Elle a découvert les neurones de "l'instinct parental" : la chercheuse Catherine Dulac récompensée

Publié le Mardi 15 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Catherine Dulac récompensée pour ses recherches.
Catherine Dulac récompensée pour ses recherches.
Comment les neurones peuvent-elles influer sur notre cerveau et notre attitude ? Et notamment sur les attitudes dites "parentales" ? C'est là le coeur des recherches de la neurobiologiste française Catherine Dulac, sacrée par le prestigieux Breakthrough Prize.
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Qui a dit que l'effet Matilda - ce phénomène d'invisibilisation des femmes scientifiques - était une fatalité ? Le 10 septembre dernier, la neurobiologiste française Catherine Dulac a reçu le prestigieux Breakthrough Prize. Fondé il y a huit ans par les grands noms de la Silicon Valley (de Mark Zuckerbeg à Sergy 'Google' Brin), ce prix récompense celles et ceux qui participent aux grandes avancées du domaine des sciences et des technologies.

Une reconnaissance tout ce qu'il y a de plus limpide, puisque c'est dans les laboratoires de l'université d'Harvard, excusez du peu, que Catherine Dulac a pour habitude de partager ses savoirs depuis bien des années déjà. Avec ce Breakthrough Prize, la directrice de labo et professeure, qui office également au sein de l'institut médical Howard Hugues (dans l'Etat du Maryland), est notamment saluée pour sa découverte : celle de l'instinct parental. Une "trouvaille" qui est l'aboutissement d'observations minutieuses faites sur des souris et souriceaux.

Mais c'est quoi l'instinct parental ? Tout est dans l'énoncé. En étudiant les animaux, la scientifique a découvert que les souris femelles prenaient "instinctivement" soin de leurs enfants. Mais les mâles, quant à eux, préféraient les attaquer. Deux attitudes systématiques, et donc caractéristiques de leur genre. Les verdicts de Catherine Dulac ? Mâles et femelles se comportent selon ce que leur dictent leurs cerveaux, sous l'influence de leurs hormones. Ce sont ces hormones qui influent sur leurs circuits neuronaux et donc sur leurs actes.

"Une espèce de comportement paternaliste à la con"

Le but de ces découvertes innovantes ? Comprendre, par extension, à quel point les hormones conditionnent les rôles adoptés par les hommes et les femmes, selon les circuits neuronaux de l'un et l'autre sexe, notamment dans le cadre si spécifique de l'autorité parentale. Et donc, passer des études sur les souris et souriceaux à celle des mammifères. Ce qui intéresse plus encore Catherine Dulac, c'est cette notion d'instinct, ce qu'elle raconte sur le fonctionnement des neurones et les signaux envoyés - protéger ou agresser, voire tuer. Complexe.

Et gageons que la somme inhérente au Breakthrough Prize (3 millions de dollars) lui permettra de poursuivre ces recherches. Mais Catherine Dulac, de son côté, désire également en consacrer une partie à "la santé et l'éducation des femmes et des populations défavorisées", confie-t-elle au Monde. Pour la scientifique, l'égalité entre les sexes est une cause majeure. Il faut dire que la principale concernée connaît bien les discriminations.

Car l'experte a souffert d'un profond mépris académique en France. "Je n'ai eu aucune opportunité d'avoir mon propre labo là-bas", déplore la doctorante. Et c'est l'inverse qui s'est produit aux Etats-Unis. D'où le fait que cette ancienne élève de Normale Sup y réside, ait obtenu la double nationalité et y travaille depuis 25 ans. Au Monde toujours, elle ne mâche pas ses mots : "Je me suis vraiment heurtée à une espèce de comportement paternaliste à la con, si je puis m'exprimer ainsi, où les gens disaient : 'Oh, vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir votre propre budget, vous n'avez pas assez d'expérience pour être indépendante'", dit-elle. Edifiant.

Si elle estime que les Etats-Unis sont plus avancés sur le plan de l'égalité femmes-hommes, l'effet Matilda perdure malgré tout. Outre-atlantique, Catherine Dulac observe d'ailleurs certaines attitudes bien rétrogrades, comme celle de ses collègues masculins. "C'est agaçant parfois, on ne s'attend pas à ce que moi j'aie quelque chose d'intéressant à dire", s'attriste-t-elle à ce sujet. Le témoignage de Catherine Dulac indigne : les internautes voient en ce mépris institutionnel "un drame de la recherche en France". Il faut dire qu'instinct ou pas, le sexisme est un vieux réflexe qui agace.