Pourquoi les héroïnes de comédies romantiques sont-elles souvent journalistes ?

Publié le Mercredi 18 Septembre 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) dans Sex and The City
Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) dans Sex and The City
La profession de journaliste semble privilégiée lorsqu'il est question d'écrire les rôles principaux féminins des "rom-coms". On a voulu savoir pourquoi.
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Pas besoin d'être expert·e en la matière pour saisir le point commun entre Le Mariage de mon meilleur ami, Quand Harry rencontre Sally, Le Journal de Bridget Jones, Sex and The City ou Comment se faire larguer en dix leçons. Au-delà d'une trame plus ou moins bien ficelée au fil de laquelle une jeune célibataire va chercher puis - forcément - trouver l'amour, toutes sont journalistes en devenir ou exerçant. Sally en fait son métier au terme de plusieurs années d'études, Bridget, après une démission fracassante du monde de l'édition, brille par sa maladresse dans ses nouvelles fonctions de reporter télé, Julia Roberts est critique culinaire et Kate Hudson écrit pour un magazine féminin. Carrie Bradshaw, elle, se spécialise dans le récit chroniqué de sa propre vie sentimentale et sexuelle. "Une blogueuse avant l'heure", note Perrine Quennesson, journaliste et intervenante dans le podcast NoCiné (Binge Audio). Et la liste ne s'arrête pas là.

Elle dépasse d'ailleurs les "romcoms" hollywoodiennes pour s'étendre aux innombrables téléfilms qui passent en boucle depuis des années sur M6. Dans un scénario sur trois (estimation purement personnelle après un visionnage intensif du genre), la jeune protagoniste travaille dans la presse. Un choix qui illustrerait une sorte de fantasme de la profession ? Ou au contraire, un job qu'on associe à une instabilité qu'il faudrait venir calmer - grâce, ça va de soi, à un prince charmant des temps modernes a.k.a magnat de la finance en mal d'amour ? Oui et non.

Prétexte et identification

Pourquoi les héroïnes de comédies romantiques sont-elles si souvent... journalistes ?
Pourquoi les héroïnes de comédies romantiques sont-elles si souvent... journalistes ?

"Ce dont il faut se souvenir, c'est que le cinéma est l'art du rêve", souligne Véronique Le Bris, fondatrice et rédactrice en cheffe de Cine-Woman et créatrice du Prix Alice Guy. "Ce qu'on recherche en tournant des comédies romantiques est donc de faire rêver la spectatrice. Et il faut également qu'elle puisse s'identifier facilement à l'héroïne". Quand on tape les métiers qui font le plus "rêver" dans Google, on voit effectivement que la profession de journaliste arrive dans le peloton de tête. Et ce, sans pour autant demander les qualifications extraordinaires que les carrières de mannequin, chanteuse, ou actrice - aussi en haut de la liste - requièrent, précise Véronique Le Bris. Le journalisme serait donc un métier qui combine les deux : l'envie et l'accessibilité. Et incarne aussi un bon alibi pour trouver quelqu'un.

"Pour un point de départ de comédie romantique, c'est super efficace", assure Perrine Quennesson. "C'est un métier de la communication, on rencontre beaucoup de gens, on entre en contact avec beaucoup de personnes." Et qui dit beaucoup de personnes dit aussi gros potentiel de tomber sur une âme esseulée (et séduisante) entre deux interviews. Il est vrai qu'en tant que journaliste, on voit du monde. On côtoie des gens de tous les milieux, souvent, et d'un point de vue scénaristique, cela semble idéal pour planter le décor. Seulement ledit décor n'est pas toujours très creusé.

La preuve, si on se concentre davantage sur les tâches pro que sur le perso des personnages principales, on remarque par exemple que la plage horaire dédiée au travail est largement amoindrie. Carrie Bradshaw, pour ne citer qu'elle, passe notamment plus de temps à traîner dans des restos branchés, à acheter des chaussures et à rencontrer des inconnus au coin de la rue qu'à réellement écrire sur son Mac d'un autre temps. "Le but d'une comédie romantique est justement la romance", rappelle Véronique Le Bris. Ce qui remet la profession comme simple fonction de prétexte : l'objectif n'est pas tant de dégoter le scoop du siècle que de repartir avec l'interviewé. Ça se tient (sauf pour Bridget Jones, qui réussira à allier les deux de main de maîtresse). Et puis, lui donner un métier qui met en avant son intellect, même sans aller plus loin que les clichés qui l'entourent, a aussi de bons côtés.

Un indice d'indépendance ?

Comment se faire larguer en dix leçons
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"Le positif dans ce choix de profession, c'est qu'on sort la femme de son côté purement objet de désir. Elle a un métier de réflexion", insiste la podcasteuse Perrine Quennesson. Non pas qu'une carrière soit plus valide qu'une autre, mais s'extirper du stéréotype de la femme soignante, toujours à l'écoute, et disons-le, souvent soumise, pour lui donner une activité qui met en avant ses compétences intellectuelles, est louable.

"C'est une profession où l'on peut prendre la parole, qui est également valorisante auprès de l'homme qui va la séduire. Pour qu'elle lui résiste, il faut aussi qu'elle puisse avoir une certaine confiance en elle et être indépendante", ajoute Véronique Le Bris. Et puis surtout, "la comédie romantique a vraiment émergé dans les années 80, qui est aussi le boom de la communication", évoque-t-elle. "Il y avait tout un univers qui s'ouvrait aux femmes car elles y étaient les bienvenues, on pouvait y faire carrière car c'était nouveau et les hommes s'y engouffraient moins." Ce qui explique les rôles peu divers et variés de Meg Ryan en tant que reporter au temps très libre, notamment dans Nuits blanches à Seattle.

