Ce que Sandra, mère d'un enfant porteur de handicap, veut que vous sachiez

Publié le Vendredi 02 Décembre 2022
Sandra Senou est maman d'Alexandre, un jeune garçon atteint d'une infirmité motrice cérébrale. Alors que la maladie de son fils évolue, elle a décidé de libérer la parole autour du handicap des enfants. Elle nous raconte son parcours, ses défis au quotidien et ses combats.
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Sandra Senou, 37 ans, et maman de deux enfants, travaille comme cadre administrative dans un établissement de santé. Elle est l'autrice du livre jeunesse Les aventures d'Alexandre- le rêve d'Alexandre, et fondatrice de l'association Nos enfants extra-capables, dédiée aux parents d'enfants à besoins spécifiques - en situation de handicap.

A l'occasion de la journée internationale des personnes handicapées ce 3 décembre, Sandra revient sur son parcours et celui de son fils, Alexandre, né grand prématuré et aujourd'hui atteint d'une infirmité motrice cérébrale.

La naissance d'Alexandre, grand prématuré

"J'avais 25 ans, c'était ma première grossesse. Un jour, lors d'une visite de contrôle, le médecin constate que mon col est raccourci. Comme je n'avais pas d'antécédents, il m'a indiqué que je devais rester alité sous surveillance afin de réduire le risque d'un accouchement précoce. C'est donc ce que j'ai fait : je suis restée allongée à la maison sans bouger, et ce jusqu'à la prochaine consultation.

Lors de celle-ci, même constat : mon col était encore raccourci. Mais cette fois, la suite a été bien différente : "Je vois la poche des eaux qui est bombée. Madame, je vais devoir vous transférer vers un hôpital de niveau 3."

Le choc ! Un hôpital de niveau 3 ? Je ne savais pas ce que c'était. J'étais à 24 semaines aménorrhées. Je ne comprenais pas. Simplement venus pour une consultation, mon mari et moi comptions rentrer à la maison ensuite. Le médecin nous a alors expliqué que les maternités de niveau 3 prennent en charge des patientes avec des grossesses normales et à risques, et surtout qu'elles possèdent un service de réanimation pour les enfants nés en dessous de 1 500g, soit 1,5kg. Mon bébé, lui, pesait à peine 700g. J'allais à peine arriver dans le 6ème mois de grossesse. Le ciel me tombait sur la tête.

Une semaine de surveillance accrue plus tard, et de nombreux examens médicaux effectués, le médecin remarque autre chose. Mon utérus se contractait énormément, et c'est ce qui causait le raccourcissement de mon col. Moi, je ne sentais rien. Puis, j'ai attrapé une infection à l'hôpital. Les antibiotiques n'étaient pas une option viable. La priorité était mon bébé. Nous avons donc continué la surveillance régulière.

Un soir, après avoir mangé un fast-food dont j'avais beaucoup envie, c'est l'heure de la visite de contrôle. Les sages femmes entrent dans ma chambre afin d'effectuer du monitoring et une échographie endo-vaginale puis elles m'indiquent que je suis déjà en plein travail, et que je vais accoucher dans les heures qui vont suivre. Ce n'était pas possible. Nous étions le 3 mai 2011. J'en étais à ma 25e semaine de grossesse et 4 jours. L'objectif était que je sois alitée afin que mon bébé reste au chaud le plus longtemps possible. La panique et les pleurs ont alors pris le dessus.

Alexandre est né à 1h46 du matin. Il pesait 900g. 900g qui ont leur importance, puisque c'est ce poids qui lui a permis d'être sauvé : à ce stade, si les bébés sont trop petits, les médecins ne peuvent rien faire pour eux. Un petit cri poussé, et le voilà installé dans une couveuse et emmené en salle de réanimation.

Je n'ai pas pu toucher mon bébé, ni même le voir. C'est seulement le lendemain que j'ai pu aller lui rendre visite. Seulement, quand on va voir son enfant après avoir accouché, on ne s'attend pas à ça, on ne peut pas s'attendre à ça. Il était dans sa couveuse, relié à de nombreux tuyaux pour l'aider à rester en vie. C'était horrible. Je ne pouvais même pas le prendre dans mes bras. Mais nous étions là, et nous avions confiance dans le fait qu'il puisse survivre et qu'il allait se battre.

Sandra Senou et son fils Alexandre, porteur de handicap
Sandra Senou et son fils Alexandre, porteur de handicap

Des séquelles encore présentes aujourd'hui

Alexandre a aujourd'hui 11 ans. Il est le grand frère d'Anaëlle, âgée de 5 ans de moins. Il est fan de football et de rap, et en particulier Maître Gims. Son extrême prématurité lui a laissé des séquelles. Il est également porteur d'une infirmité motrice cérébrale, qui se traduit par une incapacité à marcher et à utiliser ses mains. Son handicap a évolué avec le temps : il y a des choses qu'il arrivait à faire lorsqu'il était petit et qu'il n'arrive plus à faire maintenant. Il y a des symptômes qui sont apparus il y a trois ou quatre ans, et qui ont fait dire aux médecins qu'il ne s'agissait pas que de séquelles dues à l'extrême prématurité. On nous parle donc d'une maladie rare, mais les médecins cherchent encore laquelle, la génétique prend du temps.

Aujourd'hui, il est scolarisé en internat à l'établissement régional d'enseignement adapté Toulouse-Lautrec de Vaucresson (Hauts-de-Seine). Son rêve est de devenir commentateur sportif. Au quotidien, Alexandre est un garçon qui possède une joie de vivre et une énergie communicative. Très souriant et attachant, il est très déterminé et investi dans ce qu'il fait. C'est un garçon qui brise à lui seul de nombreux clichés sur le handicap.

