Des femmes "agressées, harcelées, violées" : Alanis Morissette brise le silence

Publié le Jeudi 30 Avril 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Agressées, harcelées, violées" : Alanis Morissette brise le tabou de l'industrie musicale
"Agressées, harcelées, violées" : Alanis Morissette brise le tabou de l'industrie musicale
La chanteuse canadienne Alanis Morissette revient sur le mouvement #MeToo et dénonce un fléau pernicieux encore trop tu dans le monde de la musique. "Presque toutes les femmes dans l'industrie musicale ont été agressées, harcelées, violées", révèle-t-elle. Terrifiant.
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"C'est omniprésent - probablement même plus dans la musique que dans le cinéma" : l'interview d'Alanis Morissette au Sunday Times est édifiante. A l'occasion des 25 ans de son premier album, Jagged Little Pill, et de la sortie de son neuvième, Such Pretty Forks in the Road, la chanteuse lève le voile sur un fléau qui aurait échappé au mouvement #MeToo, né en 2017 aux Etats-Unis après les accusations de viols et d'agressions sexuels à l'encontre d'Harvey Weinstein, aujourd'hui condamné à 23 ans de prison. Mouvement qui n'aurait "même pas encore commencé dans l'industrie de la musique", assure-t-elle. "Presque toutes les femmes dans l'industrie de la musique ont été agressées, harcelées, violées", lâche l'artiste. "Quoi, le sexe, la drogue et le rock'n'roll ? Par définition, c'est grossier, transpirant et agressif. Mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'y ait sa propre explosion d'histoires".

Elle salue d'ailleurs celles qui ont parlé, qui ont osé brisé un silence qu'on leur a plus tard reproché : "Tout d'abord, elles n'ont pas attendu", lance-t-elle, déplorant la stigmatisation derrière "l'attente" pour s'ouvrir à propos de ces agressions. "Deuxièmement, elles sont confrontées à la menace de perdre leur emploi, leur réputation ou de ne pas être crues. Au mieux, c'est balayé sous le tapis, au pire, on vous réprimande sévèrement ou on vous vire". Et les traumatismes qui s'en suivent, Alanis Morissette ne les connaît que trop bien : elle avoue elle-même avoir été victime d'abus sexuel et d'exploitation, financière notamment, dès l'âge de trois ans.

"La rage féminine est humaine"

Fervente défenseuse des droits des femmes, elle martèle également l'importance pour celles-ci de se soulever, de s'indigner, d'user de leur voix. Et souhaite normaliser ce besoin bouillonnant de ne plus se taire qui, rappelle-t-elle, n'a rien à voir avec de la violence physique. "La rage féminine est tellement mal perçue, mais elle fait partie de l'être humain", déclare l'interprète de Ironic."Pas de frapper quelqu'un au visage, mais la colère canalisée dans l'activisme ou en élevant la voix, ou en disant non, ou en protégeant vos enfants ou en étant féministe".

Féministe, c'est un terme qu'elle revendique fièrement. Lors d'une tribune pour le Time, en 2016, elle expliquait d'ailleurs qu'on lui demandait souvent si elle l'était : "Ma réponse est toujours oui", affirme-t-elle. "Je ne me suis jamais excusée, mais j'ai plutôt été profondément passionnée. C'est un honneur d'être considérée comme une féministe." Elle développe : "Pour moi, le concept de féminisme est un maillon obligatoire dans une chaîne vers la plénitude, la cohésion, la maturation et la fonctionnalité - le mouvement féministe est certainement l'un des moyens les plus puissants pour atteindre ce grand but."

Des combats qu'elle porte

En 2020, un quart de siècle après le succès de son premier opus, ses chansons sont toujours considérées comme des hymnes anti-patriarcaux majeurs. Certaines d'entre elles dénoncent d'ailleurs les violences faites aux femmes. Au Hollywood Reporter, en décembre 2019, Alanis Morissette confiait le réel sens de sa chanson Hands Clean, extraite de son album Under Rug Swept, sorti en 2002, et la façon dont l'industrie a souhaité la transformer en tube pop sans envergure : "La sortie [du morceau] a été déconcertante. Quand le moment est venu de faire le clip, je voulais avoir une narration, mais il y a eu cet encouragement de la part des gens de l'industrie, 'Faisons-en un truc de karaoké'. Ensuite, les gens ont interprété la chanson de manière intéressante, et je me suis souvent demandé : 'Avez-vous vraiment écouté les paroles ?' Parce que si vous les lisez à froid sur un morceau de papier, ce n'est pas si obtus. C'est un dialogue sur l'agression sexuelle et le détournement de mineur."

Aujourd'hui mère de trois enfants, dont le dernier, 7 mois, qu'elle allaite, elle se livre dans le magazine Health sur la difficulté du post-partum, et de la dépression vécue par beaucoup de femmes, encore très taboue. Elle salue aussi le courage de "toutes les mères" qui font ce qu'elles peuvent, et aborde sans détour ce qu'implique la chute d'hormones qui suit la grossesse, aussi bien mentalement que physiquement. "Après un accouchement, votre corps se reconstruit en même temps que votre identité", estime-t-elle.

Alanis Morissette prend la parole pour celles qui n'osent pas, qui ne peuvent pas, qui sont terrifiées, épuisées. Et avec ses mots, libère un peu plus les femmes. Bravo.