cours des douze derniers mois dans les différents espaces de vie (famille, études, travail, couple actuel ou passé, espaces publics).

Les violences dans l'espace public, un problème endémique

Alors que le gouvernement s'est engagé à mettre en place un délit d'outrage sexiste pour enrayer le harcèlement de rue dans l'espace public, les résultats mis en lumière par l'enquête confirment l'ampleur du phénomène. Ainsi selon l'Ined, 3 millions de femmes âgées de 20 à 69 ans sont touchées par la drague importune dans les espaces publics, en France, tous les ans. Elles seraient un million à subir chaque année des situations de harcèlement et d'atteintes sexuelles. Dans le détail, un quart des femmes interrogées estiment avoir subi au moins une fois dans l'année écoulée une forme de harcèlement : des sifflements (20%), des insultes (8%). 3% affirment avoir été suivies, 2% avoir subi un pelotage avec baiser forcé (2%), des propositions sexuelles insistantes (1%). À titre de comparaison, les hommes sont nettement moins victimes de harcèlement ou d'agression de nature sexuelle que les femmes. Ils sont 85 000 par an à avoir subi ce type de violences.

Les femmes des grandes villes, premières concernées

Ces chiffres cachent toutefois de grandes disparités selon l'âge des femmes interrogées, ainsi que leur situation géographique. Premières victimes du harcèlement sexiste dans l'espace public : les jeunes femmes de 20 à 24 ans résidant dans les grandes villes de métropole. 40% d'entre elles ont ainsi déclaré avoir subi dans l'année un fait de "drague importune". 14% ont quant à elles été victime de harcèlement ou d'atteintes sexuelles.
L'Île-de-France est la région la plus touchée par le phénomène du harcèlement dans les lieux publics : 68% des femmes interrogées y résidant ont vécu une situation de "drague importune" ; 34% y ont été victimes de harcèlement ou d'atteintes sexuelles. Quant aux zones rurales, elles sont moins touchées : ces mêmes faits y tombent à 17% et 9%.

Les hommes plus sujets à la violence physique

En revanche, les hommes sont davantage concernés que les femmes par la violence physique : 14% des sondés ont ainsi déclaré avoir subi une "violence" au cours des douze derniers mois, généralement perpétrée par un ou des hommes. 6% des hommes âgés de 20 à 69 ans ont affirmé avoir été insultés, 4% avoir subi des violences physiques. "Au fond, les hommes ne sont pas confrontés aux mêmes faits. L'injonction à la virilité se traduit par davantage de violences physiques", expliquent à Libération les chercheuses et co-auteures de l'étude Amandine Lebugle et Elizabeth Brown. Lorsqu'ils en subissent, les violences sexuelles ne sont pas perçues comme graves : 3 % des hommes interrogés disent avoir subi des sifflements et interpellations sous prétexte de drague ; 1 % déclare avoir été la cible de propositions sexuelles insistantes malgré leur refus. "Femmes et hommes attribuent des gravités différentes aux situations de violences les plus graves", analyse l'Ined. Ainsi, "moins d'un tiers des hommes ayant déclaré une situation de harcèlement et d'atteinte sexuels l'ont jugée grave, contre 70 % des femmes".

Des comportements jugés "sans gravité" pour la moitié des femmes

Chez les femmes interrogées aussi le seuil de tolérance aux outrages et agressions qu'elles subissent régulièrement dans l'espace public s'avère étonnement élevé. La moitié considère ainsi que se faire insulter quand on marche dans la rue ou que l'on emprunte les transports en commun est "sans gravité" et donc tolère largement ces comportements. Pour 86% des femmes interrogées, ce n'est pas non plus dramatique de se faire siffler ou de subir une autre forme de drague lourde. "Les faits déclarés comme graves relèvent plus souvent des violences physiques et sexuelles", souligne l'Ined : 8% des femmes estiment avoir subi un fait qu'elles jugent "grave" au cours des douze derniers mois.

Si cette tolérance aux comportements sexistes et au harcèlement sexuel étonne, les auteures du rapport peuvent l'expliquer. "Il ne faut pas oublier que cette étude a été réalisée en 2015, pas en octobre 2017, en plein coeur de l'affaire Weinstein. Aujourd'hui, la parole des femmes s'est libérée et le contexte a évolué. La gauloiserie n'est plus acceptée mais de plus en plus considérée comme un réel comportement sexiste", expose Amandine Lebugle. "En douze mois, la majorité des femmes va se faire insulter en moyenne une, voire deux fois. Elles vont considérer cela comme non grave car très occasionnel. Si on avait porté l'étude à l'échelle d'une vie entière, le seuil de tolérance aurait été nettement diminué", ajoute Elisabeth Brown.