Société
70% des affaires d'inceste classées sans suite : comment mettre fin à l'impunité collective ?
Publié le 27 janvier 2021 à 18:26
Par Terrafemina
Alors que la parole commence à se libérer autour du tabou de l'inceste, la psychologue Sarah Laporte-Daube se penche sur un chiffre éloquent : en France, 70% des affaires d'inceste sont classées sans suite. Comment mettre fin à l'impunité ? Voici sa tribune.
70% des affaires d'inceste classées sans suite : comment mettre fin à l'impunité collective ? 70% des affaires d'inceste classées sans suite : comment mettre fin à l'impunité collective ?© Adobe Stock
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Depuis que la parole s'est libérée au sujet de l'inceste, tout le monde félicite les victimes pour leur courage. Est-ce bien suffisant ? Peut-être est-il plus essentiel de prendre en compte cette parole. Pas seulement celle des personnalités fer de lance de ce combat, mais aussi celle des victimes d'aujourd'hui, enfants et adolescents, qui ont besoin d'être protégés et reconnus par la justice dans leur statut de victime.


En France, 70% des affaires d'inceste sont classées sans suite. De nombreuses autres aboutissent à un non-lieu. 1% seulement des auteurs d'inceste sont sanctionnés pénalement. On peut parler d'une véritable impunité collective. Premier problème de taille, la lenteur des enquêtes, étalées le plus souvent sur des mois voire des années, fait perdre de précieuses occasions d'obtenir des preuves et des témoignages fiables. Accepterait-on de tels délais dans le traitement des meurtres ? Rappelons que l'inceste est un crime, les enquêtes pour ce motif devraient être prioritaires.


Mais la principale cause de l'impunité est ailleurs.

Dans la grande majorité des cas, les auteurs d'inceste restent dans le déni de leurs actes. Dès lors, c'est la parole de l'un contre celle de l'autre. Et certains de citer Voltaire : "Mieux vaut hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent." Approche rationnelle en apparence. En apparence seulement, car ainsi, on omet une composante essentielle de la réalité : il est possible de se faire un avis éclairé sur la véracité de la parole de l'enfant, même sans d'hypothétiques aveux de son bourreau.

Par ailleurs, ne pas rendre justice à l'enfant, c'est le traumatiser une deuxième fois. Les conséquences, sur le plan psychique, sont désastreuses.


L'affaire d'Outreau, en 2005, a marqué durablement l'inconscient collectif. Oubliant que des enfants dans cette affaire ont bel et bien été victimes de violences sexuelles, une véritable méfiance s'est installée. Désormais, la parole des enfants est déconsidérée, écoutée avec une suspicion à priori.

Pourtant, selon certaines études, les fausses allégations ne constitueraient que 3 à 4 % des cas. Protéger nos enfants revient à considérer, à nouveau, les 96 à 97% des affaires dans lesquelles ces derniers ont le courage de briser le silence qui entoure le crime.

Prendre en compte la parole de l'enfant, ses dessins, ses symptômes
Victime de pédocriminalité/photo d'illustration © Adobe Stock

Prendre en compte la parole d'un enfant, c'est l'accueillir dans sa globalité. Il y a le contenu évoqué par l'enfant, mais la forme est tout aussi importante. Un enfant victime s'exprime avec des mots qui sont les siens, de son âge. Il a du mal à parler de ce qu'il a vécu, le discours est souvent partiel, avec parfois des rétractations, des hésitations, des silences, un visage qui se baisse, un regard qui se détourne. Tous ces éléments sont à prendre en considération.

Un enfant parle aussi avec ses dessins. Quand les mots sortent difficilement, les dessins sont souvent éloquents, tout est dit, tout est représenté. Dans ses jeux parfois aussi, l'enfant mime, met en scène la violence qui lui a été faite par le biais de personnages.

Enfin, un enfant parle avec ses symptômes de mal-être, qui en cas d'inceste sont nombreux. Ils peuvent être observés par le parent protecteur, le cas échéant, mais aussi par les enseignants, psychologue et médecin généraliste de l'enfant, dont les témoignages devraient être systématiquement sollicités – ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Quand on a pris en compte la parole de l'enfant, ses dessins, ses symptômes, on a un avis éclairé. C'est suffisant. C'est amplement suffisant pour dire "Je te crois".

Seule cette approche permettra enfin de mettre un terme au scandale des affaires classées sans suite. Faire dépendre l'aboutissement des affaires d'inceste des seuls aveux des agresseurs, c'est accepter de briser des vies. C'est rajouter au traumatisme de l'agression sexuelle le traumatisme de ne pas avoir été entendu ni protégé.

Je repense à tous ces enfants que j'ai accompagnés, qui se sont sentis abandonnés par la justice, par la société, alors même qu'ils avaient eu le courage de parler. Je me rappelle du désarroi et de l'incompréhension de chacun d'entre eux, mais aussi leur révolte, leur amertume, leur intense solitude.

C'est une violence insoutenable que notre société ne doit plus faire peser sur les enfants victimes d'inceste aujourd'hui.

Sarah Laporte-Daube est psychologue à l'association l'Enfant Bleu, Enfance Maltraitée, où elle accompagne de nombreuses victimes d'inceste. Elle est également l'autrice de "Après la maltraitance, se libérer des blessures de l'enfance", paru aux Editions de l'Homme.

 

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