Rentrée littéraire 2017 : nos 8 romans coups de coeur

Publié le Jeudi 31 Août 2017
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Rentrée littéraire 2017 : nos 8 romans coups de coeur
Rentrée littéraire 2017 : nos 8 romans coups de coeur
Avec la parution de 581 ouvrages français et étrangers, la rentrée littéraire promet de longues et belles heures de lecture. Que vaut le cru 2017 ? On vous offre un début de réponse avec nos huit romans coups de coeur.
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1 – Femme à la mobylette, de Jean-Luc Seigle

Dans Je vous écris dans le noir (ed. J'ai Lu), paru en 2015, Jean-Luc Seigle se glissait dans la peau de Pauline Dubuisson, condamnée à la prison en 1953 pour le meurtre de son ex petit-ami. Avec beaucoup de sensibilité, l'écrivain français s'attachait à démontrer comment les femmes étaient et sont toujours victimes des préjugés de la société. Reine, l'anti-héroïne de Femme à la mobylette, a quelque chose de la Pauline Dubuisson racontée par Jean-Luc Seigle. Cabossée, meurtrie même, elle est devenue le fantôme de sa propre vie. Car Reine est au chômage depuis longtemps. Abandonnée par son mari, elle ne sait plus comment élever ses trois enfants. Mais dans la décharge qui lui sert de jardin, Reine trouve un jour une mobylette bleue. Un moyen de locomotion qui ne paye pas de mine mais tient du miracle, et qui va lui permettre de se rendre à un entretien d'embauche.

Avec poésie et beaucoup d'empathie, l'auteur français nous conte une nouvelle fois l'histoire d'une femme que la vie n'a pas épargné. Reine représente à elle seule les laissés-pour-compte, les pauvres de la France d'en bas, mais aussi toutes les femmes victimes des injustices de la société. Femme à la mobylette est un roman court mais un roman qui marque. De ceux qu'on termine la gorge nouée.

Ed. Flammarion, 238 pages, 19 euros

Femme à la mobylette
Femme à la mobylette

2 – De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia

Que l'on ne s'y méprenne pas, si l'ombre de David Bowie plane sur le roman de Jean-Michel Guenassia, c'est la vie d'un autre androgyne dont il est question ici. Paul, jeune homme de 17 ans a été élevé par deux mamans, dont l'une est complètement hétérophobe. Cette normalité inversée et culottée est aussi savoureuse du point de vue du lecteur qu'elle est un casse-tête pour Paul. Car si le garçon est souvent pris pour ce qu'il n'est pas – à savoir une jeune et jolie lesbienne – il est bel et bien hétéro. Alors, comme David Bowie il y a plusieurs décennies de cela, Paul s'amuse avec les codes du genre, il se "dissimule dans le clair-obscur" comme il le dit si bien. Si le nouveau roman de Jean-Michel Guenassia peut-être lu comme un portrait familial drôle, fantaisiste, et parfois cynique, il est aussi un formidable miroir de la société d'aujourd'hui.

Ed. Albin Michel, 327 pages, 20 euros

De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles
De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles

3 – Le coeur battant de nos mères, de Brit Bennett

Faire de l'avortement le sujet d'un roman lorsqu'on est une jeune auteure américaine relève presque du courage dans l'Amérique post-Trump. Mais Brit Bennett ne s'empare pas de ce thème à la légère. Au plus près des pensées et des sentiments de ses personnages, elle tisse le fil d'une histoire en apparence banale : à 17 ans, Nadia tombe enceinte de Luke, son amoureux secret. Issue d'une communauté noire et religieuse du Sud de la Californie, Nadia décide qu'il est préférable pour elle d'avorter. Sa mère vient de se suicider, son père est totalement paumé, et surtout, elle vient d'être acceptée à l'université. Alors mieux vaut partir, recommencer sa vie à zéro.

Cette décision, si elle n'est jamais jugée ou remise en question, va avoir des répercussions sur la vie des protagonistes, dont les trajectoires vont s'entrechoquer avec la mise en place d'un triangle amoureux. A demi-mots, Brit Bennett réussit à créer une ambiance ultrasensible sans jamais être étouffante. Surtout, elle traite avec beaucoup de justesse et de nuance des sujets comme le passage à l'âge adulte, le racisme, la religion, et bien sûr, l'avortement. Une auteure dont on n'a pas fini d'entendre parler, assurément.

Ed. Autrement, 370 pages, 20,90 euros

Le coeur battant de nos mères
Le coeur battant de nos mères

4 – Le sympathisant, de Viet Thanh Nguyen

Couronné du prestigieux prix Pulitzer en 2016, le premier roman de Viet Thanh Nguyen est une fresque épique, à mi-chemin entre oeuvre politique, reconstitution historique et récit intime. Le narrateur – dont on connaîtra jamais le nom – est un bâtard. C'est en tout cas en ces termes qu'il se décrit dès les premières pages du livre. Fils non reconnu d'un prêtre français et d'une Vietnamienne, il est dans l'incapacité de trouver sa place dans la société. Mais son statut de bâtard est double. Car comme on l'apprend bien vite, l'homme qui officie en tant que capitaine au sein de l'armée du Sud-Vietnam est en fait un agent secret communiste. En avril 1975, alors que l'armée du Nord envahit Saïgon et que le chaos s'empare du pays, le narrateur fuit aux États-Unis avec quelques privilégiés.

