"Le déconfinement est très mal géré pour les personnes en situation de handicap"

Publié le Vendredi 22 Mai 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
"Le déconfinement est très mal géré pour les personnes en situation de handicap"
"Le déconfinement est très mal géré pour les personnes en situation de handicap"
"Les mesures de déconfinement me rendent dingue". Si l'accent a été mis sur la solidarité durant toutes ces semaines de confinement, le déconfinement n'augure pourtant rien de bon pour les plus vulnérables. Et notamment pour les personnes en situation de handicap. Jeune homme à mobilité réduite, le vidéaste Adrien en témoigne pour Terrafemina.
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Le confinement fut une situation aussi exceptionnelle que paradoxale : l'appel bien sonore au "restez chez vous" et à la distanciation sociale nous a d'autant plus incité à "ouvrir les voix", et plus précisément les précieuses paroles de celles et ceux qui demeurent les grands invisibles de cette période exceptionnelle. Les personnes les plus vulnérables et discriminées, subissant des inégalités que l'isolement n'a fait que renforcer...

Et parmi elles, l'on compte évidemment les personnes en situation de handicap. Des anonymes de tout âge, dont les nombreuses interrogations sont parfois restées sans réponses : comment respecter la distanciation sociale quand on est en fauteuil ? Quid du retour à l'école des enfants handicapés ? Cette période si spéciale a-t-elle vraiment été source de réflexions sur les limites de mobilité au sein des grandes villes et espaces publics ?

Autant de questions qui ne laissent pas Adrien indifférent. Ce jeune vidéaste de 24 ans explore la pop culture - et pas seulement - sur sa chaîne YouTube Le Patelin des Passions. Évoquant aussi bien les blockbusters que les jeux vidéo, ses vlogs lui permettent également de partager son quotidien de personne à mobilité réduite.

Pour Terrafemina, il nous dit tout sur son expérience de (dé)confiné.

"Le gouvernement ne fait pas ce qu'il faut"

"Durant le confinement, mon quotidien n'a pas des masses changé. Je gère ma vie depuis mon appart', aux côtés de ma mère, qui fait les courses avec d'immenses précautions - elle me permet ainsi de rester chez moi et de ne pas prendre trop de risques. Simplement, je ne vais plus à la fac et je ne sors pas du tout. On a une aide qui vient une à deux fois par jour pour que je puisse me déplacer jusqu'à mon fauteuil et mon lit le matin et le soir.

Dès le début, on a dû se procurer des masques et des gants tous seuls, et les maigres aides qui ont été accordées à ce propos sont venues finalement assez tard. A mon sens, le gouvernement n'a pas fait ce qu'il fallait pour les personnes handicapées pendant le confinement, ne leur a pas accordé suffisamment de considération. Hors du confinement c'était déjà le cas, alors ça ne s'améliore pas...

"Qu'est-ce qu'on fait au juste ?"

Adrien, jeune vidéaste : "Le déconfinement est très mal organisé".
Adrien, jeune vidéaste : "Le déconfinement est très mal organisé".

Et puis vient ce déconfinement. De base, ce déconfinement, je le trouve globalement compliqué, vraiment peu naturel, pour qui que ce soit. Etant une personne à risques, j'avoue que je ne compte vraiment pas m'aventurer dehors avant mi-juillet. Certains diront que je psychote !... mais je sais que le déconfinement ne met pas fin au coronavirus. Alors si je peux me mettre le moins en danger possible, je le fais.

Le confinement et le déconfinement posent de vraies questions concernant la sécurité et la santé des personnes en situation de handicap. Par exemple, en ce qui me concerne, j'ai un fauteuil électrique qui commence à se faire vieux - et qui devient trop petit. Quand je sors, parfois, ma main tombe de la manette, sur le côté, et je n'ai pas assez de force pour la remettre bien. Alors je demande généralement à des gens de m'aider.

Mais avec la distanciation sociale et le fait de ne pas se toucher, qu'est-ce qu'on fait au juste ? Est-ce qu'on doit me laisser là, sur le trottoir, ne pas m'aider, de peur d'être contaminé ou de contaminer ? L'air de rien, la distanciation sociale amène une pléthore de soucis auxquels les personnes valides ne pensent pas forcément.

"La distanciation, c'est le coup de grâce"

Il faut dire que le handicap éloigne les gens entre eux d'habitude. Alors avec cette question de "distanciation", c'est le coup de grâce ! Aussi, je pense que le confinement exacerbe un isolement que vivaient déjà les personnes en situation de handicap auparavant, tout comme il exacerbe certaines discriminations et inégalités (le racisme, le sexisme). Il y a forcément des retombées sociales à cette crise sanitaire. Les violences contre les personnes handicapées sont très présentes dans les endroits publics et le confinement n'a pas dû améliorer ça...

En ce sens, le validisme non plus ne va pas s'arranger avec la période difficile que l'on traverse encore, exactement comme pour les autres formes d'oppression - contre les femmes, les minorités. Je ne calcule même plus les messages du gouvernement ou des politicien·ne·s à ce propos, ça me dépite un peu.

Quand on parle de validisme, on pense notamment à cette "compassion forcée" des personnes valides à l'égard des handicapé·e·s. Or on ne devrait pas être "attendri·e" encore moins éprouver de la pitié, face aux personnes en situation de handicap, on devrait juste être "humain". Cela devrait être normal de s'inquiéter pour autrui. Et pas juste parce que l'autre est handicapé. Et pas juste parce que l'on est en situation de pandémie...

"Les enfants handicapés vont se sentir encore plus exclus"

 

En règle générale, les mesures de déconfinement me rendent dingue. Quand le gouvernement annonce que les écoles vont rouvrir par exemple, mais qu'il est cependant nécessaire que les personnes fragiles restent chez elles, qu'en est-il vraiment des enfants handicapés et des personnels scolaires ?

Je crois que ces enfants, quand ils vont retourner en cours en septembre (si on est optimistes !) vont se sentir encore plus exclus que d'habitude, car ils n'auront pas vu leurs ami·e·s en mai et juin... Le déconfinement des écoles est trop anticipé et surtout, il est à l'image du confinement : mal géré.

"L'immobilité ne doit pas empêcher l'accès à la culture"

 

Bien sûr, durant le confinement, il y a eu beaucoup de solidarité. Je pense à ce reportage de "Brut" consacré à un quartier de Marseille, qui gérait le confinement comme il pouvait. C'était cool de voir toute cette entraide, ça fait chaud au coeur. Je pense que l'humain est bon, oui. Mais cette entraide n'est pas globale non plus.

On a pu observer cette aide à travers certaines initiatives culturelles. Je pense à la mise en ligne de films (en streaming), de pièces de théâtre (captées), d'expositions, mises à disposition de manière gratuite parfois, permettant un accès facilité à la culture. Mais cela aurait déjà dû être le cas depuis longtemps !

Ce genre d'initiatives devrait être organisé de manière plus anticipée car des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, il n'y en a pas que pendant le confinement : il y en a tout le temps. Le fait que cette mobilité réduite ou impossible soit carrément un frein à l'accessibilité à la culture, ça, c'est vraiment problématique !"