Camille Kouchner libère la parole et accuse Olivier Duhamel d'inceste sur son frère

Publié le Mardi 05 Janvier 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Accusé d'inceste par Camille Kouchner, le politologue Olivier Duhamel démissionne de ses fonctions.
Accusé d'inceste par Camille Kouchner, le politologue Olivier Duhamel démissionne de ses fonctions.
Dans l'un des grands livres événement de ce début d'année, "La Familia Grande", l'autrice Camille Kouchner revient sur de nombreux faits intimes. Comme l'inceste dont elle accuse aujourd'hui son beau-père, le politologue Olivier Duhamel. Une parole se libère.
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Ce sont les révélations-massues de ce début d'année. Accusé d'inceste par sa belle-fille Camille Kouchner, le politologue Olivier Duhamel a démissionné de ses fonctions au sein de la Fondation nationale des sciences politiques. Dans son livre La Familia Grande, publié ce 7 janvier au Seuil, l'autrice évoque les violences incestueuses dont aurait été victime son frère jumeau. Un récit en forme de libération - cruciale - de la parole.

"J'ai choisi d'écrire car je ne pouvais plus me taire. Il y a un an, j'ai expliqué à mes enfants ce qui s'était passé. J'avais besoin de leur montrer qu'on n'allait pas tous rester emprisonnés dans le silence. Je ne pouvais pas à la fois leur dire qu'on ne doit pas se laisser imposer ses secrets et, moi-même, rester dans le silence", explique Camille Kouchner dans les pages de l'Obs. Ce récit intime de violences est aussi celui d'une omerta qui dure, et oppresse.

Mais quelles violences ? Un article du Monde signé Ariane Chemin les énonce justement. Olivier Duhamel aurait abusé sexuellement de son beau fils, à la fin des années 80, alors que celui-ci n'avait que treize ans. Des violences qui, prenant place dans la chambre à coucher de ce dernier, auraient duré "au moins" deux ans, nous dit-on. Beau-fils qui a fini par confier les faits, restés secrets des décennies durant, à sa soeur jumelle, Camille Kouchner.

Violences bientôt connues de la mère, mais aussi de certains amis du couple et autres "personnalités en vue", qui n'ont dit mot, développe le journal. Dans son récit, l'autrice partage tour à tour des faits de chantage, de pression familiale et psychologique, de culpabilité de la victime, ou encore d'emprise. Au creux de chacun de ces phénomènes vécus ou observés, le silence. D'où la nécessité de poser les choses noir sur blanc.

"Ça s'appelle l'emprise"

Une nécessité pas simplement individuelle, mais collective. Car l'inceste, indissociable des rapports de pouvoir et d'autorité, demeure encore l'un des plus grands tabous de notre société. "Mon livre est né de cela : témoigner de l'inceste pour montrer que ça dure des années et que c'est très difficile de se défaire du silence. Je ne l'ai pas écrit au nom de mon frère, mais des soeurs, des nièces, de toutes les personnes touchées par l'inceste. L'omerta, dans une famille, pèse sur tout le monde", affirme en ce sens l'écrivaine à l'Obs. Des paroles puissantes.

Et qui fédèrent. La romancière et journaliste Tristane Banon, qui en 2011 portait plainte contre l'ex-politicien Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle, le fait d'ailleurs comprendre sur Twitter : "Il faut lire Camille Kouchner. Il faut la lire parce que c'est la seule consolation possible de ce qui ne se consolera jamais. Il faut la lire parce que c'est la seule condamnation possible de celui que la justice ne condamnera jamais". C'est dire si bien des voix anonymes perçoivent en la publication de La Familia Grande une manière de faire bouger les lignes.

Un ouvrage qui a exigé du courage, mais aussi du temps, beaucoup de temps. Celui de la rédaction, et de la réflexion. Dix ans durant, Camille Kouchner a notamment suivi une psychanalyse et étudié les travaux de référence de la psychiatre et psychotraumatologue Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie. Une parole experte en ce qui concerne le traitement, la réception et la perception en France des violences sexistes et sexuelles. Et qui a permis à l'écrivaine et juriste de saisir bien des choses.

"Pendant des années, plus que de me taire, j'ai protégé mon beau-père. Face à l'alcoolisme de ma mère, il organisait nos vacances, nous emmenait au ciné, m'initiait au droit... Ça s'appelle l'emprise", analyse-t-elle aujourd'hui. Comme le relate Le Monde, la rédaction du livre s'est faite dans la plus grande discrétion. Olivier Duhamel n'était pas au courant de sa publication jusqu'à ce début janvier. "Je n'ai rien à dire là-dessus", a-t-il précisé à Ariane Chemin à propos de ces accusations, avant d'affirmer publiquement "mettre fin à [ses] fonctions".

"La peur doit changer de camp", ajoute désormais Iris, cousine de l'écrivaine. Derrière ces révélations, le besoin de parler pour celles et ceux qui ne le peuvent pas, et ainsi de rappeler que ces violences ne concernent pas simplement certaines sphères et institutions où règnent richesses et privilèges. Ce que précise à juste titre la journaliste Nassira El Moaddem sur ses réseaux, l'espace d'une salutaire tribune : "cessez de romantiser l'inceste comme le crime parfait des bourgeois de pouvoir. Ces crimes sont le fait de TOUTES les familles, de TOUTES les origines sociales ou ethniques. Ne silenciez pas les victimes au nom d'une idéologie qui n'a pas sa place ici".

Au creux de ces mots, un tabou qui n'en finit pas d'être brisé.