Grâce à une prose virtuose, presque électrique, Viet Thanh Nguyen réussit à nous passionner pour le destin de cet espion sans foi ni loi, bien décidé à sauver sa peau, même s'il faut pour cela accuser des innocents. Le sympathisant est un roman complexe, dramatique, mais qui surprend parfois par son humour acéré. Lui-même né au Vietnam et exilé avec sa famille aux États-Unis, le romancier s'attaque avec une bonne dose de cynisme au fameux rêve américain tout en égratignant au passage les failles de sa mère patrie. Récompense de cette intense lecture ? Un final digne du 1984 de George Orwell. Mais chut, on n'en dira pas plus.

Ed. Belfond, 504 pages, 23,50 euros

Le sympathisant
Le sympathisant

5 – Par le vent pleuré, de Ron Rash

Elle s'appelait Jane Mosely mais s'était renommée Ligeia. En 1969, alors que l'Amérique ne s'est pas encore remise du phénomène Summer of Love, la jeune hippie quitte la Floride pour s'installer chez son oncle et sa tante à Sylva, une petite ville de Caroline du Nord. Là-bas, elle rencontre deux frères, Bill et Eugene, qui vont lui faire successivement la cour. Mais l'insouciance et l'attitude provocante de Ligeia vont se frotter à une ville conservatrice imperméable à l'amour libre et aux drogues. Quarante-six ans plus tard, les restes de Ligeia sont retrouvés près du lac où elle avait pris l'habitude de se baigner cet été-là. Alors Eugene se souvient. Puisant dans ses drames familiaux personnels et sa relation avec son frère Bill, celui qui est devenu un écrivain raté tente de comprendre ce qui est arrivé à son amour de jeunesse.

Alternant entre le passé et le présent, Ron Rash nous emporte avec une lenteur calculée vers un événement tragique. Par le vent pleuré est un roman sur la culpabilité et la rédemption. Sensible et soigné, le récit propose en plus une jolie plongée dans la culture américaine de la fin des années 60.

Ed. Le Seuil, 208 pages, 19,50 euros

Par le vent pleuré
Par le vent pleuré

6 – Les complicités involontaires, de Nathalie Bauer

Nathalie Bauer n'aime tant rien que de lier ensemble histoire familiale et récit historique. Après Des garçons d'avenir (ed. Philippe Rey) et Les indomptées (ed. Philippe Rey), la voilà qui revient avec un nouveau roman où s'emmêlent les thèmes chers à son coeur. L'intrigue est plutôt alléchante : Corinne V., psychiatre, reçoit un jour dans son cabinet Zoé B., dépressive chronique désireuse d'entreprendre une analyse. La psychiatre reconnaît en la patiente une amie de l'adolescence, mais Zoé B. expliquant souffrir d'amnésie partielle, la curiosité l'emporte sur la déontologie. Disons-le tout de suite, Les complicités involontaires n'est pas un thriller psychologique. Aux manipulations et à la paranoïa, Nathalie Bauer préfère dresser le portrait de deux femmes réunies par la force du destin. Original et habilement construit, le récit alterne les allers-retours entre passé et présent, dévoilant progressivement l'impact que chacune des deux femmes va avoir sur la vie de l'autre.

Ed. Philippe Rey, 287 pages, 19 euros

Les complicités involontaires
Les complicités involontaires

7 – Les pleureuses, de Katie Kitamura

La narratrice est séparée depuis plusieurs mois de son mari, Christopher. Ce dernier lui a demandé de ne pas en parler tout de suite à leur entourage, et elle a accepté. Quand Christopher disparaît pendant un séjour en Grèce, la narratrice accepte à nouveau l'inacceptable : partir seule à la recherche de Christopher sur la demande de la mère de celui-ci. Bâti comme un long monologue, le récit de Katie Kitamura nous emporte dans les pensées de cette femme passive, presque résignée. Mais cette inertie extérieure cache des réflexions sombres, des contradictions et bien souvent, une véritable incompréhension du monde. Servi par une écriture de qualité et délicate, Les pleureuses est un livre qui se savoure doucement. Amis de l'action et du suspense, passez votre chemin.

Ed. Stock, 304 pages, 21,50 euros

Les pleureuses
Les pleureuses

8 – Innocence, d'Eva Ionesco

En 2011 déjà, elle avait raconté son enfance érotisée dans un film, My Little Princess. La voici qui revient nous conter ces années-là, cette fois-ci sous la forme de mémoires. Il faut dire qu'Eva Ionesco a des choses à dire et qu'elle raconte bien. Dans Innocence donc, l'actrice et mondaine plonge à nouveau dans son passé. Nous voilà dans les années 70. Irina Ionesco – sa mère – se met un jour en tête de devenir photographe. Elle transforme alors Eva en poupée obscène, lui ordonne de poser nue dans des décors gothiques. A 7 ans, la gamine comprend sans comprendre que quelque chose cloche. Mais elle est bien la seule. Car les photos d'Irina Ionesco trouvent rapidement leur public. On est dans les années 70 après tout, et le tout Paris est encore électrisé par la libération sexuelle.

Les anecdotes citées par Eva Ionesco sont souvent laides et dérangeantes, tout comme l'était sa relation avec sa mère, une femme pour qui le terme "parent toxique" semble avoir été inventé. Ici et là, Innocence est traversé par des moments d'une infinie douceur qui se matérialisent sous la forme du père d'Eva. Rejeté de la vie de sa fille par une mère toujours plus désireuse d'étendre son emprise, ce père aimant apparaît comme le seul moyen de s'en sortir. Plus que des mémoires, ce livre est aussi une enquête sur cet homme disparu un jour de la vie de sa fille sans laisser de traces.

Ed. Grasset, 432 pages, 22 euros

Innocence
Innocence