Notre quotidien demande beaucoup de logistique. Entre les trois séances hebdomadaires avec un kiné, un ergothérapeute ou un psychométricien notamment, sont présentes les questions matérielles. En font partie le fauteuil roulant à 10 000€, ou encore les aménagements nécessaires quand on a fait construire notre maison. Sans compter que tout ce qui est en lien avec le handicap est hors de prix. Tout ça, ça prend du temps et c'est épuisant. C'est le parcours du combattant pour tout. Pour sortir, on doit toujours préparer à l'avance en se posant des milliers de questions sur tout : Est ce que les trottoirs sont bien adaptés ? Ce ne sont pas des questions qu'on devrait avoir à se poser.

Le rêve d'Alexandre qui devient réalité

Je trouvais aussi que dans les publicités, les campagnes de marques de vêtements, ou encore les oeuvres culturelles comme les films ou les livres, il régnait un véritable manque de considération pour les personnes porteuses de handicap. Je lisais beaucoup d'histoires à Alexandre quand il était petit. C'était une habitude agréable, mais un côté frustrant est vite arrivé, causé par le manque d'histoires parlant de héros porteurs de handicaps ou différents. C'est frustrant pour moi en tant que maman, et pour Alexandre, qui ne peut pas s'identifier à ces héros. J'avais peur que cela ajoute de la difficulté, ou que cela puisse créer un problème de doute et de confiance en lui.

J'ai alors eu envie d'écrire moi-même ce livre, auquel mon fils et bien d'autres enfants invisibilisés pourraient se reconnaître. Mais je ne savais pas encore sur quoi l'écrire, jusqu'à ce qu'un des plus grands souhaits d'Alexandre soit exaucé...

Alexandre a alors 3 ou 4 ans, et son père lui a offert des places pour le concert de son chanteur préféré : Maître Gims. Il me dit : "Maman, moi ce que je voudrais, c'est le rencontrer un moment et discuter avec lui". Je lui ai répondu : "Oh, ben ça, c'est un peu compliqué...". Je lui ai quand même proposé d'enregistrer une petite vidéo pour demander directement au chanteur s'il est possible d'organiser une rencontre. Une fois la vidéo filmée, nous l'avons postée sur les réseaux sociaux. Elle a rencontré un grand succès et a même été partagée par des célébrités ! A force d'être relayée, elle est arrivée à une personne qui connaît l'épouse de Gims, qui lui a donc partagé à son tour. Quelques temps après, une personne de la production de Gims nous a contactés pour nous proposer de le rencontrer. Je n'y croyais pas, c'était vraiment génial !

Une fois la rencontre passée, je me suis dit que j'avais mon histoire : un enfant porteur de handicap qui a un rêve et qui met tout en oeuvre pour le réaliser. J'ai écrit Les aventures d'Alexandre- le rêve d'Alexandre avec deux objectifs. D'une part, permettre aux enfants handicapés ou à besoins spécifiques de s'identifier à un héros qui leur ressemble, et de leur montrer que ce n'est pas parce qu'on a un handicap qu'on n'a pas le droit de rêver. Et cet enfant, il n'est pas en train de parler de sa maladie, il n'est pas en train de s'apitoyer sur son sort, il est vraiment en train de vivre sa vie et de réaliser son rêve. C'est un enfant qui est handicapé, mais qui est comme les autres.

Mon deuxième objectif était de sensibiliser à la différence les enfants qui ne sont pas porteurs de handicap. C'est l'occasion pour eux de poser des questions à leurs parents, et pour les parents d'aborder ce sujet plus facilement.

Livre "Les aventures d'Alexandre - : Le rêve d'Alexandre"
Livre "Les aventures d'Alexandre - : Le rêve d'Alexandre"

Informer, partager, s'entraider

Après la sortie du livre, beaucoup de personnes m'ont posé des questions à travers les réseaux sociaux. C'étaient des questions sur différents sujets : Alexandre, sa maladie, notre quotidien, et sur le handicap de manière générale. En essayant d'y répondre, je me suis aperçue qu'il n'existait pas beaucoup d'outils de sensibilisation au sujet du handicap pour le grand public. Mon livre était un début, il permettait de sensibiliser, mais ce n'était pas suffisant puisqu'il ne parlait pas du handicap en soit. J'ai donc songé à l'idée de créer un podcast qui explore en profondeur les sujets liés à la vie des familles d'enfants porteurs de handicap, et qui met en lumière des choses qu'on n'imagine pas autour du handicap des enfants. Mon objectif est aussi d'apporter de l'espoir et de briser les nombreux tabous existants autour du handicap.

J'ai créé cette année l'association "Nos enfants extra-capables", qui a pour objectif de venir en aide aux parents et enfants porteurs de handicap en France et en Afrique. J'ai compris qu'en tant que parents d'enfants porteurs de handicap, on n'approche pas la parentalité comme les autres. Nous devons faire face à processus d'acceptation, similaire à un deuil, qui est souvent long et douloureux. Et ce processus peut très souvent impacter l'enfant lui-même, ainsi que ses proches. C'est donc important pour moi d'aider les autres parents à voir les choses différemment, leur redonner confiance, et surtout lever le voile sur le handicap.

L'association offre aux parents une aide matérielle pour soulager leur vie quotidienne, et on propose également des professionnels de santé spécialisés pour accompagner les parents et pour former le personnel sur place en Afrique. Nous apportons notre aide aussi sur l'aspect psychologique, en organisant des cercles de paroles avec les parents ainsi que des psychologues qui ont pour but d'essayer de soulager les parents, et de répondre à leurs questions afin qu'ils ne se sentent pas seuls.

Mon objectif ? Que nous puissions changer de regard sur le handicap, mais surtout que la société prenne enfin conscience que handicap ne veut pas dire incapable."