Mais pourquoi les téléfilms de Noël sont-ils si sexistes ?

Publié le Vendredi 21 Décembre 2018
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Mais pourquoi les films de Noël sont-ils si sexistes ?
Mais pourquoi les films de Noël sont-ils si sexistes ?
Tant pis si je passe pour une rabat-joie, je le scanderai haut et fort : la plupart des téléfilms de Noël sont sexistes. Et Dieu sait que je suis moi-même fervente adepte du combo romance et branche de houx.
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Pendant les fêtes, il y a plusieurs traditions qui me tiennent à coeur. Engloutir mon poids en bûche, écouter la reprise des chansons de Noël de Michael Bublé, et me faire un marathon de téléfilms mielleux.

Je parle évidemment de ceux qui passent en boucle dès le 15 novembre sur M6, W9 ou TF1, et qui ont tous à peu près le même scénario : une femme célibataire a des problèmes, elle rencontre un homme qui va les régler, ils tombent amoureux et l'année d'après, on les retrouve mariés avec un enfant en route - le tout sur fond de lait de poule, de biscuits à la cannelle et de capitalisme. Le rêve de toute une vie, si l'on en croit les scénaristes américain·es.

Mais après avoir passé un bon bout de temps enfoncée dans mon canapé sous un plaid autrefois doux, à zapper entre La petite boutique de Noël et Noël au bout des doigts (qui n'est pas la version X de Santa & Cie d'Alain Chabat), je me suis dit qu'il était temps d'arrêter les conneries. Non pas que mon débit de visionnage m'inquiète, mais plutôt le message que ces films font passer commence à m'énerver.

Parce qu'à dire vrai, ils racontent rarement l'histoire d'une femme et d'un homme lambda - ce qui pose déjà un problème en soi, vue l'absence totale de couples homosexuel·les sur une sélection d'une vingtaine de longs-métrages -, mais plutôt celle d'une commerçante dont l'affaire manque de disparaître et du riche promoteur qui veut tout raser.

D'une assistante qui tombe amoureuse de son boss. Ou - et c'est là que mon sang n'a fait qu'un tour - d'une journaliste passionnée par son boulot, qui tombe dans un monde parallèle où elle devient mère au foyer malgré elle, pour finir par réaliser que le vrai bonheur se trouve avec ses enfants (qu'elle ne connaissait pas deux semaines auparavant).

Cette petite pépite, c'est Une famille pour Noël, avec Lacey Chabert dans le premier rôle, alias Gretchen de Lolita malgré moi, (so fetch!). Elle y joue donc une reporter télé qui vit pour les scoops mais qui se réveille un matin mariée à son amour de jeunesse et maman de deux petites filles.

Comme on l'a spoilé plus haut, cette "leçon" de Noël, c'est pour lui montrer que sa vie réelle est vide. A la fin, elle-même se rend compte qu'en effet, elle ne serait rien sans le bon vieux schéma du pavillon de banlieue chic avec monospace et coffre de toit.

Un seul modèle valide

Il s'agit donc la plupart du temps d'une situation où la femme et son avenir dépendent des décisions de l'homme, où ses revenus sont beaucoup plus bas que lui, ou encore qui ne donne qu'une seule fin heureuse possible : celle d'avoir une famille.

Alors, oui, bien s'entendre avec ses proches, c'est l'idéal. Personnellement, les miens et moi, on est comme larrons en foire. Mais ce n'est pas une raison pour ne proposer qu'un modèle valide. On peut être une femme et choisir une carrière plutôt qu'une vie de famille, comme l'inverse, on peut être une femme et être la boss, et on peut être une femme et ne pas être complètement dépendante de l'homme qui partage notre vie.

En tant qu'adulte, au final, on a souvent le recul suffisant pour se dire que ce n'est qu'un gros tas de clichés qui n'ont rien à voir avec la réalité, et passer au-dessus des messages cachés. Seulement voilà, ces téléfilms de Noël ne sont pas destinés à des journalistes pigistes qui se servent du télétravail pour assouvir leur addiction assumée à la niaiserie.

Ils sont principalement faits pour des enfants, voire de jeunes adolescent·es, qui eux et elles sont des éponges et n'ont pas forcément les clés nécessaires pour faire la part des choses. Cela n'affectera pas obligatoirement leur vie, certain·es se diront peut-être d'eux-mêmes qu'il ne s'agit que d'une fiction, mais ça contribuera à véhiculer ce schéma unique de bonheur, qui n'est remis en question nulle part.

Et c'est justement comme ça que l'on conditionne les générations futures. Regardez les ravages qu'ont fait Blanche-Neige and co dans notre vie sentimentale d'adultes. Aujourd'hui, un bon nombre d'entre nous attend encore l'amour comme s'il s'agissait du but ultime, alors qu'il serait peut-être plus sain de l'envisager comme un bonus génial qui rend notre vie déjà cool encore mieux, mais qui n'est pas indispensable à notre bonheur.

Tout n'est pas perdu

Heureusement, il existe aussi des OVNI qui ont réussi à sauver le genre in extremis. Noël entre filles par exemple, diffusé sur M6, est un peu la version féministe du film de Noël. Trois amies d'enfance d'une quarantaine d'années se retrouvent à une période charnière de leur vie : un divorce, un licenciement et une crise d'ado à la maison.

Les hommes font partie de leur vie, elles les aiment, mais elles peuvent surtout compter les unes sur les autres pour sortir la tête de l'eau. L'une des protagonistes investit même dans le projet de l'autre, et n'a pas peur d'afficher son succès - ce qui plaît énormément à son conjoint.

Je garde donc une once d'espoir en ce qui concerne l'arrivée au XXIe siècle des auteurs et autrices de ces téléfilms ringards, dont l'audience oscille entre 800.000 et 2 millions de téléspectateurs* chaque jour. Et je vous souhaite surtout un très joyeux Noël en musique avec Michael Bublé.

*source : Pure Médias