Pourquoi tant de personnes refusent de se déclarer féministes ?

Publié le Mardi 12 Février 2019
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Pourquoi tant de personnes refusent de se déclarer féministes ?
Pourquoi tant de personnes refusent de se déclarer féministes ?
Selon plusieurs enquêtes, dont un sondage européen à grande échelle, beaucoup de personnes se disent favorables à l'égalité femmes-hommes, mais refusent le terme "féministe". Comment expliquer ce paradoxe ?
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"Féminisme" serait-il un gros mot ? À en juger par le nombre de personnes qui refusent cette étiquette, on pourrait presque répondre oui. Pas plus tard que l'année dernière, un sondage européen réalisé auprès de 500 000 Européen·nes par YouGov a montré que plus de la moitié de la population ne se considère pas féministe.

Pourtant, un sondage CSA réalisé en 2013 pour Terrafemina avait révélé que 50% des femmes estiment que la lutte contre les inégalités hommes-femmes a encore du sens.

Six ans plus tard, ce combat s'avère toujours autant nécessaire. L'affaire de Ligue du LOL dévoilée ce vendredi 8 février- sorte de #MeToo de la presse française dans lequel on apprend qu'un groupe d'hommes tout puissants a cyber-harcelé des femmes et des homosexuels pendant des années- le confirme.

33% des Français·es se considèrent féministes

Selon le sondage européen de l'institut YouGov réalisé en 2018, entre 8% et 40% de personnes se considèrent comme féministes. Sans surprise, le plus haut score a été obtenu en Suède, pays emblématique de l'Europe en terme de droits des femmes.

À l'inverse, le pays où le nombre de personnes s'estimant féministes s'avère le plus faible est l'Allemagne. La France figure quant à elle en deuxième position, juste après la Suède (33%). Un résultat qui rejoint celui d'un sondage Harris Interactive réalisé en avril 2018 pour le magazine hebdomadaire Vraiment et selon lequel 58% des Français·es s'estiment féministes.

Reste que même dans un pays comme la Suède, 60% des habitant·es rejettent ce terme. Comment expliquer ce paradoxe ?

Les jeunes femmes élèvent le niveau

Le plus surprenant dans ce sondage européen, ainsi que dans les autres études consacrées au sujet, est que la plupart des sondé·es se déclare à 80% en faveur de l'égalité femmes-hommes. C'est donc le terme, plus que le combat en lui-même, qui dérange. Bonne nouvelle ou aberration totale ? Question de point de vue.

Le mot "féministe" est plus ou moins bien accepté selon les niveaux de catégories socio-professionnelles. L'enquête de YouGov souligne par exemple qu'il est moins susceptible de plaire aux femmes et aux hommes issu·es de la classe ouvrière : une personne sur cinq, contre trois personnes sur cinq pour les classes sociales plus aisées.

Le sondage réalisé en France pour Vraiment a par ailleurs montré que les nouvelles générations éprouvent moins de difficultés à se définir comme féministes que leurs aîné·es. C'est surtout vrai chez les femmes âgées de 15 à 24 ans, dont le taux a augmenté de 2% entre 2014 (75%) et 2018 (77%).

Que signifie "être féministe ?"

Le problème de fond chez ceux et celles qui se disent favorables à l'égalité entre les deux sexes mais n'acceptent pas qu'on les appelle "féministes" vient sans doute d'une interprétation erronée du terme. Mais alors, c'est quoi "être féministe ?"

Selon le Larousse, le féminisme est un "mouvement militant pour l'amélioration et l'extension du rôle et des droits des femmes dans la société".

Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales propose la définition suivante : "mouvement social qui a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue d'égaliser son statut avec celui de l'homme, en particulier dans le domaine juridique, politique et économique."

Or, pour de nombreuses personnes, le féminisme s'apparente surtout à une haine des hommes et des attitudes violentes et énervées. Comme le montrent des témoignages publiés par l'Obs, de nombreuses femmes se défendent d'être féministes précisément pour ces raisons, sans pour autant nier la nécessité d'instaurer une société égalitaire.

"C'est le fameux et très répandu je ne suis pas féministe mais...", explique à l'hebdomadaire Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes.

Remise en question

Le débat a retenti de plus belle avec l'avènement des mouvements #Me Too et #BalanceTonPorc, où l'on a comparé la libéralisation de la parole des femmes victimes d'agressions sexuelles à de la délation.

Plusieurs personnalités françaises comme Catherine Deneuve et Catherine Millet ont revendiqué une "Liberté d'importuner", s'opposant ainsi farouchement aux personnes qui dénoncent le harcèlement de rue. Autant de confusions qui créent un fossé entre une idéologie sociétale et une profonde remise en question de nos propres moeurs et convictions.

Comme l'a si bien dit Simone de Beauvoir dans la revue Les Temps Modernes : "La lutte antisexiste n'est pas seulement dirigée, comme la lutte anticapitaliste, contre les structures de la société. Elle s'attaque en chacun de nous à ce qui nous est le plus intime et ce qui nous paraissait le plus sûr."

Être féministe, c'est donc d'abord se lancer dans ce processus personnel de déconstruction afin d'aspirer à une société plus égalitaire. Ce qui, par définition, n'implique pas de rejeter les hommes mais au contraire de les inviter à rejoindre le combat.