Sauf que parfois, le contraste entre l'homme et la femme étonne. L'héroïne journaliste de "romcom" évolue dans un milieu convoité, certes, mais elle n'est pas toujours sur un pied d'égalité avec son prétendant. "Elles sont souvent présentées comme des personnes qui ont du mal à conjuguer beaucoup de choses", explique Perrine Quennesson. "Il y a un côté 'on ne peut pas tout avoir', 'il va falloir faire un choix'. On les représente comme des femmes avec une vie un petit peu épileptique. Et souvent, elles ne sont pas au sommet de leur carrière. Elles galèrent." Par opposition, la vie du personnage masculin semble elle, davantage "au point". "Il a l'air plus posé que ces femmes qui ont tellement de choses à prouver, deux fois plus qu'un homme", poursuit l'érudite. "Finalement, cette idée est assez représentative de la situation des femmes dans la réalité. Ce qui est intéressant, même si ce n'est pas le prisme que ces films prennent."

Inégalité ou bien simple différence qui justifierait leur compatibilité ? Pour Véronique Le Bris, les deux personnages y trouvent peut-être leur compte : "Peut-être que la libre parole des protagonistes, qu'elles peuvent avoir par ces métiers-là - journaliste, chroniqueuse, autrice -, a besoin d'être calmée par quelqu'un de sérieux, qui lui aura besoin d'un peu de folie dans sa vie". C'est en tout cas ce qu'on ressent quand on (re)jette un oeil à College Attitude ou Comment larguer un mec en dix leçons. Ce qui manque cruellement en revanche, c'est une réelle représentation de la fonction.

"Il y a de très grands films de journalistes, mais ce ne sont jamais des femmes"

The Bold Type
The Bold Type

"Dans les comédies romantiques, on est sur une durée d'une heure trente, il ne faut pas perdre du temps à écrire un article", lance Perrine Quennesson. "Le but est avant tout de trouver l'amour, donc le métier n'est jamais bien représenté. La réalité n'est jamais prise en compte". Et si le travail au cinéma dans son ensemble est rarement retranscrit avec justesse, remarque Véronique Le Bris, perpétrer une image très glamourisée du journalisme ne sert pas l'emploi ni sa crédibilité. "Ça nécessite un savoir-faire qui s'apprend, c'est du travail, et on entretient un cliché qui n'est pas bon sur une profession qui est en grande remise en question", juge Perrine Quennesson.

Rares exceptions à la règle : la dévotion de Bridget Jones sur le terrain, l'implication de Rachel McAdams, productrice d'une émission télé dans Morning Glory (à la croisée entre film d'entrepreneure et comédie romantique) et la série américaine The Bold Type, dont la saison 4 serait prévue pour le printemps 2020. Le show retrace les aventures de trois New-Yorkaises qui bossent pour Scarlett, sorte de Cosmopolitan haut de gamme, leurs amours et leurs préoccupations de jeunes adultes. Il y a des trous dans le scénario, des répliques dont on se passerait bien et la rédactrice en cheffe semble beaucoup trop sympa mais au moins, "on voit davantage la réalité du métier", affirme Perrine Quennesson. "Ce n'est pas si simple de pitcher, ce n'est pas si simple de trouver un angle. On voit Jane (la journaliste du trio, ndlr) bosser, on la voit passer des soirées solo à écrire."

Une histoire qui tire son épingle du jeu mais qui continue de surfer sur un autre stéréotype : les femmes sont souvent associées à la presse féminine, qui, elle, n'a pas toujours bonne réputation. "On cantonne la presse féminine à quelque chose de très superficiel, ou juste du domaine de l'avis avec Sex and The City par exemple. Ce qui est réducteur et pas toujours vrai", poursuit la journaliste. "Le problème, c'est qu'il y a ce cliché de la 'fille cool', qui enferme les femmes. Il faut être intelligente mais 'girly', et avoir avant tout des intérêts 'girly'. Il ne faudrait surtout pas que son intellect prenne trop de place."

Quand on s'éloigne de la "romcom", on trouve cependant bien des oeuvres qui traitent plus profondément de journalisme. Parmi elles, Spotlight (2015) aborde l'enquête d'une affaire de pédophilie dans la communauté catholique de Boston, Les Hommes du président (1976), mené par les inégalables Redford et Hoffman, traitent du Watergate. Et si le premier compte bien Rachel McAdams dans l'équipe, elle sert davantage de caution que de pilier à la rédaction.

"Il y a de très grands films de journalistes, mais ce ne sont jamais des femmes", déplore Véronique Le Bris. "Ce ne sont jamais elles qui jouent un rôle dans la démocratie, ni qui changent le monde." Les femmes s'occupent de sujets de femmes, les hommes s'occupent de sujets tout court, en somme. Un décalage évident qui n'est pas forcément dérangeant dans la comédie romantique - l'objectif est ailleurs, au divertissement et au rêve, notamment. Mais si la seule représentation féminine de la vocation passe par ces amourettes plus ou moins bien amenées, peut-être faudrait-il les développer davantage. "Il va falloir parler des réalités du métier, comme la précarité", conclut Perrine Quennesson. "Et qu'on ne me dise pas que j'ai besoin d'un homme pour me sauver de cette précarité non plus !"