"T'as dit non", le compte Insta qui donne la parole aux victimes de viol

Publié le Jeudi 05 Décembre 2019
Mylène Wascowiski
Par Mylène Wascowiski Rédactrice
Capture écran du compte Instagram T'as dit non
Capture écran du compte Instagram T'as dit non
Ouvert en novembre 2018, le compte Instagram "T'as dit non" offre un lieu de parole aux victimes d'abus sexuels. Une façon également pour sa créatrice de 26 ans, Irène, d'ouvrir un espace de discussion sur la notion de consentement.
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Il est difficile de ne pas se sentir révolté·e en parcourant le compte Instagram T'as dit non. Suivi par plus de 1300 personnes, celui-ci donne la parole à celles qui souhaitent raconter, avec leurs mots, l'abus sexuel dont elles ont été victimes.


Derrière T'as dit non, on retrouve une jeune femme, Irène, 26 ans. Lorsqu'elle lance le compte en novembre 2018, c'est pour "ouvrir un débat sur la notion de consentement et particulièrement celle de consentement sexuel. J'avais envie que ce compte soit un espace de discussion autour de ces deux notions", nous explique-t-elle.


Mais Irène veut aussi en faire un véritable espace de parole, à destination des victimes d'abus sexuels. "Avec le recul, j'ai compris que j'avais besoin de partager une expérience personnelle. Je me suis dit que d'autres personnes devaient ressentir la même chose que moi", confie la jeune femme. "En décembre 2018, j'ai commencé à partager les témoignages que j'avais pu recueillir. Au milieu, j'ai glissé le mien et j'ai observé. Ça m'a fait du bien d'être comprise."

9 viols sur 10 sont perpétrés par un proche


Les femmes qui témoignent sur T'as dit non sont généralement très jeunes. En moyenne 20 ans, souligne Irène. En parcourant les différents témoignages, on réalise de nombreuses choses. Et notamment que dans la plupart des cas, l'agresseur est un proche. Ou un proche de proche. Une personne à qui l'on pensait pouvoir faire confiance.


Comme cette jeune femme qui raconte les abus de son partenaire pendant son sommeil. "Mon mec me caressait souvent la nuit. Je ne disais rien. Je le repoussais gentiment même si ses doigts étaient en moi et que son pénis était dur contre moi (...) Il y a quelques jours, je me suis réveillée en pleine nuit et il avait son pénis entre mes seins. Il se branlait. Ça m'a choqué. J'ai crié."

Des témoignages glaçants, qui nous rappellent les tristes chiffres de l'Observatoire national des violences faites aux femmes : dans 91% des cas de violences sexuelles, l'agresseur est un proche de la victime.


Une culpabilité de la victime extrêmement présente


"J'aurais dû être plus ferme", "J'aurais dû crier", "J'aurais dû le repousser davantage"... La culpabilité des victimes transparaît particulièrement des témoignages postés sur T'as dit non. Une jeune femme raconte notamment : "Aujourd'hui, en y repensant, je me dis que j'aurais dû dire non, que je n'avais pas envie du tout, et ne pas chercher à ce qu'il me comprenne, même si je pense que mon attitude était très clair."


Une culpabilité qui s'explique par de nombreuses raisons. Parfois par le discours de l'agresseur, qui fait croire à sa victime que "tout est de sa faute". Ou bien car l'on n'a pas réussi à se débattre, paralysée par la peur. Aussi, par une méconnaissance bien souvent du processus de sidération, une réaction neurobiologique qui, en quelques sortes, fait sortir la personne de son propre corps et lui permet de se dissocier d'elle-même pour échapper, mentalement, à l'agression.


"La culpabilité devrait appartenir au coupable", rappelle Irène, "Lorsque la victime se culpabilise, elle prend la place du coupable. Dans son esprit, elle devient la responsable de l'acte, qu'elle peut alors tenter d'expliquer puis d'excuser le réel coupable."

L'importance de la notion de consentement dans la loi


Seul·e·s 9% des victimes de viol portent aujourd'hui plainte en France. 9%. Et seule une plainte sur dix aboutira à une condamnation de l'agresseur. Des statistiques intenables, révoltantes, qui se confirment sur T'as dit non où plusieurs jeunes femmes confient ne pas avoir porté plainte suite à leur agression.


"Porter plainte implique d'aller raconter dans un commissariat de police un événement traumatique à de parfaits inconnus. Ce qui peut être très difficile notamment lorsqu'il s'agit d'intimité", souligne la créatrice de T'as dit non. "La difficulté de l'épreuve sera à la mesure du degré de remise en doute des propos de la victime. Et les récits de pareils expériences ne sont pas rares. Dans ces conditions la réticence des victimes est compréhensible", poursuit-elle. "Cela peut être aussi parce qu'elles pensent que leurs agresseurs ne seront pas condamnés, qu'elles n'obtiendront pas réparation, ou qu'elles ne se sentent pas légitimes."


Pour Irène, ce manque de légitimité s'explique notamment par la définition légale en France d'un viol. "Elles se sentent victimes, mais légalement elles ne sont pas reconnues en tant que telles." Car, comme le rappelle Irène, l'article 222-23 du Code Pénal définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise." "À aucun moment, le consentement de la victime n'est requis", dénonce Irène, "De fait, si une personne commet un 'acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur' sans que ne puisse être établi qu'il a été effectué 'par violence, contrainte, menace ou surprise' alors le viol n'est pas qualifié."

Pour la jeune femme, il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer la loi pour mieux y intégrer la notion de consentement. Mais aussi de développer la communication et l'information autour de celle-ci, notamment dans l'éducation.


Un travail d'information qu'opère Irène quotidiennement avec T'as dit non, qui en plus de permettre aux victimes de s'exprimer, se veut aussi être un "espace de discussion sur la notion de consentement." Une façon pour la jeune femme de faire bouger les lignes à son échelle. Car, comme elle le rappelle à juste titre, "parler est la première étape d'un changement, alors parlons de nos expériences et de nos émotions."