La fessée en question : quelles conséquences pour l'enfant et comment l'éviter ?

Publié le Mercredi 28 Novembre 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Loi contre les violences éducatives ordinnaires, Interview Florence Millot
Loi contre les violences éducatives ordinnaires, Interview Florence Millot
La proposition de loi contre la fessée et autres formes de violences dites éducatives sera examinée jeudi 29 novembre à l'Assemblée Nationale. La psychologue pour enfants Florence Millot nous explique l'impact de ces "méthodes" sur le développement psychique de l'enfant.
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Jeudi 29 novembre, la proposition de loi contre les violences éducatives ordinaires initiée par la députée MoDem Maud Petit va être examinée à l'Assemblée nationale. Elle vise à interdire toute forme de violence à l'encontre des mineurs, comme la violence physique et verbale, les châtiments corporels, le chantage et l'humiliation.

Considérées comme de la maltraitance, les violences aggravantes sur les enfants sont interdites par la loi, mais le parent conserve un "droit de correction", comme celui de donner la fessée. C'est précisément ce que ce nouveau projet de loi souhaite abolir, bien que le texte ne prévoit aucune sanction pénale à l'encontre des parents.

Évoquée depuis plusieurs années en France, la question de la fessée fait débat. Certains parents refusent en effet qu'on s'immisce dans leur quotidien et qu'on vienne leur reprocher d'infliger une "petite punition" pour calmer leur enfant.

Mais une fessée est-elle vraiment anodine ? Ces méthodes ont-elles un quelconque bienfait éducatif ? Éclairage avec la psychologue pour enfants Florence Millot, autrice de plusieurs ouvrages sur la gestion des émotions des enfants et sur les relations parents-enfants.

Terrafemina : Que se passe-t-il dans la tête d'un enfant qui reçoit une fessée ?

Florence Millot : Quand l'enfant est énervé, triste ou en colère et qu'il reçoit une fessée, ce geste va couvrir sa pensée et stopper net son émotion. Il ne pense plus à rien. La douleur va être plus forte que ses émotions. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il ne va pas recommencer quelques heures plus tard.

Le problème de cette "méthode", c'est que l'enfant va s'arrêter sous le coup de la peur et non pas parce qu'il a compris la règle. Donc, il risque de recommencer après.

Qu'en est-il du chantage ?

F.M : Le chantage fonctionne différemment puisqu'il y a moins la notion de peur qu'avec la fessée. Mais on peut facilement tomber dans un rapport de force si on l'utilise souvent. Là aussi, l'intérêt éducatif est moindre.

Car si l'enfant obéit sur le coup, il peut inverser le rapport de force la prochaine fois et faire à son tour du chantage au parent.

Souvent, le recours au chantage traduit une perte d'autorité. L'enfant perçoit la faille et la tourne à son avantage. Si on regarde bien, les parents qui recourent au chantage sont souvent ceux qui ont du mal à dire "non" à leur enfant.

Quelles sont les conséquences à long terme de la fessée sur son développement psychique ?

F.M : Quand cela se produit trop souvent, on entre dans un rapport de domination du parent qui sous-entend que "mon enfant m'appartient", ce qui bien sûr est dérangeant.

À long terme, cela peut rendre l'enfant plus introverti, plus craintif à l'idée de participer en classe ou de s'exprimer en dehors de la maison. Il risque aussi à l'âge adulte de reproduire ce schéma ou de se défendre par le biais de l'agressivité.

Aujourd'hui, le problème le plus flagrant est à mes yeux la violence verbale : comme cela est de moins en moins accepté de voir un parent lever la main sur son enfant, on transforme les coups en mots.

Or, quand elle est récurrente, la violence verbale laisse des séquelles peut-être encore plus profondes sur le développement psychique de l'enfant, qui va grandir avec cette voix intérieure, ce juge qui lui dira qu'il n'est pas capable. Cette violence verbale devient dangereuse lorsque le parent l'utilise comme "méthode éducative", persuadé que c'est la bonne solution.

Que faire en cas de "dérapage" du parent ? Comment rétablir le lien de confiance ?

F.M : Dans les faits, cela peut effectivement arriver. On est excédé, le bras se tend sous le coup du stress et la fessée part. Dans ce cas précis, la seule chose à faire est de s'excuser auprès de son enfant. Il faut admettre qu'on a été dépassé, lui dire qu'on s'en veut d'avoir agi ainsi et expliquer ce qu'on a ressenti.

Tout cela pour faire comprendre que la violence peut parfois se mettre sur note chemin, mais qu'il faut essayer de l'éviter. Cela permettra à l'enfant de relativiser le geste. Si on est dans l'empathie avec lui, il y a de fortes chances pour qu'il comprenne et passe à autre chose.

J'ai souvent entendu, dans ce cas de figure, des enfants répondre à leurs parents "ce n'est pas grave". Le plus important est de se rappeler qu'on apprend aussi en tant que parent et qu'il faut essayer de grandir ensemble.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui perdent patience pour que l'enfant se calme sans recourir à la violence ?

F.M : Demander de l'aide. Surtout ne pas rester seul·e. C'est très important de se faire épauler par un·e proche. Cela aide à prendre du recul par rapport à ses propres émotions. Le regard de l'autre aide à nous contenir, à agir plus justement.

Ensuite, de bien comprendre que lors de ces rapports un peu conflictuels, tout se joue dans la représentation que le parent a de l'enfant : si le parent est persuadé que l'enfant lui "veut du mal", l'adulte va instinctivement chercher à se protéger de ce petit-être qui le dépasse.

C'est très important de prendre du recul et de réfléchir à la question en mettant un peu de distance afin de comprendre pourquoi son enfant se comporte de la sorte. Souvent, c'est parce qu'il s'exprime mal, et non parce qu'il veut embêter ses parents.

Je pense qu'il faut se défaire de l'idée que les enfants fonctionnent comme des mini-adultes, car c'est cet état d'esprit qui peut engendrer la violence. À la place, mieux vaut laisser la pression retomber des deux côtés, puis aborder le sujet plus tard, quand tout le monde est calmé.

Que pensez-vous du nouveau projet de loi qui vise à éradiquer les violences dites éducatives ?

F.M : Sur le papier, c'est très bien. Dans un monde idéal, aucun parent ne devrait lever la main sur son enfant ou le faire chanter. Mais dans les faits, c'est bien plus difficile.

Je pense que cette loi a le défaut de ne présenter aucune nuance. Il y a les parents qui éduquent leur enfant en leur imposant un rapport de force et ceux qui essayent d'élever leurs enfants mais qui parfois dérapent.

Ces derniers, souvent soumis à l'injonction du parent parfait qui ne connaît que la bienveillance, tombent souvent dans la culpabilisation et la honte de ne pas faire assez bien. Résultat : ils n'osent plus dire qu'ils sont en difficulté.

Je pense que cette loi est une bonne initiative, mais seulement si on propose un accompagnement approprié aux parents, et dans l'idéal gratuit, afin que tout le monde y ait accès.